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15/03/2023 | FRANCE | N°452317

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 15 mars 2023, 452317


Vu la procédure suivante :

La société Barney Production a demandé au tribunal administratif de Paris la restitution d'un crédit d'impôt pour dépenses de production déléguée d'œuvres cinématographiques d'un montant de 59 458 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2017. Par un jugement n° 1911407 du 24 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20PA02368 du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Barney Production contre ce jugement.

Par un pourvoi somm

aire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai et 4 août 2021 au secrétariat...

Vu la procédure suivante :

La société Barney Production a demandé au tribunal administratif de Paris la restitution d'un crédit d'impôt pour dépenses de production déléguée d'œuvres cinématographiques d'un montant de 59 458 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2017. Par un jugement n° 1911407 du 24 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20PA02368 du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Barney Production contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai et 4 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Barney Production demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la décision C (2006)832 de la Commission européenne du 22 mars 2006 ;

- la décision C (2016) 1684 de la Commission européenne du 18 mars 2016 ;

- le code général des impôts ;

- le code du cinéma et de l'image animée ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme A... de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Barney Production ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Barney Production a demandé le remboursement d'un crédit d'impôt de 59 458 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2017 à raison du film " Vent du Nord " qu'elle a coproduit. L'administration fiscale a rejeté sa demande notamment à raison du dépassement du plafond d'aides publiques institué par les dispositions du VII de l'article 220 sexies du code général des impôts. La société Barney Production se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 mars 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 24 juin 2020 rejetant sa demande de restitution de ce crédit d'impôt.

2. Le I de l'article 220 sexies du code général des impôts dispose que : " Les entreprises de production cinématographique et les entreprises de production audiovisuelle soumises à l'impôt sur les sociétés qui assument les fonctions d'entreprises de production déléguées peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de production mentionnées au III correspondant à des opérations effectuées en vue de la réalisation d'œuvres cinématographiques de longue durée ou d'œuvres audiovisuelles agréées ". Le VII du même article prévoit que : " Les crédits d'impôt obtenus pour la production d'une même œuvre cinématographique ou audiovisuelle ne peuvent avoir pour effet de porter à plus de 50 % du budget de production le montant total des aides publiques accordées. Ce seuil est porté à 60 % pour les œuvres cinématographiques ou audiovisuelles difficiles et à petit budget définies par décret ".

3. L'article 220 sexies du code général des impôts, issu de l'article 109 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, vise à modifier les conditions d'obtention et d'éligibilité au crédit d'impôt pour dépenses de production cinématographique et audiovisuelle afin d'assurer la conformité du dispositif avec les règles européennes relatives aux aides d'Etat. Le régime d'aide au cinéma et à l'audiovisuel instauré par ces dispositions a été déclaré compatible avec les traités européens par la décision C (2006) 832 de la Commission européenne du 22 mars 2006. Il a été approuvé jusqu'au 31 décembre 2022 par la décision C (2016) 1684 de la Commission européenne du 18 mars 2016.

4. Il résulte de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que sont considérées comme des aides d'Etat les interventions de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat qui sont susceptibles d'affecter les échanges entre États membres, en accordant un avantage à son bénéficiaire ayant pour conséquence de fausser ou de menacer de fausser la concurrence. Sont considérées comme des aides les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui sont à considérer comme un avantage économique que l'entreprise bénéficiaire n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché.

5. Il ressort des énonciations non contestées de l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Paris que le film " Vent du Nord ", produit par la société requérante, qui répond à la qualification de film dit " difficile ", est éligible au crédit d'impôt institué par les dispositions, citées au point 2, de l'article 220 sexies du code général des impôts sous réserve que ce crédit d'impôt n'ait pas pour effet de porter à plus de 60 % du budget de production le montant total des aides publiques accordées.

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en exécution d'une convention de financement, conclue le 29 août 2016, l'association Pictanovo, organisme institué par la région des Hauts-de-France pour promouvoir la création cinématographique sur son territoire, a versé à la société Barney Production une somme de 150 000 euros pour participer au financement du film " Vent du Nord ". Ce contrat organise un partage des recettes nettes du film permettant à l'association de percevoir 8,42 % des recettes nettes mondiales jusqu'au remboursement de la somme versée, puis 6 % de ces recettes. En revanche, il ne lui donne pas la qualité de coproducteur, la société Barney Production demeurant seule propriétaire des éléments corporels et incorporels de l'œuvre. En se fondant sur ces éléments pour en déduire que la somme versée par l'association Pictanovo pour le financement du film " Vent du Nord " avait le caractère d'une aide publique sans rechercher si et dans quelle mesure cette somme constituait un avantage que la société Barney Production n'aurait pu obtenir dans les conditions normales du marché, la cour a commis une erreur de droit.

