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21/12/2022 | FRANCE | N°441904

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 21 décembre 2022, 441904


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux autres mémoires enregistrés les 17 juillet 2020, 26 janvier et 24 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la caisse de retraite complémentaire des employés des huissiers de justice (CARCO) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 février 2020 par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a exigé qu'elle soumette à son approbation, dans un délai de deux mois, un plan de rétablissement, ainsi que la

décision du 11 mars 2020 par laquelle le vice-président de cette autorité a pré...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux autres mémoires enregistrés les 17 juillet 2020, 26 janvier et 24 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la caisse de retraite complémentaire des employés des huissiers de justice (CARCO) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 21 février 2020 par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a exigé qu'elle soumette à son approbation, dans un délai de deux mois, un plan de rétablissement, ainsi que la décision du 11 mars 2020 par laquelle le vice-président de cette autorité a précisé les mesures que ce plan devait comporter ;

2°) de mettre à la charge de l'ACPR la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 :

- le règlement délégué (UE) 2015/35 de la Commission européenne du 10 octobre 2014 ;

- le code des assurances ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 ;

- la loi n° 2019-733 du 14 juillet 2019 ;

- le décret n° 2006-1499 du 29 novembre 2006 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la caisse de retraite complémentaire des employés des huissiers de justice et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 352-7 du code des assurances : " Les entreprises d'assurance ou de réassurance informent immédiatement l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution lorsqu'elles constatent que le capital de solvabilité requis n'est plus conforme aux dispositions de l'article L. 352-1 ou qu'il risque de ne plus l'être dans les trois prochains mois. / Elles soumettent à l'approbation de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution un plan de rétablissement réaliste, dans un délai de deux mois à compter de la constatation du défaut de couverture du capital de solvabilité requis. / (...) / L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution exige de l'entreprise concernée qu'elle prenne les mesures nécessaires pour rétablir, dans un délai de six mois après la constatation du défaut de couverture du capital de solvabilité requis, le niveau de fonds propres éligibles couvrant le capital de solvabilité requis ou pour réduire son profil de risque afin de garantir la couverture du capital de solvabilité requis (...) ".

2. La caisse de retraite complémentaire des employés des huissiers de justice (CARCO), fondée en 1961, gère le régime de retraite complémentaire institué par la convention collective nationale du personnel des huissiers de justice. Après la nomination d'un administrateur provisoire dont la mission s'est achevée le 8 mai 2006, puis un placement sous surveillance spéciale décidé le 27 septembre 2006, la CARCO, en application du décret du 29 novembre 2006 relatif aux dispositions applicables à certaines opérations régies par l'article L. 932-24 du code de la sécurité sociale, a soumis à l'Autorité de contrôle des assurances et mutuelles (ACAM), qui l'a approuvé, un plan de provisionnement applicable jusqu'au 31 décembre 2026. À l'issue d'un contrôle mené au cours de l'année 2019, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a estimé que l'article 18 du règlement 2015/35 de la Commission européenne du 10 octobre 2014 complétant la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice, dite " Solvabilité II ", faisait obstacle à ce que la CARCO intègre dans son bilan prudentiel et dans le calcul du capital de solvabilité requis (CSR) les flux correspondant aux primes futures à acquitter par les adhérents du régime de retraite jusqu'à l'achèvement du plan de provisionnement. Selon l'évaluation de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, la non prise en compte de ces primes futures conduisait à ce que le taux de couverture du capital de solvabilité requis soit abaissé à environ 38 %. Le 21 février 2020, le collège de supervision de l'Autorité a décidé, sur le fondement de l'article L. 352-7 du code des assurances, d'exiger de la caisse qu'elle lui soumette, dans un délai de deux mois, un plan de rétablissement visant, dans un délai de six mois, à ramener ses fonds propres éligibles au niveau du CSR ou à réduire son profil de risque. La CARCO doit être regardée comme demandant au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir cette décision du collège de supervision de l'ACPR, formalisée et notifiée par un courrier du vice-président de l'Autorité du 11 mars 2020, dont l'exécution a été suspendue par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat du 7 août 2020.

