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29/12/2022 | FRANCE | N°455384

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 29 décembre 2022, 455384


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 9 août 2021 et le 9 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... P..., Mme G... F..., Mme R... M..., Mme L... O..., M. B... S..., M. Q... T..., M. A... W..., Mme U... N..., Mme K... Y..., Mme J... X..., Mme E... I..., Mme H... I... et M. D... I... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions des décrets n° 2021-724 du 7 juin 2021 et n° 2021-949 du 16 juillet 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescr

ivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 9 août 2021 et le 9 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... P..., Mme G... F..., Mme R... M..., Mme L... O..., M. B... S..., M. Q... T..., M. A... W..., Mme U... N..., Mme K... Y..., Mme J... X..., Mme E... I..., Mme H... I... et M. D... I... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions des décrets n° 2021-724 du 7 juin 2021 et n° 2021-949 du 16 juillet 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire en tant qu'elles fixent les obligations imposées aux personnes souhaitant se déplacer entre La Réunion et le reste du territoire national ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le décret n° 2021-931 du 13 juillet 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M. C... P..., de Mme G... F..., de Mme R... M..., de Mme L... O..., de M. B... S..., de M. Q... T..., de M. A... W..., de Mme U... N..., de Mme K... Y..., de Mme J... V..., de Mme E... I..., de Mme H... I... et de M. D... I... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du 1° du I de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa rédaction en vigueur à la date des décrets attaqués, le Premier ministre peut " aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 : / 1° Réglementer ou, dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus, interdire la circulation des personnes et des véhicules ainsi que l'accès aux moyens de transport collectif et les conditions de leur usage et, pour les seuls transports aériens et maritimes, interdire ou restreindre les déplacements de personnes et la circulation des moyens de transport, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux, professionnels et de santé (...) ". Conformément à l'article 3 de cette même loi, ces dispositions ne sont pas applicables dans les territoires où l'état d'urgence sanitaire est en vigueur. Il est alors fait application notamment du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, dans sa version en vigueur, disposant que :" I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l'accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; (...) ". Par ailleurs, en vertu du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, dans sa rédaction applicable en l'espèce, le Premier ministre peut aux mêmes fins, à compter du 2 juin 2021 et jusqu'au 30 septembre 2021, que l'état d'urgence sanitaire soit ou non en vigueur : " 1° Imposer aux personnes souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, ainsi qu'aux personnels intervenant dans les services de transport concernés, de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 (...) ".

2. Pris sur le fondement des dispositions mentionnées au point 1, le II de l'article 23-2 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans sa version issue du décret du 7 juin 2021, dispose que : " II.- Toute personne souhaitant se déplacer entre La Réunion ou Mayotte et le reste du territoire national doit, si elle est âgée de onze ans ou plus, être munie : / 1° Du résultat d'un examen de dépistage mentionné au 1° de l'article 2-2 réalisé moins de 72 heures avant le déplacement ou d'un test mentionné à ce même 1° réalisé moins de 48 heures avant le déplacement. Les seuls tests antigéniques pouvant être valablement présentés pour l'application du présent 1° sont ceux permettant la détection de la protéine N du SARS-CoV-2 ; / 2° Et d'un justificatif de son statut vaccinal délivré dans les conditions mentionnées au 2° de l'article 2-2. Par dérogation, un tel justificatif n'est pas requis pour les personnes mineures accompagnant une ou des personnes majeures qui en sont munies. Les déplacements des autres personnes n'en disposant pas ne sont autorisés que s'ils sont fondés sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé. Ces personnes doivent se munir des documents permettant de justifier du motif de leur déplacement et d'une déclaration sur l'honneur attestant : / - qu'elles acceptent qu'un test ou examen de dépistage mentionné au 1° de l'article 2-2 puisse être réalisé à leur arrivée ; / - qu'elles s'engagent à respecter un isolement prophylactique de sept jours après leur arrivée et à réaliser, au terme de cette période, un examen de dépistage mentionné au 1° de l'article 2-2. (...°) ". Le décret du 16 juillet 2021 a modifié cet article 23-2 afin de supprimer l'exigence de présentation d'un test négatif pour les personnes vaccinées se rendant en métropole depuis La Réunion, mais l'a maintenue pour " l'ensemble des personnes de douze ans ou plus souhaitant se déplacer à destination de La Réunion ou Mayotte et en provenance du reste du territoire national " et aux " personnes de douze ans ou plus ne disposant pas d'un justificatif de leur statut vaccinal et souhaitant se déplacer en provenance de ces collectivités et à destination du territoire métropolitain ".

Sur le désistement d'office :

3. Par une ordonnance du 26 août 2021, le juge des référés du Conseil d'Etat, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté la demande de suspension de l'exécution des décrets attaqués en se fondant, pour partie, sur son défaut d'urgence au motif que, si les requérants faisaient valoir que le décret du 1er juin 2021 modifié serait illégal en tant qu'il ne prévoit pas la possibilité de prendre en compte un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 pour les personnes qui ne justifient pas d'un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, d'un motif de santé relevant de l'urgence ou d'un motif professionnel ne pouvant être différé, ils n'établissaient pas que les dispositions en cause préjudicieraient de manière suffisamment grave et immédiate à leur situation. Par suite, le ministre de la santé et de la prévention n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions de l'article R. 612-5-2 du code de justice administrative, qui prévoit qu'en cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 de ce code au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, le requérant est réputé s'être désisté d'office s'il n'a pas confirmé le maintien de sa requête à fin d'annulation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance de rejet de sa demande de suspension.