7. En second lieu, il résulte des dispositions, citées au point 2, de l'article 220 sexies du code général des impôts que le respect du seuil, selon le cas, de 50 % ou de 60 % du coût définitif de production de l'œuvre par le montant total des aides publiques accordées pour la production d'un film a le caractère d'une règle de plafonnement. Il s'ensuit qu'en jugeant que le crédit d'impôt dont la société requérante demandait le remboursement devait, en cas de franchissement du seuil ainsi prévu, être remis en cause dans sa totalité, et non pas seulement pour la fraction excédant ce plafond, la cour a commis une seconde erreur de droit.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 18 mars 2021 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : L'Etat versera à la société Barney Production la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Barney Production et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 février 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 15 mars 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-08-01 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. - REVENUS ET BÉNÉFICES IMPOSABLES - RÈGLES PARTICULIÈRES. - BÉNÉFICES INDUSTRIELS ET COMMERCIAUX. - CALCUL DE L'IMPÔT. - CRÉDIT D’IMPÔT POUR DÉPENSES DE PRODUCTION CINÉMATOGRAPHIQUE ET AUDIOVISUELLE (ART. 220 SEXIES DU CGI) – OCTROI N’AYANT PAS POUR EFFET DE PORTER LE MONTANT TOTAL DES AIDES PUBLIQUES AU-DESSUS D’UN SEUIL DE 50 OU 60 % DES DÉPENSES DE PRODUCTION – 1) CALCUL – AIDES À PRENDRE EN COMPTE – A) CRITÈRES – INTERVENTIONS SUSCEPTIBLES DE FAVORISER DES ENTREPRISES OU CONSTITUANT UN AVANTAGE ÉCONOMIQUE QUE LE BÉNÉFICIAIRE N'AURAIT PAS OBTENU DANS DES CONDITIONS NORMALES DE MARCHÉ – B) ILLUSTRATION – CAS D’UNE AVANCE SUR RECETTES – 2) A) NATURE – RÈGLE DE PLAFONNEMENT – B) FRANCHISSEMENT – CONSÉQUENCE – REMISE EN CAUSE DU CRÉDIT D’IMPÔT POUR LA SEULE FRACTION EXCÉDANT CE PLAFOND.

19-04-02-01-08-01 VII de l’article 220 sexies du code général des impôts (CGI) disposant que les crédits d'impôt obtenus pour la production d'une même œuvre cinématographique ou audiovisuelle ne peuvent avoir pour effet de porter à plus de 50 % du budget de production le montant total des aides publiques accordées, seuil porté à 60 % pour les œuvres difficiles et à petit budget définies par décret....1) a) Il résulte de l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) que sont considérées comme des aides d’Etat les interventions de l’Etat ou au moyen de ressources d’Etat qui sont susceptibles d'affecter les échanges entre États membres, en accordant un avantage à son bénéficiaire ayant pour conséquence de fausser ou de menacer de fausser la concurrence. ...Sont considérées comme des aides les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui sont à considérer comme un avantage économique que l'entreprise bénéficiaire n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché....b) Requérant ayant produit un film dit « difficile », éligible au crédit d’impôt sous réserve que ce crédit d’impôt n’ait pas pour effet de porter à plus de 60 % du budget de production le montant total des aides publiques accordées. ...En exécution d’une convention de financement, l’association X, organisme institué par la région des Hauts-de-France pour promouvoir la création cinématographique sur son territoire, a versé à la société requérante une somme de 150 000 euros pour participer au financement de ce film. Ce contrat organise un partage des recettes permettant à l’association de percevoir 8,42 % des recettes nettes mondiales jusqu’au remboursement de la somme versée, puis 6% de ces recettes. En revanche, il ne lui donne pas la qualité de coproducteur, la société requérante demeurant seule propriétaire des éléments corporels et incorporels de l’œuvre. ...En se fondant sur ces éléments pour en déduire que la somme versée par l’association X pour le financement de ce film avait le caractère d’une aide publique sans rechercher si et dans quelle mesure cette somme constituait un avantage que la société requérante n’aurait pu obtenir dans les conditions normales du marché, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit....2) a) Il résulte de l’article 220 sexies du CGI que le respect du seuil, selon le cas, de 50 % ou de 60 % du coût définitif de production de l’œuvre par le montant total des aides publiques accordées pour la production d’un film a le caractère d’une règle de plafonnement. ...b) En cas de franchissement du seuil ainsi prévu, le crédit d’impôt ne peut être être remis en cause dans sa totalité, mais seulement pour la fraction excédant ce plafond.


Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 15 mar. 2023, n° 452317
Mentionné aux tables du recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Myriam Benlolo Carabot
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH

Origine de la décision
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Date de la décision : 15/03/2023
Date de l'import : 17/03/2023

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 452317
Numéro NOR : CETATEXT000047313893 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2023-03-15;452317 ?
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