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10/02/2023 | FRANCE | N°468884

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 10 février 2023, 468884


Vu la procédure suivante :

M. C... B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges, d'une part, d'annuler l'arrêté du 1er mars 2021 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de renvoi et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou à défaut de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jo

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Vu la procédure suivante :

M. C... B... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges, d'une part, d'annuler l'arrêté du 1er mars 2021 par lequel la préfète de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de renvoi et, d'autre part, d'enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou à défaut de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par un jugement n° 2100809 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21BX04424 du 13 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. B... A... contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 14 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la SCP Leduc, Vigand, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Par un mémoire, enregistré le 14 novembre 2022, présenté en application de l'article R. 771-16 du code de justice administrative, M. B... A... conteste le refus qui lui a été opposé par la cour administrative d'appel de Bordeaux de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction issue de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Leduc, Vigand, avocat de M. B... A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 1er mars 2021, la préfète de la Haute-Vienne a refusé de délivrer un titre de séjour à M. B... A..., ressortissant comorien, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la demande de M. B... A... tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté. Par un arrêt du 13 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux, après avoir refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B... A... à l'encontre de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, a rejeté l'appel de M. B... A... contre ce jugement. M. B... A... se pourvoit en cassation contre cet arrêt et, par un mémoire distinct, présenté sur le fondement de l'article R. 771-16 du code de justice administrative, conteste le refus opposé par la cour administrative d'appel de Bordeaux à sa demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée.

Sur la contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Il résulte en outre des dispositions de l'article 23-5 de cette ordonnance que, lorsque le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. A l'appui de son pourvoi, M. B... A... demande au Conseil d'Etat, d'une part, d'annuler l'arrêt du 13 juillet 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée à l'encontre de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, d'autre part, de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

4. Aux termes de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue de la loi du 16 juin 2011, en vigueur du 18 juin 2011 au 26 mai 2014 : " Au sens des dispositions du présent code, l'expression "en France" s'entend de la France métropolitaine, des départements d'outre-mer, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ". Aux termes de l'article L. 111-2 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la même période : " Le présent code régit l'entrée et le séjour des étrangers en France métropolitaine, dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. / Il régit l'exercice du droit d'asile sur l'ensemble du territoire de la République. / Ses dispositions s'appliquent sous réserve des conventions internationales. / Les conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte (...) demeurent régies par les textes ci-après énumérés : / 1° Ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte (...) ".

5. M. B... A... soutient que les dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, citées au point précédent, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution en ce qu'elles excluent Mayotte de la liste des territoires devant s'entendre comme " en France ", faisant ainsi obstacle à ce qu'un étranger ayant résidé à Mayotte jusqu'en 2014, et sollicitant un titre de séjour sur la période de 2020 à 2024, puisse se prévaloir de la durée de résidence de dix ans en France requise par les dispositions des articles L. 313-14 et L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicables.

6. En premier lieu, le requérant soutient que les dispositions de l'article L. 111-3 précité portent atteinte au principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, en ce qu'elles créent une différence de traitement injustifiée entre les étrangers ayant séjourné à Mayotte et ceux ayant séjourné sur d'autres parties du territoire.

7. Toutefois, le régime de l'entrée et du séjour des étrangers défini par les dispositions contestées tend à prendre en compte une situation particulière tenant à l'éloignement et à l'insularité de la collectivité de Mayotte, ainsi qu'à l'importance des flux migratoires dont elle est spécifiquement l'objet et aux contraintes d'ordre public qui en découlent. Si, ainsi que le relève le requérant, Mayotte relève, depuis le 31 mars 2011, en application de l'article L.O. 3511-1 du code général des collectivités territoriales, du régime de l'identité législative prévu à l'article 73 de la Constitution, l'instauration d'un tel régime ne fait pas obstacle à ce que soient maintenues en vigueur sur ce territoire des dispositions législatives particulières qui y étaient antérieurement applicables. Il suit de là que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ne présente pas un caractère sérieux.

