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27/03/2023 | FRANCE | N°443296

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 27 mars 2023, 443296


Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Alcan France, devenue la société par actions simplifiée (SAS) Rio Tinto France, a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires de précompte mobilier auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2003. Par un jugement n° 1009577 du 23 mai 2014, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n°14VE02205 du 23 juin 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Rio Tinto France contre ce ju

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Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24...

Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Alcan France, devenue la société par actions simplifiée (SAS) Rio Tinto France, a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires de précompte mobilier auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2003. Par un jugement n° 1009577 du 23 mai 2014, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n°14VE02205 du 23 juin 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par la société Rio Tinto France contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 août et 25 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Rio Tinto France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur l'Union européenne et le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-556/20 du 12 mai 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat de la société Rio Tinto France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, la société Alcan France, devenue la société Rio Tinto France, a été assujettie à des cotisations supplémentaires de précompte mobilier à raison de dividendes distribués au cours de l'année 2003. La société Rio Tinto France se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 juin 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du 23 mai 2014 du tribunal administratif de Montreuil rejetant sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires.

2. Dans sa rédaction applicable aux distributions de dividendes en litige, l'article 158 bis du code général des impôts prévoit que les personnes qui reçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué par les sommes qu'elles reçoivent de la société distributrice et par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. Ce crédit d'impôt, égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société, ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. L'article 216 du même code prévoit par ailleurs que : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci (...) ". Aux termes, en outre, du premier alinéa du 1 de l'article 223 sexies de ce code, dans sa version issue de la loi de finances pour 2000 du 30 décembre 1999 : " (...) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (...), cette société est tenue d'acquitter un précompte égal au crédit d'impôt calculé dans les conditions prévues au I de l'article 158 bis. Le précompte est dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d'impôt prévu à l'article 158 bis quels qu'en soient les bénéficiaires ". Enfin, aux termes du 2 de l'article 146 du même code, avant son abrogation par l'article 93 de la loi du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 : " Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôts qui sont attachés aux produits des participations (...), encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus ".

3. Aux termes de l'article 4 de la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents : " 1. Lorsqu'une société mère reçoit, à titre d'associée de sa société filiale, des bénéfices distribués autrement qu'à l'occasion de la liquidation de celle-ci, l'État de la société mère : / - soit s'abstient d'imposer ces bénéfices, /- soit les impose, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l'impôt de la filiale afférente à ces bénéfices et, le cas échéant, le montant de la retenue à la source perçue par l'État membre de résidence de la filiale en application des dispositions dérogatoires de l'article 5, dans la limite du montant de l'impôt national correspondant. / 2. Toutefois, tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère. Si, dans ce cas, les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5 % des bénéfices distribués par la société filiale (...) ". Le paragraphe 2 de l'article 7 de cette même directive précisait qu'elle n'affectait pas l'application de dispositions nationales ou conventionnelles visant à supprimer ou à atténuer la double imposition économique des dividendes, en particulier les dispositions relatives au paiement de crédits d'impôt aux bénéficiaires de dividendes.

4. Par un arrêt du 12 mai 2022 Schneider Electric et autres (C-556/20), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le paragraphe 1 de l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui prévoit qu'une société mère est redevable d'un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales lorsque ces bénéfices n'ont pas supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % prévu au paragraphe 2 de ce même article 4. La Cour de justice de l'Union européenne a également jugé qu'une telle réglementation, alors même qu'elle ne s'appliquerait que lorsque la redistribution ouvre droit à un avoir fiscal, ne relevait pas des stipulations du paragraphe 2 de l'article 7 de cette même directive.

5. Par suite, une société mère est fondée à obtenir la restitution du précompte qu'elle a acquitté à raison de la redistribution de dividendes reçus de ses filiales établies dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, dès lors que l'article 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 fait obstacle à ce qu'elle soit soumise à une imposition sur de tels dividendes. Il ne résulte en revanche pas de cet arrêt que lorsqu'une société choisit de prélever les sommes qu'elle distribue sur des bénéfices autres que ceux constitués de dividendes reçus de telles filiales, l'obligation dans laquelle elle se trouve, le cas échéant, d'acquitter à ce titre le précompte serait incompatible avec la directive du Conseil du 23 juillet 1990.

