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17/03/2023 | FRANCE | N°457736

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 17 mars 2023, 457736


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 457736, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 octobre 2021 et 4 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association sociale nationale internationale tzigane (ASNIT), l'association Action Grand Passage (AGP) et l'association protestante des amis des Tziganes (APATZI) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1093 du 18 août 2021 relatif à la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle ;

2°) de mettre à la cha

rge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de jus...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 457736, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 octobre 2021 et 4 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association sociale nationale internationale tzigane (ASNIT), l'association Action Grand Passage (AGP) et l'association protestante des amis des Tziganes (APATZI) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1093 du 18 août 2021 relatif à la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 462145, par une requête enregistrée le 8 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations Union de défense active des forains (UDAF) et France liberté voyage demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté leur demande tendant à l'abrogation du décret n° 2021-1093 du 18 août 2021 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 6 et 13 ;

- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision n° 462145 du 31 mai 2022 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Union de défense active des forains et France liberté voyage ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Joachim Bendavid, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen-Thiriez, avocat de la Défenseure des droits.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 février 2023, présentée par la Défenseure des droits.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 495-17 du code de procédure pénale : " Lorsque la loi le prévoit, l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire délictuelle fixée par la loi, qui ne peut excéder le montant prévu au premier alinéa de l'article 131-13 du code pénal, dans les conditions prévues à la présente section. (...) ". Aux termes de l'article 495-18 du même code : " L'amende forfaitaire doit être acquittée dans les quarante-cinq jours qui suivent la constatation de l'infraction ou, si l'avis d'infraction est ultérieurement envoyé à l'intéressé, dans les quarante-cinq jours qui suivent cet envoi, à moins que l'intéressé ne formule dans le même délai une requête tendant à son exonération auprès du service indiqué dans l'avis d'infraction. Cette requête est transmise au procureur de la République./ Toutefois, l'amende forfaitaire est minorée si l'intéressé en règle le montant soit entre les mains de l'agent verbalisateur au moment de la constatation de l'infraction, soit dans un délai de quinze jours à compter de la constatation de l'infraction ou, si l'avis d'infraction est ultérieurement envoyé à l'intéressé, dans un délai de quinze jours à compter de cet envoi./ A défaut de paiement ou d'une requête présentée dans le délai prévu au premier alinéa, l'amende forfaitaire est majorée de plein droit et recouvrée au profit du Trésor public en vertu d'un titre rendu exécutoire par le procureur de la République ". Aux termes de l'article 495-19 du même code : " (...) Dans les trente jours suivant l'envoi de l'avis invitant l'auteur de l'infraction à payer l'amende forfaitaire majorée, celui-ci peut former auprès du ministère public une réclamation motivée qui a pour effet d'annuler le titre exécutoire en ce qui concerne l'amende contestée. Cette réclamation reste recevable tant que la peine n'est pas prescrite, s'il ne résulte pas d'un acte d'exécution ou de tout autre moyen de preuve que l'intéressé a eu connaissance de l'amende forfaitaire majorée ". Et aux termes de l'article 495-25 du même code : " Un décret précise les modalités d'application de la présente section ".

2. Dans sa rédaction antérieure au décret du 18 août 2021 relatif à la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle, le premier alinéa de l'article D. 45-4 du code de procédure pénale disposait que : " A la suite de la constatation du délit, un avis d'infraction, une notice de paiement et un formulaire de requête en exonération, sont envoyés au domicile de l'intéressé par lettre recommandée ". L'article 2 de ce décret a prévu que l'avis d'infraction, la notice de paiement et le formulaire de requête en exonération sont désormais envoyés au domicile de l'intéressé par lettre simple.

3. Sous le n° 457736, l'association sociale nationale internationale tzigane (ASNIT) et autres doivent être regardées, eu égard aux moyens qu'elles soulèvent, comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions de l'article 2 du décret du 18 août 2021. Sous le n° 462145, l'Union de défense active des forains (UDAF) et l'association France liberté voyage doivent être regardées comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir du refus du Premier ministre d'abroger ces mêmes dispositions. Les requêtes présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la requête n° 457736 :

4. La procédure de l'amende forfaitaire délictuelle est notamment applicable au délit d'installation en réunion en vue de l'établissement d'une habitation prévu par l'article 322-4-1 du code pénal. L'Observatoire pour les droits des citoyens itinérants, l'Association nationale des gens du voyage citoyens et la Fédération nationale des associations solidaires d'actions avec les tsiganes et les gens du voyage justifient ainsi d'un intérêt suffisant à l'annulation des dispositions de l'article 2 du décret du 18 août 2021. Par suite, leur intervention est recevable.