Sur la légalité des dispositions attaquées :

4. En premier lieu, les dispositions de l'article 23-2 du décret du 1er juin 2021, dans les deux rédactions critiquées, n'ont ni pour objet, ni pour effet de rendre obligatoire la vaccination contre la covid-19, ni même d'interdire par principe aux personnes non vaccinées de se déplacer entre La Réunion et le reste du territoire national, dès lors que celles-ci peuvent effectuer ce voyage en justifiant d'un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, d'un motif de santé relevant de l'urgence ou d'un motif professionnel ne pouvant être différé. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le Premier ministre était compétent pour apporter de telles restrictions aux déplacements, sur le fondement des dispositions législatives mentionnées au point 1, dans l'intérêt de la santé publique et aux fins de lutter contre la propagation du virus.

5. En deuxième lieu, il résulte des dispositions du 1° du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 citées au point 1, éclairées par les travaux parlementaires, qu'elles habilitent le Premier ministre, si la situation sanitaire le justifie, à imposer cumulativement la production de deux des trois justificatifs qu'elles mentionnent, à savoir le schéma vaccinal complet et le résultat du test épidémiologique, pour les déplacements qu'elles régissent, contrairement aux dispositions du 2° du A du II du même article, relatives à l'accès des personnes à certains lieux, établissements, services ou événements, qui prévoient une application alternative des trois justificatifs mentionnés. Ces dispositions permettaient également au Premier ministre d'exclure la production du certificat de rétablissement.

6. En troisième lieu, d'une part, la différence de traitement entre les personnes justifiant d'un schéma vaccinal complet, qui peuvent se rendre en métropole depuis La Réunion sans présenter le résultat d'un test négatif, et celles dont le schéma vaccinal n'est que partiel, est en rapport direct avec l'objet de la loi, est justifiée par la différence de situation entre les personnes concernées, dès lors que les premières sont davantage protégées contre les formes graves de la maladie et sont moins susceptibles de transmettre le virus à des tiers, et ne présente pas un caractère manifestement disproportionné, alors que les secondes peuvent néanmoins voyager si elles présentent un test négatif et justifient de l'un des motifs énumérés par ces dispositions. D'autre part, contrairement à ce que soutiennent les requérants à l'appui d'un moyen qui n'est, du reste, pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, le II de l'article 23-2 n'introduit aucune différence de traitement entre les voyageurs en provenance de La Réunion selon qu'ils se rendent en métropole ou en un autre point du territoire national.

7. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'à la date du décret du 7 juin 2021, le taux d'incidence de l'épidémie à La Réunion se maintenait à un niveau élevé, et était en augmentation lors de la semaine du 24 au 30 mai 2021 puis au cours du mois de juin 2021. Plus des deux tiers des contaminations détectées à la fin du mois de mai 2021 à La Réunion concernaient les variants sud-africain et brésilien, dont les conséquences, notamment au regard des vaccins mis sur le marché, étaient encore incertaines à cette date, justifiant de faire preuve d'une vigilance particulière à l'égard des voyageurs en provenance de ce territoire. En outre, le taux de couverture vaccinale en population générale à La Réunion était particulièrement faible à cette date, de l'ordre de 10 %, de sorte que la population de l'île était massivement exposée à un risque accru de développer une forme grave de la maladie et que la probabilité qu'un voyageur en provenance de ce territoire, même vacciné, soit porteur du virus, était plus élevée. Enfin, l'épidémie exerçait une forte pression sur les capacités hospitalières locales, contraignant à la déprogrammation d'actes de soins, alors que l'éloignement, l'insularité et la topographie de ce territoire rendent plus malaisées les opérations d'évacuations ou de renforts sanitaires. De même, à la date du décret du 16 juillet 2021, la vitesse de circulation du virus à La Réunion avait considérablement augmenté, ce qui y avait motivé la déclaration d'état d'urgence sanitaire, à compter du 14 juillet 2021, par le décret du 13 juillet 2021. Le taux de couverture vaccinale n'avait quant à lui que modestement progressé et le renforcement des capacités hospitalières locales restait insuffisant pour éviter la déprogrammation d'actes. Enfin, la vaccination et le résultat négatif d'un test épidémiologique ne présentent pas des garanties équivalentes mais complémentaires au regard du risque de contamination, dès lors, d'une part, que le fait d'être vacciné, s'il réduit le risque de développer une forme grave de la maladie, n'empêche pas la contamination et, d'autre part, que le délai d'incubation et le taux de sensibilité des tests ne garantit pas de manière absolue l'absence de charge virale en cas de test négatif. En outre, les déplacements en avion sont propices à la transmission des virus respiratoires tels que le Sars-CoV-2. Il s'ensuit que, et alors, d'une part, qu'il n'est nullement établi que les stocks de vaccins au 7 juin et au 16 juillet 2021 auraient été insuffisants et insuffisamment accessibles et, d'autre part, que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, il restait possible aux personnes non vaccinées de voyager depuis ou vers La Réunion en satisfaisant aux conditions posées, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions critiquées auraient porté une atteinte inadéquate, non nécessaire et disproportionnée à la liberté d'aller et venir.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la requête présentée par M. P... et autres doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. P... et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C... P..., premier dénommé pour l'ensemble des requérants, et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 décembre 2022 où siégeaient : Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat, présidant ; Mme Isabelle Lesmesle, conseillère d'Etat et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 29 décembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Nathalie Escaut

Le rapporteur :

Signé : M. Philippe Bachschmidt

La secrétaire :

Signé : Mme Sylvie Leporcq


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 455384
Date de la décision : 29/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 déc. 2022, n° 455384
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Philippe Bachschmidt
Rapporteur public ?: M. Laurent Domingo
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:455384.20221229
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