6. Aux termes de l'article 46 quater-0 D de l'annexe III au code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " I. Les distributions qui n'ouvrent pas droit à l'avoir fiscal prévu à l'article 158 bis du code général des impôts sont prélevées, par priorité, sur les bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés ou exonérés de cet impôt au titre du dernier exercice clos et, en cas d'insuffisance de ces bénéfices, sur ceux des exercices antérieurs les plus récents. / II. Les distributions qui ouvrent droit à l'avoir fiscal sont prélevées ensuite dans l'ordre suivant / : D'abord, sur les bénéfices disponibles qui ont été soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal prévu au deuxième alinéa du I de l'article 219 du code déjà cité au titre du dernier exercice clos ; / Puis, sur les bénéfices disponibles qui ont été imposés à ce même taux au titre d'exercices antérieurs clos depuis cinq ans au plus ; / Enfin, sur tous autres bénéfices ou réserves disponibles. / Toutefois, si la personne morale a encaissé, au cours d'exercices clos depuis cinq ans au plus, des produits de participations ouvrant droit au régime des sociétés mères, les distributions peuvent être librement imputées sur ces produits. / II bis. Les distributions mises en paiement à compter du 1er janvier 2000, ouvrant droit ou non à l'avoir fiscal, sont prélevées d'abord sur les bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés ou exonérés au titre d'exercices clos depuis cinq ans au plus, puis sur tous les autres bénéfices ou réserves disponibles ". Aux termes du II de l'article 46 quater-0 E de la même annexe : " Les sommes dont l'imputation est réglée par le II et par le II bis [de l'article 46 quater-0 D] s'entendent du total des revenus distribués et du précompte afférent à la distribution ". Aux termes de l'article 46 quater-0 F de la même annexe : " La personne morale est tenue d'adresser au bureau désigné à l'article 381 T de la présente annexe une déclaration faisant connaître les imputations opérées conformément aux dispositions de l'article 46 quater-0 D. / Cette déclaration doit être souscrite dans le mois qui suit la répartition des produits, sur des imprimés fournis par l'administration ".

7. En premier lieu, la déclaration de précompte a pour objet de permettre d'identifier les bénéfices sur lesquels les sommes distribuées par une société ont été prélevées et si ces bénéfices ont été imposés au taux normal de l'impôt sur les sociétés, afin de déterminer l'assiette du précompte dans les cas où celui-ci serait exigible. La circonstance que le droit de l'Union européenne fasse obstacle au prélèvement d'un précompte à raison de la redistribution de produits de filiales établies dans un Etat membre de l'Union autre que la France ne remet pas, par elle-même, en cause la possibilité de recourir aux éléments portés dans cette déclaration pour déterminer le montant du précompte dont une société demeure redevable à raison de la distribution d'autres bénéfices ainsi que celui dont elle est fondée à obtenir la restitution.

8. Il résulte de ce qui précède que la cour administrative d'appel de Versailles, après avoir relevé que la restitution du précompte sollicitée ne pouvait être accordée qu'à la condition que son versement soit intervenu de manière effective, au titre de l'année en cause, à raison de la redistribution de dividendes issus de filiales établies dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, a pu, sans méconnaître la directive du Conseil du 23 juillet 1990, ni l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, juger que la preuve pouvait en être apportée par tout moyen et notamment par des éléments issus de la déclaration de précompte. Elle n'a pas méconnu son office en ne statuant pas en équité mais en se fondant sur le montant de précompte effectivement acquitté par la société, tel qu'il pouvait être évalué à partir des pièces du dossier qui lui était soumis.

9. En deuxième lieu, et compte tenu de ce qui précède, la cour administrative d'appel, après avoir relevé, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, que la déclaration de précompte souscrite par la société Alcan au titre de l'année 2003 faisait apparaître que les distributions consenties à ses actionnaires avaient été prélevées sur des revenus autres que des dividendes reçus de ses filiales établies dans l'Union européenne, n'a pas commis d'erreur de droit en écartant l'argumentation de la société Rio Tinto tendant à ce qu'il soit rétrospectivement considéré, dès lors qu'elle disposait en 2003 de bénéfices constitués de dividendes reçus de ses filiales établies dans des Etats de l'Union européenne autres que la France pour un montant supérieur à celui desdites distributions, que celles-ci avaient été prélevées sur ces dividendes. La circonstance que la cour administrative d'appel aurait, par un motif au demeurant surabondant, inexactement qualifié cette argumentation de demande de compensation formée sur le fondement des articles L. 203 à L. 205 du livre des procédures fiscales est sans incidence sur le bien-fondé de son arrêt sur ce point.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article 1679 ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Le précompte visé à l'article 223 sexies doit être versé au Trésor dans le mois qui suit la mise en paiement des revenus et sous les mêmes sanctions que la retenue perçue à la source sur les produits d'obligations. / Un décret fixe les modalités d'application du présent article ". Il en résulte que le précompte était recouvré par voie de versement spontané par les redevables, auxquels il incombait d'en calculer le montant, dans le mois suivant la mise en paiement des revenus distribués dont le versement constituait son fait générateur et qu'à défaut de paiement à la date d'exigibilité, le recouvrement s'effectuait par application des dispositions de droit commun du titre IV du livre des procédures fiscales et, notamment, par la voie d'un avis de mise en recouvrement en application de l'article L. 256 de ce livre, dans sa rédaction alors en vigueur.

11. C'est, par suite, sans erreur de droit que la cour administrative d'appel de Versailles a jugé que les suppléments de précompte litigieux avaient régulièrement pu être établis par voie d'avis de mise en recouvrement.

12. Par suite, la société Rio Tinto France n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Son pourvoi doit ainsi être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Rio Tinto France est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Rio Tinto France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 mars 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président de chambre, présidant ; M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat et Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 27 mars 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Alianore Descours

La secrétaire :

Signé : Mme Michelle Bailleul


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 443296
Date de la décision : 27/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mar. 2023, n° 443296
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Alianore Descours
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SARL CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:443296.20230327
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