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15/03/2023 | FRANCE | N°458526

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 15 mars 2023, 458526


Vu la procédure suivante :

Par une requête, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 novembre et 20 décembre 2021, 21 janvier 2022 et 8 novembre 2022, Mme H... R..., M. A... M... et l'association Ensemble pour la planète demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1201 du 17 septembre 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de

4000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

V...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 novembre et 20 décembre 2021, 21 janvier 2022 et 8 novembre 2022, Mme H... R..., M. A... M... et l'association Ensemble pour la planète demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1201 du 17 septembre 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1172 du 11 septembre 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le décret n° 2021-1161 du 8 septembre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de Mme R... et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique dans sa version applicable à la date du décret attaqué : " I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; (...) / III. Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. ". En outre, le 1° du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa version en vigueur à la date du décret litigieux, permettait au Premier ministre, à compter du 2 juin 2021 et jusqu'au 15 novembre 2021, et aux fins de lutter contre l'épidémie, d'imposer aux personnes souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, ainsi qu'aux personnels intervenant dans les services de transport concernés, de " présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 ". Par ailleurs, le 2° du A du II du même article permettait au Premier ministre, pendant la même période et pour les mêmes fins, de " subordonner à la présentation soit du résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d'un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 l'accès à certains lieux, établissements, services ou évènements où sont exercées des activités " qu'il énumérait.

2. Alors que l'état d'urgence sanitaire, déclenché depuis le 17 octobre 2020 sur l'ensemble du territoire national en application de l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, avait pris fin le 1er juin 2021, hormis en Guyane, conduisant à une modification des mesures prises pour lutter contre l'épidémie avec l'adoption de la loi du 31 mai 2021, il a été de nouveau déclaré dans la plupart des collectivités d'outre-mer et en Nouvelle Calédonie à compter du 9 septembre 2021, en raison de l'évolution de la situation sanitaire de ce territoire, en application de l'article 1er du décret du 8 septembre 2021. Sa prorogation jusqu'au 15 novembre 2021 a été autorisée en application de l'article 1er de la loi du 11 septembre 2021 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire dans les outre-mer.

3. Sur le fondement des dispositions mentionnées au point 1, le V de l'article 23-2 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa version issue du décret modificatif du 17 septembre 2021, dispose que : " V. - Toute personne de douze ans ou plus souhaitant se déplacer à destination de la Nouvelle-Calédonie (...) en provenance du reste du territoire national doit justifier que son déplacement est fondé sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé. / Elle doit être munie des documents permettant de justifier du motif de son déplacement ainsi que : / 1° D'une déclaration sur l'honneur attestant : / - qu'elle accepte qu'un test ou examen de dépistage mentionné au 1° de l'article 2-2 puisse être réalisé à son arrivée ; / - du lieu dans lequel elle envisage d'effectuer la mesure de quarantaine ou d'isolement mentionnée au II de l'article 24, accompagnée, si le lieu choisi n'est pas mis à disposition par l'administration, de tout justificatif permettant d'en attester l'adresse et l'accessibilité pour les agents de contrôle, ainsi que de son engagement à réaliser, au terme de cette période, un examen de dépistage mentionné au 1° de l'article 2-2 ; / 2° A destination de la Nouvelle-Calédonie, d'un justificatif de son statut vaccinal délivré dans les conditions mentionnées au 2° de l'article 2-2 ou, pour les personnes âgées de douze à dix-sept ans et les personnes présentant une contre-indication médicale reconnue dans les conditions prévues à l'article 2-4, du résultat d'un examen de dépistage mentionné au 1° de l'article 2-2 réalisé moins de 72 heures avant le déplacement ou d'un test mentionné à ce même 1° réalisé moins de 48 heures avant le déplacement (...) ". Eu égard aux moyens qu'ils soulèvent, les requérants doivent être regardés comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions du 2° en tant seulement qu'elles subordonnent les déplacements vers la Nouvelle-Calédonie des personnes de plus de dix-sept ans et ne présentant pas de contre-indication médicale à la vaccination contre la covid-19 à l'obligation de présenter un justificatif de statut vaccinal.