En ce qui concerne la légalité externe :

5. Le pouvoir réglementaire tire compétence des dispositions de l'article 495-25 du code de procédure pénale, citées au point 1, pour fixer, notamment, les modalités de notification des avis d'infraction auxquels la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle est applicable. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret aurait incompétemment fixé une règle relevant de la procédure pénale ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

6. En premier lieu, aux termes des deuxième et troisième paragraphes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Tout accusé a notamment droit à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ". Aux termes de l'article 13 de la même convention : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, (...) ".

7. Il résulte des articles 495-18 et 495-19 du code de procédure pénale, cités au point 1, que la personne qui fait l'objet d'une amende forfaitaire délictuelle peut déposer une requête tendant à son exonération dans les quarante-cinq jours suivant l'envoi de l'avis d'infraction. A défaut d'un tel dépôt et à défaut de paiement de l'amende, cette dernière est majorée et recouvrée en vertu d'un titre rendu exécutoire par le procureur de la République. La personne peut alors former auprès du ministère public, dans les trente jours suivant l'envoi de l'avis d'amende forfaitaire majorée, une réclamation qui reste recevable tant que la peine n'est pas prescrite s'il ne résulte pas d'un acte d'exécution ou de tout autre moyen de preuve que l'intéressé a eu connaissance de l'amende forfaitaire majorée, et qui a pour effet d'annuler le titre exécutoire. Le procureur de la République dûment saisi d'une requête en exonération ou d'une réclamation peut décider d'y faire droit ou de poursuivre la personne selon d'autres voies procédurales. Les dispositions contestées insérées à l'article D. 45-4 du code de procédure pénale se bornent à prévoir que l'avis d'infraction fait désormais l'objet d'un envoi par lettre simple, et non plus d'un envoi par lettre recommandée, lequel, en l'absence d'accusé de réception, n'était au demeurant, contrairement à ce que soutiennent les associations requérantes, de nature à assurer ni la certitude de la réception de l'avis, ni, en cas de réception, la date certaine de celle-ci. Ces dispositions, qui affectent seulement les modalités d'envoi de l'avis d'infraction et qui sont seulement de nature, au cas où l'envoi par lettre simple n'aurait pas de date certaine, à rendre inopposable le délai applicable à la contestation de l'avis, n'ont ni pour objet ni pour effet de priver les intéressés du droit à un recours juridictionnel effectif. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elles méconnaîtraient les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les droits de la défense ne peut qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ", et aux termes l'article 14 de la même convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".

9. Les dispositions contestées sont applicables à l'ensemble des délits relevant de la procédure d'amende forfaitaire. Elles n'ont par elles-mêmes ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte au mode de vie itinérant des gens du voyage. Par suite, l'ASNIT et autres ne sont fondées à soutenir ni qu'elles méconnaîtraient le droit des gens du voyage au respect de leur vie privée et familiale, ni qu'elles introduiraient à leur encontre une discrimination incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales citées au point précédent.

Sur la requête n° 462145 :

10. En premier lieu, la décision par laquelle le Premier ministre a rejeté la demande d'abrogation du décret du 18 août 2021 revêt, en raison du caractère réglementaire de l'acte qu'elle refuse d'abroger, un caractère réglementaire. Ni les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration, qui ne sont pas applicables aux actes réglementaires, ni aucune autre disposition ni aucun principe n'imposaient sa motivation. Par suite, les associations requérantes ne sauraient utilement soutenir que cette décision est entachée d'illégalité faute de préciser les conditions de droit et de fait qui en constituent le fondement

11. En deuxième lieu, il résulte de ce qui est dit au point 7 que les dispositions critiquées ne portent pas atteinte, en elles-mêmes, aux droits de la défense.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice à la requête n° 457736, que les requêtes des associations requérantes doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de l'Observatoire pour les droits des citoyens itinérants, l'Association nationale des gens du voyage citoyens et de la Fédération nationale des associations solidaires d'actions avec les tsiganes et les gens du voyage est admise.

Article 2 : Les requêtes de l'association sociale nationale internationale tzigane et autres et de l'Union de défense active des forains et autre sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association sociale nationale internationale tzigane et à l'Union de défense active des forains, premières requérantes dénommées sous les n°s 457736 et 462145, au garde des sceaux, ministre de la justice et à l'Observatoire pour les droits des citoyens itinérants, premier intervenant dénommé.

Copie en sera adressée à la Première ministre, au garde des Sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la Défenseure des droits.


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 457736
Date de la décision : 17/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 mar. 2023, n° 457736
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Joachim Bendavid
Rapporteur public ?: M. Maxime Boutron
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:457736.20230317
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