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22/12/2022 | FRANCE | N°462322

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 22 décembre 2022, 462322


Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2203530 du 9 mars 2022, enregistrée le 14 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 14 février 2022 au greffe de ce tribunal, présentée par le département de la Haute-Vienne.

Par cette requête et par un mémoire en réplique, enregistré le 9 août 2022, le département de la Haute-Vienne demande au Conseil d'Etat :

1°)

d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction technique de la Caisse nationale des ...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2203530 du 9 mars 2022, enregistrée le 14 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 14 février 2022 au greffe de ce tribunal, présentée par le département de la Haute-Vienne.

Par cette requête et par un mémoire en réplique, enregistré le 9 août 2022, le département de la Haute-Vienne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction technique de la Caisse nationale des allocations familiales du 20 octobre 2021 intitulée : " Droit au revenu de solidarité active et règles applicables aux situations de suspension du contrat de travail pour défaut de passe sanitaire ", ainsi que le courrier du 19 janvier 2022 du directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de la Caisse nationale des allocations familiales la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le décret n° 2021-724 du 7 juin 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Caisse nationale des allocations familiales ;

Considérant ce qui suit :

1. Le 2° du A du II de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire modifié par l'article 1er de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a prolongé l'habilitation du Premier ministre à subordonner l'accès des personnes à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels à la présentation d'un passe sanitaire et l'a étendue à compter du 30 août 2021 aux personnes qui interviennent dans ces lieux, établissements, services ou évènements, y compris les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l'exercice des activités qui y sont pratiquées le justifie. Le C du II de cet article définit les conséquences, pour les salariés et agent publics soumis à cette obligation, du défaut de présentation d'un passe sanitaire : si le salarié ou l'agent ne choisit pas d'utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés, ce dernier lui notifie, par tout moyen, le jour même, la suspension de ses fonctions ou de son contrat de travail. Cette suspension, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que le salarié ou l'agent produit les justificatifs requis. Lorsque cette situation se prolonge au-delà d'une durée équivalente à trois jours travaillés, l'employeur convoque le salarié ou l'agent à un entretien afin d'examiner avec lui les moyens de régulariser sa situation, notamment les possibilités d'affectation, le cas échéant temporaire, sur un autre poste non soumis à cette obligation. Enfin, le I de l'article 12 de cette même loi instaure une obligation de vaccination contre la maladie covid-19, sauf contre-indication médicale reconnue, pour les professionnels de santé et pour les personnels des établissements ou services prenant en charge des personnes vulnérables dont il fixe la liste. Le I de l'article 14 de cette loi prévoit que ces personnes ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'établissent pas satisfaire à l'obligation de vaccination et le II de ce même article prévoit, pour les salariés ou agents publics concernés, un dispositif de suspension du contrat de travail ou des fonctions analogue à celui prévu pour les salariés ou agents publics soumis à l'obligation de présentation d'un passe sanitaire.

2. Par une instruction technique du 20 octobre 2021 à destination du réseau des caisses d'allocations familiales, la Caisse nationale des allocations familiales a précisé " les règles applicables aux situations de suspension du contrat de travail pour défaut de passe sanitaire tel que prévu par l'article 1er de la loi 5 août 2021 sur le calcul des droits au revenu de solidarité active ". Le département de la Haute-Vienne demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette instruction technique et du courrier du 19 janvier 2022 par lequel le directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales a rejeté sa demande tendant à ce qu'il " revienne " sur cette instruction.

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la Caisse nationale des allocations familiales :

3. Contrairement à ce que soutient la Caisse nationale des allocations familiales, l'instruction litigieuse, qui ne se borne pas à fixer une procédure matérielle pour le traitement des demandes de revenu de solidarité active qui seraient présentées par les salariés ou les agents publics faisant l'objet d'une suspension de leur contrat de travail ou de leurs fonctions dans le cadre décrit au point 1, mais précise également, comme elle l'indique elle-même, les règles applicables à la situation de ces personnes, est susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Par suite, elle fait grief et peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir.

