Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° RG 21/00477 du 7 juillet 2022, le juge de la mise en état de la 1ère chambre civile du tribunal judiciaire de Niort a sursis à statuer sur le litige opposant la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Nouvelle-Aquitaine à M. E... D..., M. B... D..., M. F... C... et à la société à responsabilité limitée F... C... relatif à la cession de parts sociales de la société civile d'exploitation agricole (SCEA) F... C... en Ré et a invité les parties à saisir le juge administratif de la question de la légalité du décret n° 2019-639 du 24 juin 2019 autorisant la SAFER Nouvelle-Aquitaine à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l'offre amiable avant adjudication volontaire.
Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 7 septembre, 14 novembre, 30 novembre et 14 décembre 2022, M. E... D... et M. B... D..., agissant en exécution de cette ordonnance, demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'apprécier la légalité de ce décret et de déclarer qu'il est entaché d'illégalité ;
2°) de mettre à la charge de la SAFER Nouvelle-Aquitaine la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son premier protocole additionnel ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat des consorts D... et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural Nouvelle-Aquitaine;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 janvier 2023, présentée par les consorts D... ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une ordonnance du 7 juillet 2022, le juge de la mise en état de la 1ère chambre civile du tribunal judiciaire de Niort, saisi d'un litige opposant la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Nouvelle-Aquitaine à M. E... D..., M. B... D..., M. F... C... et à la société à responsabilité limitée F... C... relatif à la cession de parts sociales de la société civile d'exploitation agricole (SCEA) F... C... en Ré, a sursis à statuer jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur la question préjudicielle relative à la légalité, au regard de l'article L. 143-7 du code rural et de la pêche maritime, du II de l'article R. 143-1 de ce code et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du décret du 24 juin 2019 autorisant cette SAFER à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l'offre amiable avant adjudication volontaire en ce que l'article 1er de ce décret ne précise ni les zones, au sein des départements qu'il vise, dans lesquelles le droit de préemption peut s'exercer, ni la superficie minimale des terrains pouvant être préemptés.
2. Aux termes du I de l'article L. 143-7 du code rural et de la pêche maritime : " En vue de la définition des conditions d'exercice du droit de préemption mentionné à l'article L. 143-1, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural saisit l'autorité administrative compétente de l'État d'une demande indiquant les zones dans lesquelles elle estime nécessaire de pouvoir exercer ce droit et, le cas échéant, la superficie minimale des terrains auxquels il devrait s'appliquer. Cette autorité recueille l'avis des commissions départementales d'orientation de l'agriculture et des chambres d'agriculture compétentes dans la zone considérée et consulte le public dans des conditions permettant de recueillir ses observations. Au vu de ces avis et de la synthèse des résultats de la consultation du public, les conditions d'exercice du droit de préemption sont fixées par décret pour chaque société d'aménagement foncier et d'établissement rural ". Aux termes du II de l'article R. 143-1 du même code : " Le décret qui confère à une société d'aménagement foncier et d'établissement rural le droit de préemption mentionné par l'article L. 143-1 est pris sur proposition du ministre chargé de l'agriculture. / Il détermine les zones au sein desquelles le droit de préemption peut s'exercer et les circonscriptions administratives au sein desquelles elles se situent. Le cas échéant, il fixe pour tout ou partie de ces zones, la superficie minimale des terrains auxquels il peut s'appliquer ".
3. Sur le fondement de ces dispositions, le décret du 24 juin 2019 a autorisé la SAFER Nouvelle-Aquitaine à exercer le droit de préemption sur tous les biens, terrains, bâtiments et droits entrant dans le champ d'application de l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime et situés dans les départements de la Charente, de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres, de la Vienne, de la Corrèze, de la Creuse, de la Haute-Vienne, de la Dordogne, de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques.
4. Les dispositions mentionnées au point 2 ne s'opposent pas à ce que le droit de préemption mentionné à l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime, qui ne s'applique que pour l'aliénation de certains biens et dans les conditions prévues par cet article, puisse s'exercer sur une zone couvrant un ou plusieurs départements. Elles ne font par ailleurs pas obligation que le décret fixant les conditions d'exercice de ce droit de préemption détermine une superficie minimale des terrains auxquels il devrait s'appliquer. Le décret litigieux ne méconnaît dès lors pas ces dispositions en ce que, pour déterminer les zones au sein desquelles il confère à la SAFER Nouvelle-Aquitaine, à son article 1er, le droit de préemption prévu à l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime, il mentionne les départements de la région, sans autre précision sur les zones au sein desquelles le droit de préemption pourrait s'exercer dans chacun d'entre eux ou sur une superficie minimale des terrains pouvant être préemptés. Il ne méconnaît pas davantage l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts D... ne sont pas fondés à soutenir que le décret du 24 juin 2019 autorisant la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural Nouvelle-Aquitaine à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l'offre amiable avant adjudication volontaire est entaché d'illégalité, sans qu'aient à être examinés les autres moyens qu'ils soulèvent, qui sont irrecevables dès lors qu'ils excèdent la portée de la question renvoyée par le tribunal judiciaire de Niort et rappelée au point 1.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la SAFER Nouvelle-Aquitaine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des consorts D... la somme que la société demande au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Il est déclaré que l'exception d'illégalité du décret n° 2019-639 du 24 juin 2019 autorisant la SAFER Nouvelle-Aquitaine à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l'offre amiable avant adjudication volontaire soulevée par les consorts D... et autres devant le tribunal judiciaire de Niort n'est pas fondée.
Article 2 : Les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. E... D..., pour l'ensemble des défendeurs devant le tribunal judiciaire de Niort, à la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural Nouvelle-Aquitaine, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et au tribunal judiciaire de Niort.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 janvier 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes et Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Alain Seban, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux et M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 17 février 2023.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
La rapporteure :
Signé : Mme Agnès Pic
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber