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10/02/2023 | FRANCE | N°449633

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 10 février 2023, 449633


Vu la procédure suivante :

Le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'ordonner à M. B... C..., géomètre-expert radié de l'ordre par une décision du 4 juin 2019, de lui remettre contre récépissé l'intégralité des documents et archives de son cabinet de géomètre-expert relatifs aux travaux exécutés en application du 1° de l'article 1er de la loi n° 46-942 du 7 mai 194

6. Par une ordonnance n° 2100718 du 25 janvier 2021, le juge des référés du t...

Vu la procédure suivante :

Le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'ordonner à M. B... C..., géomètre-expert radié de l'ordre par une décision du 4 juin 2019, de lui remettre contre récépissé l'intégralité des documents et archives de son cabinet de géomètre-expert relatifs aux travaux exécutés en application du 1° de l'article 1er de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946. Par une ordonnance n° 2100718 du 25 janvier 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 et 26 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à ses demandes ;

3°) de mettre à la charge de M. C... une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 46-942 du 7 mai 1946 ;

- le décret n° 96-478 du 31 mai 1996 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat du conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France a demandé à plusieurs reprises à M. B... C..., radié de l'ordre des géomètres-experts le 4 juin 2019, de lui transmettre les documents et archives de son cabinet, indispensables tant à ses anciens clients, pour la continuation de leurs affaires, qu'à M. D... A..., désigné comme tuteur pour superviser sa radiation. M. C... ayant opposé un refus persistant aux demandes qui lui ont été adressées, le conseil régional de l'ordre a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'intéressé de lui remettre contre récépissé l'intégralité des documents et archives de son cabinet. Par une ordonnance du 25 janvier 2021, le juge des référés a rejeté cette demande. Le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Saisi sur le fondement de ces dispositions d'une demande qui n'est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de sa compétence, le juge des référés peut prescrire toutes mesures que l'urgence justifie à la condition que ces mesures soient utiles et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse, et sous réserve qu'elles ne fassent pas obstacle à l'exécution d'une décision administrative.

3. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que pour rejeter la demande présentée par le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France, le juge des référés a relevé que ni l'urgence ni le caractère utile de la mesure sollicitée prévus par l'article L. 521-3 du code de justice administrative n'étaient démontrés par le requérant, faute de la production de l'accusé de réception du courrier du 2 juin 2020 attestant du refus de M. C... de communiquer les documents demandés. En statuant ainsi pour estimer que la mesure sollicitée ne répondait pas à la condition d'urgence, alors qu'il ressortait des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. C... n'avait pas donné suite à la demande de transmission de ses documents et archives qui lui avait été adressée par le président du Conseil de l'Ordre de Paris le 20 décembre 2019, qu'il s'était montré réticent à transmettre à ses anciens clients des documents demandés pour la continuation des affaires en cours et que le tuteur en charge de superviser sa radiation et de terminer ses dossiers en cours de traitement, avait fait part du manque de coopération de la part de M. C..., notamment pour la communication de ces dossiers, par un courrier du 3 novembre 2019 adressé au président du conseil régional de l'ordre, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a dénaturé les faits et les pièces du dossier.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France.

6. Aux termes de l'article 1er de la loi du 7 mai 1946 modifiée instituant l'ordre des géomètres-experts : " Le géomètre-expert est un technicien exerçant une profession libérale qui, en son propre nom et sous sa responsabilité personnelle : / 1° Réalise les études et les travaux topographiques qui fixent les limites des biens fonciers et, à ce titre, lève et dresse, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, les plans et documents topographiques concernant la définition des droits attachés à la propriété foncière, tels que les plans de division, de partage, de vente et d'échange des biens fonciers, les plans de bornage ou de délimitation de la propriété foncière (...) ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " Peuvent seuls effectuer les travaux prévus au 1° de l'article 1er les géomètres-experts inscrits à l'ordre conformément aux articles 3 et 26 (...) ". Ne figurent dans le champ du monopole ainsi défini que les prestations ayant directement pour objet la délimitation des biens fonciers et la définition des droits qui y sont attachés. L'article 15 de cette loi prévoit quant à lui que : " Le conseil régional de l'ordre surveille, dans sa circonscription, l'exercice de la profession de géomètre-expert. Il examine les problèmes qui s'y rapportent et peut en saisir le conseil supérieur de l'ordre. Il fait toutes les études qui lui sont demandées par le conseil supérieur et lui soumet toutes propositions utiles. Il assure la défense des intérêts matériels de l'ordre dans sa circonscription et en gère les biens. [...] Il doit prévenir et concilier toutes contestations ou conflits d'ordre professionnel. [...] " De plus, aux termes de l'article 55 du décret du 31 mai 1996 portant règlement de la profession de géomètre expert et code des devoirs professionnels : " Le géomètre expert conserve et tient à jour les documents et archives relatifs aux travaux exécutés en application du 1° de l'article 1er de la loi du 7 mai 1946 modifiée susvisée. / En cas de cessation d'activité, il les confie à un géomètre expert en activité. A défaut, il doit les remettre gratuitement au conseil régional de l'ordre, qui ne peut refuser de les prendre en dépôt. Le conseil régional en assure la conservation jusqu'à leur remise à un géomètre expert en activité. "

7. Il résulte des dispositions ainsi rappelées que le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts Paris-Ile-de-France, organisme de droit privé, a été chargé par le législateur de la mission de service public de contrôle de l'exercice de la profession de géomètre-expert, à laquelle est confié un monopole pour fixer les limites des biens fonciers, procéder à toutes opérations techniques ou études sur l'évaluation, le partage, la mutation ou la gestion de ces biens lorsque ces opérations ont pour but l'établissement de procès-verbaux, plans de bornage et autres plans destinés à être annexés à des actes authentiques, judiciaires ou administratifs pour constats, états de lieux ou division des biens dont il s'agit, de la défense des intérêts matériels de l'ordre de la circonscription, et de la prévention et de la conciliation de toutes contestations ou conflits d'ordre professionnel.

8. Il résulte de l'instruction qu'en dépit des démarches amiables menées par le président du conseil régional de l'ordre, parallèles à celles effectuées par le tuteur en charge de superviser sa radiation, M. C... n'a pas transmis les dossiers et archives de son ancien cabinet, dont le conseil régional de l'ordre demandait la restitution en application de l'article 55 du décret du 31 mai 1996. Or ces documents sont indispensables à la continuation des procédures de ses anciens clients et des éventuelles actions judiciaires en cours, comme en témoignent les multiples demandes adressées par les notaires, confrères et clients du défendeur auprès du conseil régional. Ainsi, en refusant de les transmettre, M. C... entrave le bon exercice par le conseil régional de l'ordre de sa mission de service public rappelée au point 7. Par suite, la restitution de ces documents présente un caractère utile et urgent, alors que le conseil régional de l'ordre ne dispose d'aucun moyen alternatif au présent recours permettant de le contraindre à les lui remettre par la voie administrative.

9. Dès lors, le conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France est fondé à demander, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, qu'il soit enjoint à M. C... de lui remettre l'ensemble des dossiers et des documents encore en sa possession. Compte tenu de la persistance du comportement du défendeur, il y a lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la date de notification à M. C... de la présente décision.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 25 janvier 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Melun est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à M. C... de communiquer au conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France l'intégralité des documents et archives de son cabinet, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de 30 jours à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : M. C... versera au conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Ile-de-France et à M. B... C....

Délibéré à l'issue de la séance du 19 janvier 2023 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 février 2023.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. Cédric Fraisseix

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 449633
Date de la décision : 10/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 fév. 2023, n° 449633
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cédric Fraisseix
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2023:449633.20230210
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