Sur la légalité externe :

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'extrait de relevé de décisions produit par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, que la décision d'exiger de la CARCO qu'elle soumette à l'approbation de l'Autorité un plan de rétablissement a été prise par le sous-collège sectoriel de l'assurance du collège de supervision de l'Autorité, le 21 février 2020, avant d'être formalisée et notifiée à la caisse par le courrier en date du 11 mars 2020 signé par le vice-président de l'Autorité, président du sous-collège sectoriel de l'assurance. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait attachée d'incompétence doit être écarté.

4. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la lettre du 11 mars 2020 formalisant la décision du 21 février 2020 mentionne l'article L. 352-7 du code des assurances sur le fondement duquel elle a été prise et expose les raisons pour lesquelles l'article 18 du règlement 2015/35 du 10 octobre 2014 s'oppose à la prise en compte des primes futures escomptées jusqu'au 31 décembre 2026 dans le calcul du taux de couverture du CSR, de sorte que celui de la CARCO atteignait tout au plus 38 % au lieu des 100 % requis. Le moyen titré de l'insuffisante motivation de la décision attaquée doit, par suite, être écarté.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions du 3 de l'article 18 du règlement 2015/35 du 10 octobre 2014 :

5. D'une part, aux termes de l'article L. 352-1 du code des assurances :

" I.- Les entreprises d'assurance et de réassurance détiennent des fonds propres éligibles couvrant le capital de solvabilité requis (...) ". Aux termes de l'article R. 351-18 du même code : " Les fonds propres de base mentionnés à l'article L. 351-6 se composent des éléments suivants : 1° L'excédent des actifs par rapport aux passifs prudentiels, évalués conformément aux sections 1 et 2 du présent chapitre (...) ". Aux termes de l'article R. 351-2, inséré dans la section 2 à laquelle renvoie l'article R. 351-18 : " I.- La valeur des provisions techniques prudentielles, mentionnées à l'article L. 351-2, est égale à la somme de la meilleure estimation et de la marge de risque. / II.- La meilleure estimation correspond à la moyenne pondérée par leur probabilité des flux de trésorerie futurs compte tenu de la valeur temporelle de l'argent estimée sur la base de la courbe des taux sans risque pertinente, soit la valeur actuelle attendue des flux de trésorerie futurs. / (...) / La projection en matière de flux de trésorerie utilisée dans le calcul de la meilleure estimation tient compte de toutes les entrées et sorties de trésorerie nécessaires pour faire face aux engagements d'assurance et de réassurance, pendant toute la durée de ceux-ci. / (...) / L'ensemble des contrats qui donnent naissance aux engagements précités à prendre en compte est défini à l'article 17 du règlement délégué (UE) n° 2015/35 de la Commission du 10 octobre 2014. Les frontières de ces contrats sont définies à l'article 18 du même règlement. / (...) / Les modalités de projections des flux de trésorerie sont définies aux articles 28 à 36 du même règlement ".

6. Aux termes de l'article 17 du règlement 2015/35 du 10 octobre 2014 : " Pour le calcul de la meilleure estimation et de la marge de risque des provisions techniques, les entreprises d'assurance et de réassurance (...) ne comptabilisent que les engagements entrant dans les limites du contrat ". Aux termes du 3 de l'article 18 de ce règlement : " Les engagements relatifs à une couverture d'assurance ou de réassurance fournie par l'entreprise d'assurance ou de réassurance après l'une des dates suivantes ne font pas partie du contrat, à moins que l'entreprise ne puisse contraindre le preneur à payer la prime pour ces engagements : / (a) la date future à laquelle l'entreprise d'assurance ou de réassurance a un droit unilatéral de résilier le contrat ; / (...) / (c) la date future à laquelle l'entreprise d'assurance ou de réassurance a un droit unilatéral de modifier les primes ou les prestations à payer au titre du contrat, de manière à ce que les primes reflètent pleinement les risques. / Le point c) est réputé s'appliquer lorsqu'une entreprise d'assurance ou de réassurance a un droit unilatéral de modifier, à une date future, les primes ou les prestations afférentes à un portefeuille d'engagements d'assurance ou de réassurance, de manière à ce que les primes afférentes au portefeuille reflètent pleinement les risques couverts par celui-ci (...) ". Aux termes de l'article 28 du même règlement : " La projection des flux de trésorerie utilisée dans le calcul de la meilleure estimation comprend tous les flux de trésorerie suivants, dans la mesure où ceux-ci sont liés à des contrats d'assurance et de réassurance existants : (...) / (d) les paiements de primes et flux de trésorerie supplémentaires résultant de ces primes (...) ".

7. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 29 novembre 2006 relatif aux dispositions applicables à certaines opérations régies par l'article L. 932-24 du code de la sécurité sociale : " Le présent décret s'applique aux régimes collectifs obligatoires en vertu d'une convention collective de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, mettant en œuvre des opérations régies par l'article L. 932-24 du code de la sécurité sociale, dont les engagements sont gérés par une institution de prévoyance, pour lesquels la provision technique spéciale a été inférieure à la provision mathématique théorique au cours de chacun des deux derniers exercices clos à la date de publication du présent décret ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Dans un délai de neuf mois à compter de la publication du présent décret, l'institution mentionnée à l'article 1er soumet un plan de provisionnement à l'autorité de contrôle mentionnée à l'article L. 951-1 du code de la sécurité sociale, après l'avoir fait préalablement approuver par la commission paritaire ou par l'assemblée générale, selon les cas (...) ". Aux termes de l'article 4 du même décret : " Le plan de provisionnement comporte un plan de financement. / (...) / L'élaboration du plan de financement et ses éventuelles adaptations ultérieures donnent lieu à la modification par avenant des accords collectifs mentionnés à l'article 1er ". Aux termes de son article 10 : " Lorsqu'elle est saisie d'un plan de provisionnement modificatif, l'autorité de contrôle mentionnée à l'article L. 951-1 du code de la sécurité sociale ne peut autoriser une augmentation de la valeur de service de l'unité de rente, au-delà des prévisions initiales du plan de provisionnement, que si cette augmentation n'entraîne pas une dégradation du taux de couverture du régime par rapport à celui prévu dans le plan de provisionnement. Dans ce cas, elle peut également autoriser une augmentation de la valeur d'acquisition du point si cette modification n'entraîne pas une augmentation du ratio de financement du provisionnement par rapport à celui prévu dans le plan de provisionnement. / Tout autre cas d'augmentation de la valeur d'acquisition du point doit faire l'objet d'un avenant au plan de financement. "

S'agissant du droit de modification unilatérale de la valeur d'acquisition des points :

8. Pour refuser de prendre en compte les primes futures escomptées jusqu'au 31 décembre 2026 dans le bilan prudentiel de la CARCO ainsi que dans le calcul de son capital de solvabilité requis, l'Autorité s'est fondée, notamment, sur le pouvoir dont la caisse disposerait de modifier la valeur d'acquisition des nouveaux points, en recourant à un avenant au plan de financement en application des dispositions de l'article 10 du décret du 29 novembre 2006 cité au point 7. Toutefois, il résulte des dispositions de l'article 4 du même décret que toute adaptation du plan de financement requiert un avenant aux accords collectifs et donc, en ce qui concerne la CARCO, la modification de la convention collective nationale des personnels des huissiers de justice. L'Autorité ne pouvait déduire de cette possibilité d'adaptation du plan de financement par voie d'accord collectif l'existence d'un droit unilatéral de modifier les primes afférentes aux engagements pris par la CARCO dans le cadre du régime de retraite complémentaire obligatoire dont elle assure la gestion. Par suite, c'est à tort que la décision attaquée se fonde sur les dispositions du c) du 3 de l'article 18 du règlement 2015/35 du 10 octobre 2014 cité au point 6 pour refuser de prendre en compte les primes futures dans le bilan prudentiel et le calcul du capital de solvabilité requis de la caisse.

9. Toutefois, l'auteur d'une décision dont l'annulation est demandée peut faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision qu'il a prise est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même le requérant de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que son auteur aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué. En l'espèce, l'ACPR fait valoir que la décision attaquée est légalement justifiée au regard des dispositions du a) du 3 de l'article 18 du règlement délégué du 10 octobre 2014, demandant ainsi au Conseil d'Etat de substituer ce nouveau motif au motif initialement retenu.

