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16/03/2023 | FRANCE | N°461974

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 16 mars 2023, 461974


Vu la procédure suivante :



Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 30 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération CGT des Cheminots demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1949 du 31 décembre 2021 portant application de l'article 17 de la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l

'article L. 761-1 du code de justice administrative.







Vu les autres pièces du do...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 février et 30 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération CGT des Cheminots demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1949 du 31 décembre 2021 portant application de l'article 17 de la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code des transports ;

- la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 ;

- le décret n° 2008-639 du 30 juin 2008 ;

- le décret n° 2010-1362 du 10 novembre 2010 ;

- le décret n° 2018-1242 du 26 décembre 2018 ;

- le décret n° 2021-1120 du 25 août 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Fédération CGT des Cheminots ;

Considérant ce qui suit :

1. La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a créé au code des transports les articles L. 2121-20 à L. 2121-27 régissant le changement d'attributaire d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs. Est prévu en ce cas, dans les conditions fixées à l'article L. 2121-20 de ce code, un transfert de plein de droit au nouvel employeur des contrats de travail en cours depuis au moins six mois des salariés concourant à l'exploitation et à la continuité du service public concerné ainsi que, le cas échéant, des contrats de travail des salariés assurant des activités de gestion ou d'exploitation des gares de voyageurs à l'occasion de leur intégration dans le périmètre des contrats de service public de transport ferroviaire de voyageurs. Le changement entraîne, à l'égard des salariés concernés, en vertu de l'article L. 2121-25 du même code et dans les conditions qu'il précise, le maintien des conventions et accords collectifs qui leur sont applicables, ainsi que des dispositions réglementaires propres au groupe public unifié que constituent, aux termes de l'article L. 2101-1 de ce code, la société nationale à capitaux publics SNCF et ses filiales directes et indirectes, à l'exception du statut et des dispositions prises pour son application, ayant pour effet d'accorder un avantage à tout ou partie des salariés. L'article L. 2121-26 du même code prévoit notamment que les salariés du groupe public unifié dont le contrat de travail se poursuit auprès d'un nouvel attributaire bénéficient de la garantie du niveau de leur rémunération, qui ne peut être inférieur au montant annuel, net de cotisations salariales, pour une durée de travail équivalente, correspondant à l'ensemble des éléments de rémunération, comprenant la rémunération fixe, les primes, indemnités, allocations et gratifications, versés lors des douze mois précédant la date de changement effectif d'employeur, hors éléments exceptionnels.

2. En outre, l'article L. 2102-22 de ce code, créé par l'article 17 de loi du 27 juin 2018, prévoit que : " En cas de changement d'employeur, les salariés ayant été employés par le groupe mentionné à l'article L. 2101-1 et ayant été régis par le statut mentionné à l'article L. 2101-2 conservent le bénéfice de la garantie d'emploi selon les motifs prévus par ce même statut et continuent, ainsi que leurs ayants droit, de relever du régime spécial de sécurité sociale dont ils bénéficiaient au titre des pensions et prestations de retraite, dès lors que leur contrat de travail continue d'être régi par la convention collective mentionnée à l'article L. 2162-1. Leur employeur s'acquitte des cotisations correspondantes. / Le premier alinéa du présent article est applicable dans les mêmes conditions aux salariés dont les contrats de travail font l'objet d'un transfert, en application de l'article L. 1224-1 du code du travail, entre l'attributaire du contrat de service public mentionné à l'article L. 2121-20 du présent code et une entreprise qui n'applique pas la convention collective mentionnée à l'article L. 2162-1./ Un décret précise les modalités d'application du présent article ".

3. Pour l'application de ces dispositions, le Premier ministre a pris le 31 décembre 2021 un décret ayant pour objet de préciser les règles applicables en matière de retraite pour les salariés ayant été employés par le groupe public unifié et régis par le statut, en cas de changement d'employeur, au sein de l'ensemble des entreprises relevant de la convention collective nationale de la branche ferroviaire et pour les salariés dont les contrats de travail font l'objet d'un transfert en application de l'article L. 1224-1 du code du travail. La Fédération CGT des Cheminots en demande l'annulation pour excès de pouvoir.