4. En premier lieu, les dispositions du 1° du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, éclairées par les travaux parlementaires, ne font pas obstacle à ce que le Premier ministre impose, pour les déplacements vers une collectivité d'outre-mer, la présentation d'un justificatif qu'il détermine parmi les trois qu'elles énumèrent, ou de plusieurs d'entre eux, dès lors que ce choix est justifié par la nécessité de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 et proportionné au regard des risques pour la santé publique. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le Premier ministre n'était pas compétent pour subordonner les déplacements à destination de la Nouvelle Calédonie et en provenance du reste du territoire national à la justification d'un schéma vaccinal complet, s'agissant des personnes âgées de plus de 17 ans et ne présentant pas de contre-indication médicale, doit être écarté.

5. En deuxième lieu, l'article 133 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie dispose que : " I. - Le gouvernement est consulté par le haut-commissaire sur : / 1° Les projets de décrets comportant des dispositions spécifiques à la Nouvelle-Calédonie ; (...) Le gouvernement émet son avis dans le délai d'un mois, ramené à quinze jours en cas d'urgence. A l'expiration de ce délai, l'avis est réputé donné. / Lorsque l'avis du gouvernement est demandé en urgence par le haut-commissaire, la question est inscrite à l'ordre du jour de la première séance du gouvernement qui suit la réception de la demande ". Il résulte de ces dispositions que le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie doit, en principe, être consulté sur les projets de décrets comportant des dispositions adaptées aux particularités de cette collectivité ou ne concernant qu'elle, et qui ne se bornent pas à reproduire les termes de la loi ou à en tirer les conséquences nécessaires, ou à habiliter le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie à adapter localement des mesures prises au niveau national. Cette consultation constitue une garantie pour le territoire.

6. Il ressort des pièces du dossier que la situation épidémiologique de la Nouvelle-Calédonie s'est fortement dégradée à partir du mois de septembre 2021, avec l'arrivée du variant " Delta " dans ce territoire jusqu'alors épargné par l'épidémie, ce qui a conduit à la déclaration de l'état d'urgence sanitaire par décret à compter du 9 septembre 2021 puis par la loi à compter du 13 septembre suivant. Les capacités hospitalières limitées de ce territoire, déjà quasiment saturées à la date du décret attaqué pour ce qui concerne les lits de réanimation dotés du matériel et du personnel nécessaires, le taux de vaccination de la population générale très faible, de l'ordre de 29 %, la vulnérabilité d'une partie de la population en raison de la prévalence élevée de causes de comorbidité, ainsi que l'insularité, l'éloignement du reste du territoire national et la fermeture des frontières des pays voisins les mieux équipés, commandaient de prendre en urgence des mesures destinées à limiter le risque que des personnes contaminées et contagieuses ne pénètrent sur ce territoire. Dans la mesure où la procédure de consultation en urgence prévue à l'article 133 de la loi organique du 19 mars 1999 accorde au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie un délai de quinze jours pour rendre son avis, délai incompatible avec l'urgence de la situation sanitaire, le Premier ministre pouvait légalement prendre le décret litigieux le 17 septembre 2021 sans procéder à cette consultation préalable.

7. En troisième et dernier lieu, au vu, d'une part, de la forte dégradation de la situation sanitaire sur le territoire de la Nouvelle Calédonie et des graves conséquences qui pouvaient en résulter eu égard aux caractéristiques particulières de ce territoire et de sa population, telles que précédemment décrites, d'autre part, de l'efficacité avérée de la vaccination pour ce qui concerne tant la limitation des formes graves de la maladie que la contagiosité et, enfin, du caractère très majoritairement bénin des effets secondaires du vaccin, la mesure critiquée, qui ne s'applique pas aux personnes de moins de 17 ans, ni à celles qui présentent une contre-indication médicale justifiée à la vaccination, n'a pas porté une atteinte injustifiée, inadéquate ou disproportionnée à la liberté d'aller et de venir ni, en tout état de cause, à la liberté de conscience.

8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée en défense, la requête présentée par Mme R... et autres doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de Mme R... et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme H... R..., première requérante dénommée pour l'ensemble des requérants, et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Délibéré dans la séance du 13 février 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. N... I..., Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Q... F..., M. K... C..., M. L... D..., M. B... E..., Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 15 mars 2023.

La présidente :

Signé : Mme S... G...

La rapporteure :

Signé : Mme P... J...

La secrétaire :

Signé : Mme O... T...


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 458526
Date de la décision : 15/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 mar. 2023, n° 458526
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:458526.20230315
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