Sur les moyens soulevés :

4. En premier lieu, l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le revenu de solidarité active a pour objet d'assurer à ses bénéficiaires des moyens convenables d'existence de lutter contre la pauvreté et de favoriser l'insertion sociale et professionnelle. " Aux termes de l'article L. 262-2 de ce code : " Toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un montant forfaitaire a droit au revenu de solidarité active ". Aux termes de l'article L. 262-4 du même code : " Le bénéfice du revenu de solidarité active est subordonné au respect, par le bénéficiaire, des conditions suivantes : (...) 4° Ne pas être en congé parental, sabbatique, sans solde ou en disponibilité. (...). " En outre, aux termes du premier aliéna de l'article L. 262-28 du même code : " Le bénéficiaire du revenu de solidarité active est tenu, lorsqu'il est sans emploi ou ne tire de l'exercice d'une activité professionnelle que des revenus inférieurs à une limite fixée par décret, de rechercher un emploi, d'entreprendre les démarches nécessaires à la création de sa propre activité ou d'entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle ".

5. Contrairement à ce que soutient le département requérant, il ne résulte pas de ces dispositions, qui déterminent les conditions d'ouverture des droits au revenu de solidarité active et fixent limitativement la liste des situations excluant par principe le bénéfice de cette allocation, qu'un salarié ou un agent public dont le contrat de travail ou les fonctions sont suspendus ne puisse pas bénéficier du revenu de solidarité active lorsqu'il remplit l'ensemble des conditions d'ouverture des droits. A cet égard, la circonstance que la situation dans laquelle se trouvent ces salariés ou agents publics résulterait d'un choix de leur part, sur lequel ils peuvent revenir à tout moment, et qu'ils ne recherchent pas un emploi dès lors qu'ils n'en sont pas privés, est sans incidence. Il résulte de ce qui précède que le département requérant n'est pas fondé à soutenir que la Caisse nationale des allocations familiales, en faisant état, par son instruction technique, d'un droit au bénéfice du revenu de solidarité active des salariés et agents publics dont le contrat de travail ou les fonctions ont été suspendus pour défaut de présentation d'un passe sanitaire, méconnaîtrait le sens ou la portée des dispositions des articles L. 262-4 et L. 262-28 du code de l'action sociale et des familles.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1614-2 du code général des collectivités territoriales : " (...) Toute charge nouvelle incombant aux collectivités territoriales du fait de la modification par l'Etat, par voie réglementaire, des règles relatives à l'exercice des compétences transférées est compensée dans les conditions prévues à l'article L. 1614-1 (...) ". Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l'instruction litigieuse, qui se borne à préciser les modalités selon lesquelles le régime existant du revenu de solidarité active s'applique aux salariés et aux agents publics dont le contrat de travail ou les fonctions ont été suspendus pour défaut de présentation d'un passe sanitaire, n'a ni pour objet ni pour effet de modifier les règles relatives au revenu de solidarité active et ne saurait par conséquent être regardée comme créant une charge nouvelle incombant aux collectivités territoriales. Par suite, le moyen tiré de ce que l'instruction litigieuse méconnaîtrait le sens ou la portée des dispositions de l'article L. 1614-2 du code général des collectivités territoriales ne peut qu'être écarté.

7. En troisième lieu, en vertu de l'article L. 262-21 du code de l'action sociale et des familles, il est procédé au réexamen du montant du revenu de solidarité active selon une périodicité définie par décret qui, en vertu de l'article R. 262-4 du même code, est trimestrielle. Aux termes de l'article R. 262-13 de ce code : " Il n'est tenu compte ni des ressources ayant le caractère de revenus professionnels ou en tenant lieu mentionnées à l'article R. 262-12, ni des allocations aux travailleurs privés d'emploi mentionnées par les articles L. 5422-1, L. 5423-1 et L. 5424-25 du code du travail, lorsqu'il est justifié que la perception de ces revenus est interrompue de manière certaine et que l'intéressé ne peut prétendre à un revenu de substitution. / (...) Lorsque la perception des ressources mentionnées aux deux alinéas précédents est rétablie, celles-ci sont prises en compte pour le calcul du revenu de solidarité active à compter du réexamen périodique mentionné à l'article L. 262-21 suivant la reprise de perception desdites ressources. / Sur décision individuelle du président du conseil départemental au vu de la situation exceptionnelle du demandeur au regard de son insertion sociale et professionnelle, il n'est pas fait application des dispositions du premier alinéa lorsque l'interruption de la perception de ressources résulte d'une démission ". Il résulte de ces dispositions, d'une part, que les revenus professionnels ne sont pas pris en compte dans le calcul du montant de l'allocation lorsqu'il est justifié que la perception de ces revenus est interrompue de manière certaine et que l'intéressé ne peut prétendre à un revenu de substitution et, d'autre part, qu'un changement de situation d'un allocataire au cours d'un trimestre de perception du revenu de solidarité active n'a d'incidence sur le montant de l'allocation qu'à compter du trimestre suivant.