Sur la légalité externe :

4. En premier lieu, si la fédération requérante soutient que le renvoi fait à un décret par le dernier alinéa de l'article L. 2102-22 du code des transports pour préciser les modalités d'application de cet article ne pouvait donner compétence au Premier ministre pour édicter d'autres règles que celles afférentes à la conservation du bénéfice de la garantie d'emploi, le Premier ministre tenait en tout état de cause de l'article 21 de la Constitution, en vertu duquel il assure l'exécution des lois et exerce le pouvoir réglementaire, compétence pour fixer, dans les conditions prévues par le législateur, les règles applicables aux salariés dont le contrat de travail est transféré, ayant été régis par le statut mentionné à l'article L. 2101-2 du code des transports et qui continuent d'être régis par la convention collective nationale de la branche ferroviaire, tant en matière de pensions et prestations de retraite, pour lesquelles ils continuent de relever du régime spécial de sécurité sociale dont les règles sont fixées par décret en application de l'article L. 711-1 du code de la sécurité sociale, qu'en matière de prévoyance, pour laquelle le législateur n'a pas prévu qu'ils continueraient de relever de ce régime spécial, de sorte qu'ils ont vocation, en la matière, à relever du régime général de l'assurance maladie.

5. En deuxième lieu, le décret attaqué se bornant à fixer les modalités d'application des dispositions législatives citées ci-dessus, sans ajouter de garanties à celles prévues aux articles L. 2121-25 et L. 2121-26 du code des transports, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il serait entaché d'incompétence au motif que les dispositions de l'article L. 2121-27 du même code dispose qu'" un accord de branche précise les garanties autres que celles prévues aux articles L. 2121-25 et L. 2121-26 dont bénéficient les salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel attributaire ou d'un autre employeur ".

6. En troisième lieu, si le décret attaqué modifie, notamment, le décret du 30 juin 2008 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Voyageurs, qui avait été pris après avis du Conseil d'Etat, des modifications peuvent être apportées par décret simple à un décret pris après avis en Conseil d'Etat lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, cet avis n'est requis par aucun texte ni aucun principe.

Sur la légalité interne :

7. En premier lieu, il résulte des termes même de l'article L. 2102-22 du code des transports, cités au point 2, que le législateur a entendu garantir aux salariés dont le contrat de travail est transféré, dans les conditions qu'il a spécifiées et qui sont rappelées ci-dessus, qu'ils continueront à relever du régime spécial de sécurité sociale dont ils bénéficiaient au seul titre des pensions et prestations de retraite. Il s'ensuit que, comme il a été dit au point 4, les salariés concernés relèvent, pour les autres risques, du régime général de la sécurité sociale. Ils ne peuvent notamment prétendre continuer à bénéficier, au titre de ces dispositions, du régime de prévoyance qui leur était jusqu'alors applicable. Par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait méconnu la portée des dispositions de l'article L. 2102-22 du code des transports en édictant à leur égard des règles nouvelles en matière de prévoyance.

8. En deuxième lieu, le décret attaqué insère, au II de l'article 2 du décret du 28 juin 2007 relatif aux ressources de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF, un 4° bis prévoyant notamment que les cotisations vieillesse des salariés mentionnés à l'article L. 2102-22 du code des transports sont, en cas d'interruption d'activité pour maladie, maternité, paternité ou adoption et en cas de bénéfice d'une pension d'invalidité ou d'une rente pour accident du travail ou maladie professionnelle, calculées sur les éléments qui auraient servi à les déterminer si l'intéressé était resté en activité.

9. D'une part, le VI de l'article 2 du décret du 28 juin 2007, dans sa rédaction issue du décret attaqué, prévoit que les salariés mentionnés à l'article L. 2102-22 du code des transports sont assujettis au même taux de cotisation, au titre des ressources du régime de retraite, que les agents du cadre permanent de la SNCF et ses filiales relevant du I de l'article L. 2101-2 du code des transports.

10. D'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 7, les salariés concernés relèvent, pour les risques autres que de vieillesse, du régime général de la sécurité sociale. Ils n'ont, contrairement aux salariés continuant de relever du statut, pas vocation à bénéficier d'un maintien de rémunération par leur employeur en cas d'interruption d'activité pour les motifs mentionnés au point 8, mais des prestations du régime général, notamment sous forme d'indemnités journalières.

11. Par les dispositions mentionnées au point 8, le pouvoir réglementaire a entendu éviter que l'absence de maintien, pendant une telle période d'interruption d'activité, de la rémunération des intéressés par leur employeur ne se traduise par la suspension de leur constitution des droits au titre des pensions et prestations de retraite dont le législateur leur a conservé le bénéfice. La fédération requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il aurait, ce faisant, mis à leur charge un surcroît de cotisations indu ou commis une erreur manifeste d'appréciation.

12. En troisième lieu, les allocations " décès conjoint " et " décès enfant ", la prestation spéciale d'accompagnement ainsi que l'allocation de fin de carrière, instituées par le règlement du régime de prévoyance du personnel annexé au décret du 10 novembre 2010 visé ci-dessus, ne sont pas au nombre des prestations du régime spécial servies au titre des pensions et prestations de retraite, qui sont, comme il a été dit, les seules dont l'article L. 2102-22 du code des transport prévoit que les salariés transférés auxquels il s'applique continuent de bénéficier. La fédération requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que le décret attaqué, en excluant ces salariés du bénéfice de ces prestations, prises isolément ou globalement, méconnaîtrait les dispositions de cet article ou serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

13. En quatrième lieu, d'une part, le décret du 30 juin 2008 prévoit en son article 2 que tout agent affilié à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF peut demander sa " mise en réforme " en cas de maladie, blessure ou infirmité le mettant " dans l'impossibilité d'occuper un emploi dans l'établissement public industriel et commercial qui l'emploie ". Le décret attaqué complète ce décret d'un article 2 bis ayant pour objet d'instaurer au bénéfice des salariés transférés, qui ne peuvent plus prétendre à une pension de réforme, un régime équivalent de " pension de retraite de réforme " accordée à raison de leur état de santé et sans condition d'âge ni de durée de service. En subordonnant le bénéfice de la pension de retraite de réforme à l'existence d'une invalidité ou d'une incapacité réduisant d'au moins des deux tiers sa capacité de travail ou de gain, taux identique à celui prévu à l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale pour l'ouverture du droit à une pension d'invalidité du régime général, et en instaurant un mécanisme de plafonnement en cas de cumul d'une pension d'invalidité et d'une pension de retraite de réforme, afin que le montant total n'excède pas celui qu'aurait perçu l'intéressé s'il avait bénéficié de la seule pension de retraite de réforme, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu la portée de la loi ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.

14. D'autre part, le décret attaqué complète l'article 14 du décret du 30 juin 2008 de dispositions figurant au IV bis définissant les éléments de rémunération retenus pour le calcul de la pension des salariés transférés distincts de ceux retenus pour le calcul de la pension du personnel de la SNCF définis aux I à IV de ce même article. Il ressort des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas contesté que la structure de rémunération des salariés transférés n'est pas la même que celle du personnel relevant du statut, qui repose sur la distinction entre des éléments dits " non liquidables " et des éléments dits " liquidables " servant, pour ces derniers, d'assiette de calcul des cotisations vieillesse et intégrés dans le calcul de la pension. En prévoyant dans ces conditions que la rémunération servant d'assiette aux cotisations vieillesse des salariés transférés serait, pour leur assurer le bénéfice de leur droit au maintien des pensions et prestations de retraite du régime spécial, celle mentionnée à l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, en principe applicable aux travailleurs salariés, à laquelle serait appliqué un abattement médian par emploi-type à partir de la classification de branche issue du décret du 25 août 2021 précité fixant les classifications et les rémunérations dans la branche ferroviaire, le pouvoir règlementaire n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 2102-22 du code des transports et n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation. Il n'a pas davantage méconnu ces dispositions ni commis d'erreur manifeste d'appréciation en définissant, afin d'éviter les effets induits par une majoration du salaire de référence dans les derniers mois d'activité d'un agent transféré, une période de référence ne correspondant pas aux six derniers mois d'activité, comme c'est le cas pour les agents statutaires, mais à la moyenne des six ou douze derniers mois précédant l'avant-dernier mois de la cessation d'activité, déduction faite de certains éléments de rémunération exceptionnels.

15. En dernier lieu, les dispositions de l'article 14 du décret du 30 juin 2008, qui énoncent en leur IV bis, dans sa rédaction issue du décret attaqué, qu'" en cas de réduction ou d'interruption d'activité au cours de cette période de référence, la rémunération à retenir est celle qui aurait été perçue par l'intéressé s'il avait travaillé à temps plein ", n'opèrent aucune distinction quant à la cause de la réduction ou d'interruption d'activité. Par suite, le moyen tiré de ce que les absences liées à l'exercice du droit de grève ne seraient pas neutralisées, caractérisant ainsi une atteinte injustifiée à ce droit, ne peut qu'être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération CGT des Cheminots n'est pas fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être également rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la Fédération CGT des Cheminots est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération CGT des Cheminots, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Délibéré à l'issue de la séance du 23 février 2023 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat et Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 16 mars 2023.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 461974
Date de la décision : 16/03/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 mar. 2023, n° 461974
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 19/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:461974.20230316
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