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17/02/2023 | FRANCE | N°456157

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 17 février 2023, 456157


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 août et le 30 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Réseau sortir du nucléaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-851 du 29 juin 2021 portant dérogation à l'article R. 151-20 du code de l'urbanisme ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;

- le co...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 août et le 30 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Réseau sortir du nucléaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-851 du 29 juin 2021 portant dérogation à l'article R. 151-20 du code de l'urbanisme ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin avocats, avocat de l'association Réseau sortir du nucléaire ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 151-20 du code de l'urbanisme : " Les zones à urbaniser sont dites 'zones AU'. Peuvent être classés en zone à urbaniser les secteurs destinés à être ouverts à l'urbanisation. Lorsque les voies ouvertes au public et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate d'une zone AU ont une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone et que des orientations d'aménagement et de programmation et, le cas échéant, le règlement en ont défini les conditions d'aménagement et d'équipement, les constructions y sont autorisées soit lors de la réalisation d'une opération d'aménagement d'ensemble, soit au fur et à mesure de la réalisation des équipements internes à la zone prévus par les orientations d'aménagement et de programmation et, le cas échéant, le règlement. Lorsque les voies ouvertes au public et les réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate d'une zone AU n'ont pas une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone, son ouverture à l'urbanisation est subordonnée à une modification ou à une révision du plan local d'urbanisme comportant notamment les orientations d'aménagement et de programmation de la zone. "

2. Le décret du 29 juin 2021 crée dans le code de l'urbanisme un article R. 151-20-1, qui dispose que : " Par dérogation à l'article R. 151-20, dans le périmètre d'une opération d'intérêt national destinée à accueillir une installation nucléaire de base telle que définie à l'article L. 593-2 du code de l'environnement, les dispositions qui subordonnent l'ouverture à l'urbanisation des zones "AU" à l'existence dans leur périphérie immédiate de voies et réseaux suffisants ne s'appliquent pas aux constructions, travaux, installations et aménagements nécessaires à la mise en œuvre de cette installation. " Aux termes de l'article L. 593-2 du code de l'environnement, dans leur rédaction applicable à la date du décret attaqué : " Les installations nucléaires de base sont : 1° Les réacteurs nucléaires ; / 2° Les installations, répondant à des caractéristiques définies par décret en Conseil d'Etat, de préparation, d'enrichissement, de fabrication, de traitement ou d'entreposage de combustibles nucléaires ou de traitement, d'entreposage ou de stockage de déchets radioactifs ; / 3° Les installations contenant des substances radioactives ou fissiles et répondant à des caractéristiques définies par décret en Conseil d'Etat ; / 4° Les accélérateurs de particules répondant à des caractéristiques définies par décret en Conseil d'Etat ; / 5° Les centres de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs mentionnés à l'article L. 542-10-1. " L'article R. 102-3 du code de l'urbanisme définit, par ailleurs, les travaux qui constituent des opérations d'intérêt national au sens de l'article L. 102-12 du même code. Les dispositions de l'article R. 151-20-1 du code de l'urbanisme, issues du décret attaqué et dont l'association requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir, définissent un régime particulier d'ouverture à l'urbanisation des zones à urbaniser lorsque sont concernés des constructions, travaux, installations et aménagements nécessaires à la mise en œuvre d'une installation nucléaire de base définie à l'article L. 593-2 du code de l'environnement, lorsque ces travaux sont situés dans le périmètre d'une opération d'intérêt national au sens de l'article L. 102-12 et R. 102-3 du code de l'urbanisme destinée à accueillir une telle installation, en dispensant, lorsqu'il n'existe pas de voies de desserte et de réseaux suffisants dans la périphérie immédiate de la zone concernée, de procéder à une modification ou révision du plan local d'urbanisme.

Sur les moyens de légalité externe :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 2 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement sont, pour son application, des plans et programmes " des plans et programmes, (...) : - élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local ou élaborés par une autorité en vue de leur adoption par le parlement ou par le gouvernement, par le biais d'une procédure législative, et - exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives (...) ". L'article 3 prévoit qu'une évaluation environnementale est nécessaire " 2. pour tous les plans et programmes: a) qui sont élaborés pour les secteurs de l'agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l'énergie, de l'industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l'eau, des télécommunications, du tourisme, de l'aménagement du territoire urbain et rural ou de l'affectation des sols et qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE pourra être autorisée à l'avenir ; ou b) pour lesquels, étant donné les incidences qu'ils sont susceptibles d'avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43/CEE. (...) 4. Pour les plans et programmes, autres que ceux visés au paragraphe 2, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre des projets pourra être autorisée à l'avenir, les Etats membres déterminent s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ".