8. Les dispositions précitées du paragraphe C du I de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 modifiée par celle du 5 août 2021 prévoient que la suspension du contrat de travail ou des fonctions d'un salarié ou d'un agent public pour défaut de présentation d'un passe sanitaire s'accompagne de l'interruption du versement de sa rémunération. Contrairement à ce que soutient le département requérant, la circonstance que la suspension du contrat de travail ou des fonctions d'un salarié ou d'un agent public prenne fin dès que ce dernier produit les justificatifs requis au cours d'un trimestre, sans donner lieu au réexamen du montant de son allocation au titre de cette période, n'est pas de nature à remettre en cause le caractère certain de l'interruption de la perception des revenus. En outre, la suspension du contrat de travail ou des fonctions d'un salarié ou d'un agent public ne pouvant être assimilée à une démission, elle ne relève pas des dispositions du dernier alinéa de l'article R. 262-13 du code de l'action sociale et des familles précitées, en vertu desquelles le président du conseil départemental peut décider, lorsque l'interruption de la perception des ressources résulte d'une démission, de ne pas appliquer la " neutralisation " des revenus professionnels prévue par cet article. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'instruction litigieuse méconnaîtrait le sens ou la portée des dispositions de l'article R. 262-13 du code de l'action sociale et des familles.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 262-13 du code de l'action sociale et des familles : " (...) Le conseil départemental peut déléguer l'exercice de tout ou partie des compétences du président du conseil départemental en matière de décisions individuelles relatives à l'allocation aux organismes chargés du service du revenu de solidarité active mentionnés à l'article L. 262-16 ", dont font partie les caisses d'allocations familiales. En vertu de l'article L. 262-25 de ce code, un département peut conclure avec une caisse d'allocations familiales une convention qui précise notamment les conditions dans lesquelles le revenu de solidarité active est servi et contrôlé et la liste et les modalités d'exercice et de contrôle des compétences déléguées. Si la convention par laquelle, en application de ces dispositions, le département de la Haute-Vienne a délégué à la caisse d'allocations familiales de la Haute-Vienne l'attribution ou le refus de la prestation ainsi que la révision des droits définit, par ses articles 2, 3 et 4, les modalités selon lesquelles la caisse d'allocations familiales lui rend compte annuellement de ces délégations ainsi que celles selon lesquelles il accède aux informations et procède aux contrôles nécessaires, elle ne prévoit pas que la caisse d'allocations familiales sollicite l'avis du département dans le cadre de l'instruction des demandes au regard des textes législatifs et réglementaires applicables. Par suite et en tout état de cause, le département requérant n'est pas fondé à soutenir que l'instruction litigieuse, en ce qu'elle indique que la " neutralisation " des revenus professionnels s'applique sans que les caisses d'allocations familiales aient besoin de solliciter l'avis du conseil départemental, méconnaîtrait le sens ou la portée de la convention de gestion qu'il a conclue avec la caisse d'allocations familiales de la Haute-Vienne.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par le département de la Haute-Vienne doivent être rejetées.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la Caisse nationale des allocations familiales qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de la Haute-Vienne une somme de 3 000 euros à verser à la Caisse nationale des allocations familiales au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête du département de la Haute-Vienne est rejetée.

Article 2 : Le département de la Haute-Vienne versera à la Caisse nationale des allocations familiales une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au département de la Haute-Vienne et à la Caisse nationale des allocations familiales.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 novembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes et Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi et M. Yves Doutriaux conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.

Rendu le 22 décembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Ariane Piana-Rogez

Le secrétaire :

Signé : M. Mickaël Lemasson


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 462322
Date de la décision : 22/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 déc. 2022, n° 462322
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ariane Piana-Rogez
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:462322.20221222
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