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27/12/2022 | FRANCE | N°465188

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 27 décembre 2022, 465188


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 octobre et 30 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'hospitalisation privée - soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR) demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2022-597 du 21 avril 2022 relatif à la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation, de ren

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Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 octobre et 30 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'hospitalisation privée - soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR) demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2022-597 du 21 avril 2022 relatif à la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 162-23-3;

- la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 ;

- le décret n° 2022-597 du 21 avril 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la Fédération de l'hospitalisation privée -soins de suite et de réadaptation (PHP-SSR) ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l'article 34 de la loi du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 : " Pour les activités de soins mentionnées au 4° de l'article L. 162-22, les établissements mentionnés à l'article L. 162-22-6 bénéficient d'un financement mixte sous la forme de recettes issues directement de l'activité, dans les conditions prévues au I de l'article L. 162-23-4, et d'une dotation forfaitaire visant à sécuriser de manière pluriannuelle le financement de leurs activités, selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat. ". A l'appui de son recours tendant à l'annulation du décret du 21 avril 2022 relatif à la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation pris pour l'application de ces dispositions, la fédération requérante demande au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et liberté garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 162-23-3 du code de la santé publique précité en tant que ces dispositions, qui prévoient un financement mixte des établissements de soins de suite et de réadaptation incluant une part forfaitaire, s'appliquent aux établissements privés à but lucratif.

3. En premier lieu, il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

4. Par les dispositions contestées, le législateur a entendu réduire les inégalités de répartition de ressources entre les établissements exerçant une activité de soins de suite et de réadaptation, assurer une meilleure prévisibilité de leurs recettes et garantir un égal accès à ces soins sur l'ensemble du territoire. En appliquant le principe de ce mode de financement, y compris aux établissements privés à but lucratif, le législateur n'a pas assuré une conciliation manifestement déséquilibrée entre le principe de la liberté d'entreprendre et les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 relatives à la protection de la santé.

5. En deuxième lieu, la détermination des modalités du financement des soins de suite et de réadaptation ne relève pas des principes fondamentaux de la sécurité sociale qu'il incombe au législateur de déterminer en vertu de l'article 34 de la Constitution. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions contestées seraient entachées d'incompétence négative faute pour le législateur d'avoir précisé les caractéristiques de la dotation forfaitaire qu'il a instituée ne présente pas un caractère sérieux.

6. En troisième lieu, la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

7. En dernier lieu, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire de textes antérieurs.

8. La modification pour l'avenir des règles de financement des activités de soins de suite et de réadaptation ne porte atteinte à aucune situation légalement acquise. Ni la circonstance que certains établissements ont obtenu des autorisations d'ouverture de lits ou de création d'activité sous l'empire des précédentes règles de financement, ni la signature d'un protocole avec l'Etat dans le cadre de la concertation sur la réforme du financement des soins de suite et de réadaptation, d'ailleurs postérieur aux dispositions contestées, ne conduisent à estimer que les dispositions contestées ont remis en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire des dispositions auxquelles elles se sont substituées.

9. Il résulte de ce qui précède que la question posée, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Fédération de l'hospitalisation privée - soins de suite et de réadaptation.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération de l'hospitalisation privée - soins de suite et de réadaptation et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 8 décembre 2022 où siégeaient : M. Jean-Luc Nevache, assesseur, présidant ; M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 27 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Jean-Luc Nevache

La rapporteure :

Signé : Mme Agnès Pic

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 465188
Date de la décision : 27/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 déc. 2022, n° 465188
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agnès Pic
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:465188.20221227
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