4. Selon l'article L. 122-4 du code de l'environnement, qui transpose les dispositions de la directive du 27 juin 2001 : " (...) II. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique : / 1° Les plans et programmes qui sont élaborés dans les domaines de l'agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de l'énergie, de l'industrie, des transports, de la gestion des déchets, de la gestion de l'eau, des télécommunications, du tourisme ou de l'aménagement du territoire et qui définissent le cadre dans lequel les projets mentionnés à l'article L. 122-1 pourront être autorisés ; (...) / III. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique ou après examen au cas par cas par l'autorité environnementale : / 1° Les plans et programmes mentionnés au II qui portent sur des territoires de faible superficie s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ; / 2° Les plans et programmes, autres que ceux mentionnés au II, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre de projets pourra être autorisée si ces plans sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement (...) ". L'article L. 122-5 du même code prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat précise notamment " 1° La liste des plans et programmes soumis à évaluation environnementale de manière systématique ou à un examen au cas par cas, en application des II et III de l'article L. 122-4 et les conditions de son actualisation annuelle ; / 2° Les conditions dans lesquelles, lorsqu'un plan ou programme relève du champ du II ou du III de l'article L. 122-4 mais ne figure pas sur la liste établie en application du 1°, le ministre chargé de l'environnement décide, pour une durée n'excédant pas un an, de le soumettre à évaluation environnementale systématique ou à examen au cas par cas (...) ".

5. Pour l'application de ces dispositions, l'article R. 122-17 du même code fixe la liste des plans, schémas, programmes et autres documents de planification devant, systématiquement, ou à la suite d'un examen au cas par cas, faire l'objet d'une évaluation environnementale au titre du II et du III de l'article L. 122-4 cité ci-dessus. Il précise que " Lorsqu'un plan ou un programme relevant du champ du II ou du III de l'article L. 122-4 ne figure pas dans les listes établies en application du présent article, le ministre chargé de l'environnement, de sa propre initiative ou sur demande de l'autorité responsable de l'élaboration du projet de plan ou de programme, conduit un examen afin de déterminer si ce plan ou ce programme relève du champ de l'évaluation environnementale systématique ou d'un examen au cas par cas, en application des dispositions du IV de l'article L. 122-4. / L'arrêté du ministre chargé de l'environnement soumettant un plan ou un programme à évaluation environnementale systématique ou après examen au cas par cas est publié au Journal officiel de la République française et mis en ligne sur le site internet du ministère chargé de l'environnement (...) ".

6. Les dispositions litigieuses du décret attaqué, qui modifient ponctuellement le régime de l'urbanisation des zones destinées à accueillir des constructions, travaux, installations et aménagements nécessaires à la mise en œuvre d'une installation nucléaire de base définie à l'article L. 593-2 du code de l'environnement dans le périmètre d'une opération d'intérêt national destinée à accueillir une telle installation, ne sont pas au nombre des plans, schémas, programmes et autres documents de planification devant systématiquement ou à la suite d'un examen au cas par cas faire l'objet d'une évaluation environnementale au titre du II et du III de l'article L. 122-4 définie par l'article R. 122-17 du code de l'environnement et ne sont donc pas soumises à une obligation d'évaluation environnementale systématique ou au cas par cas. Par ailleurs, la directive 2001/42/CE du Parlement Européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement ayant été entièrement transposée en droit interne, l'association requérante ne saurait utilement invoquer les objectifs qu'elle fixe pour soutenir que le décret attaqué aurait dû être précédé d'une évaluation environnementale.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". Le respect du principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement s'apprécie au regard des dispositions législatives prises afin de préciser, pour ce type de décisions, les conditions et les limites d'applicabilité de ce principe. Ainsi, aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas aux décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent les décisions mentionnées à l'alinéa précédent soumises à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif (...) ".

8. Eu égard à son objet et à ses effets, le décret attaqué, qui n'a ni pour objet ni pour effet de dispenser les travaux et opérations susceptibles d'être réalisés dans le périmètre qu'il mentionne des obligations auxquelles ils peuvent être soumis, notamment au titre du code de l'environnement, n'est pas, par lui-même, susceptible d'avoir une incidence directe et significative sur l'environnement telle qu'il aurait dû être soumis à participation du public en application des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement.

Sur les moyens de légalité interne :

9. En premier lieu, si, en vertu du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales " s'administrent librement " dans les conditions définies par la loi, les dispositions litigieuses, qui se contentent de modifier les possibilités d'ouverture à l'urbanisation de certaines zones à urbaniser, sont sans effet sur la libre administration des collectivités territoriales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 72 de la Constitution est inopérant.

10. En deuxième lieu, les dispositions litigieuses ne modifient nullement les conditions dans lesquelles la réalisation de constructions, travaux, installations et aménagements nécessaires à une installation nucléaire de base, susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement, pourrait être soumise à des obligations en termes de participation du public. Par suite, elles ne méconnaissent pas le principe de participation du public résultant de l'article 7 de la Charte de l'environnement.

11. En troisième lieu, les moyens tirés de l'existence d'un détournement de procédure et d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'édiction du décret attaqué ne sont pas assortis de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

12. Enfin, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

13. Il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font par suite obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'association Réseau sortir du nucléaire est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Réseau sortir du nucléaire et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 janvier 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 17 février 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 456157
Date de la décision : 17/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 fév. 2023, n° 456157
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Rozen Noguellou
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SAS HANNOTIN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:456157.20230217
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