8. En deuxième lieu, le requérant soutient que les dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile portent atteinte à la liberté d'aller et venir, en ce que les enfants mineurs de nationalité française de ressortissants étrangers ne peuvent ni choisir librement leur résidence, ni demeurer dans le pays dont ils ont la nationalité lorsque leur parent étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français à défaut d'avoir pu se prévaloir d'une durée de résidence de dix ans en France. Mais les dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'ont en tout état de cause ni pour objet ni pour effet de régir l'éloignement du demandeur de titre de séjour et ne font par elles-mêmes pas obstacle à ce qu'un enfant français né de père ou de mère qui ne possède pas la nationalité française puisse voyager vers l'étranger pour suivre son parent. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté d'aller et de venir garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 est dépourvu de caractère sérieux.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, en jugeant qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, la cour administrative d'appel, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits. M. B... A... n'est dès lors pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant qu'il a refusé la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée.

Sur les autres moyens du pourvoi :

10. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

11. Pour demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux qu'il attaque, M. B... A... soutient qu'il est entaché :

- d'irrégularité, faute que lui ait été communiqué, en vertu des principes du contradictoire et des droits de la défense, le mémoire en défense de la préfète de la Haute-Vienne ;

- d'une dénaturation des pièces du dossier pour juger que le requérant ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;

- d'une contradiction de motifs, pour constater que la mère de l'enfant du requérant attestait que ce dernier s'était toujours occupé de son fils tout en estimant que cette attestation ne suffit pas à établir que M. B... A... s'occupait effectivement de son fils depuis sa naissance ;

- d'une erreur de droit pour juger, en conséquence de la dénaturation des pièces du dossier, que le requérant ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-11 précité ;

- d'erreur de droit, faute pour la cour d'avoir recherché si la participation effective de M. B... A... à l'entretien et à l'éducation de son fils était en rapport avec son impécuniosité ;

- d'erreur de droit, faute d'avoir pris en compte, pour apprécier si le requérant participait effectivement à l'entretien et à l'éducation de son fils, le jugement du juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Guéret au motif qu'il est postérieur à l'arrêté préfectoral attaqué du 1er mars 2021 refusant la délivrance d'un titre de séjour ;

- d'une inexacte qualification des faits, pour considérer que la circonstance que M. B... A... a pris part à l'entretien et à l'éducation de son fils ne suffit pas à le faire regarder comme ayant participé à l'entretien et l'éducation de ce dernier dans les conditions prévues par l'article 372-1 du code civil ;

- d'erreur de droit, pour juger que le préfet n'était pas tenu de saisir la commission des titres de séjour en application des dispositions de l'article L. 312-2 du CESEDA et des 6° et 7° de l'article L. 313-11 du même code ;

- d'erreur de droit, pour juger que M. B... A... ne remplissait pas la condition de résidence de dix ans posée par les dispositions combinées des articles L. 313-14, L. 511-4 et L. 111-3 du CESEDA et, en conséquence, pour juger que le préfet n'était pas tenu de saisir la commission des titres de séjour ;

- d'erreur de droit et, à tout le moins, d'une dénaturation des pièces du dossier, pour écarter le moyen tiré de ce que le refus de titre de séjour opposé par le préfet méconnaissait les stipulations de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- d'erreur de droit, pour refuser de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 111-3 du CESEDA ;

- d'erreur de droit, pour avoir fait application de l'article L. 111-3 précité alors que ces dispositions méconnaissent l'article 2 du protocole additionnel n° 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- d'insuffisance de motivation, faute de répondre au moyen tiré de l'inconventionnalité de l'article L. 111-3 du CESEDA ;

- d'erreur de droit, faute de faire droit aux conclusions en annulation des décisions lui portant obligation de quitter le territoire français, fixant le délai de départ volontaire à trente jours et décidant son éloignement, en conséquence de l'illégalité de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour.

12. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité opposé à M. B... A... par la cour administrative d'appel de Bordeaux est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. B... A... n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. C... B... A....

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 19 janvier 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 février 2023.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. Cédric Fraisseix

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 468884
Date de la décision : 10/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 10 fév. 2023, n° 468884
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cédric Fraisseix
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP LEDUC, VIGAND

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:468884.20230210
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