S'agissant du droit de résiliation :

10. A cet égard, l'Autorité soutient que ces dispositions du a) du 3 de l'article 18 du règlement délégué du 10 octobre 2014 faisaient également obstacle à la prise en compte des primes futures jusqu'à l'achèvement du plan de provisionnement en 2026, dès lors que la CARCO bénéficie d'un droit de résiliation annuel en vertu de l'article L. 932-12 du code de la sécurité sociale.

11. D'une part, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014, l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale autorisait les accords professionnels ou interprofessionnels à prévoir une mutualisation des risques dont ils organisaient la couverture auprès d'une unique entreprise régie par le code des assurances, d'une institution relevant du titre III du livre IX du code de la sécurité sociale ou d'une mutuelle relevant du code de la mutualité, à laquelle adhéraient alors obligatoirement les entreprises relevant du champ d'application de ces accords, sous réserve de comporter une clause fixant les conditions et la périodicité, ne pouvant excéder cinq ans, du réexamen des modalités d'organisation de la mutualisation des risques. Toutefois, par une décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré l'article L. 912-1, dans cette rédaction antérieure à la loi du 23 décembre 2013, contraire à la Constitution. S'il a différé les effets de sa déclaration d'inconstitutionnalité et préservé l'application jusqu'à leur terme des actes contractuels déjà conclus sur le fondement de cet article, l'exigence de réexamen des modalités d'organisation de la mutualisation des risques, prévue au plus tard tous les cinq ans tant par l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale que par l'article 3.4.1 de la convention collective nationale des personnels des huissiers de justice, faisait obstacle à ce que la CARCO continue à être regardée, à la date de la décision attaquée, comme le seul organisme de prévoyance susceptible de répondre à l'exigence d'affiliation des salariés des offices, groupements et organismes professionnels d'huissiers de justice au régime de retraite complémentaire obligatoire institué par la convention nationale et, en conséquence, à ce que les adhérents à ce régime continuent à être privés du droit de dénoncer leur adhésion.

12. D'autre part, l'article L. 932-12 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi du 14 juillet 2019 relative au droit de résiliation sans frais de contrats de complémentaire santé, dont la publication est antérieure à la décision contestée, autorise depuis le 1er décembre 2020 tout adhérent et toute institution de prévoyance, sans limitation, à dénoncer annuellement chaque adhésion.

13. Il résulte ce que qui précède qu'à la date du 21 février 2020 à laquelle le collège de supervision de l'Autorité a exigé de la CARCO qu'elle lui soumette un plan de rétablissement, la caisse devait être regardée comme disposant d'un droit de résiliation annuel susceptible d'être mis en œuvre au plus tard le 1er décembre 2020. En application des dispositions du a) du 3 de l'article 18 du règlement 2015/35 du 10 octobre 2014 cité au point 6, ce motif était de nature à justifier le refus de l'Autorité de prendre en compte les primes futures dans le bilan prudentiel de la CARCO ainsi que dans le calcul de son capital de solvabilité requis. Par suite, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier, d'une part, que le collège de supervision de l'ACPR aurait pris la même décision s'il s'était initialement fondé sur ce motif et, d'autre part, que la substitution de ce motif nouveau ne prive la CARCO d'aucune garantie procédurale, il y a lieu, en l'espèce, de procéder à la substitution demandée.

S'agissant du pouvoir de contraindre au paiement des primes :

14. Si la CARCO soutient qu'en tout état de cause elle demeure en mesure de contraindre les adhérents au régime de retraite complémentaire à payer leurs primes jusqu'au 31 décembre 2026, d'une part, il ne ressort ni des dispositions du décret du 29 novembre 2006 ni d'ailleurs des termes du plan de provisionnement en cause que l'approbation de ce plan emporterait un tel effet. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit précédemment que les adhérents du régime de retraite complémentaire dont la gestion est assurée par la CARCO disposaient, à la date de la décision attaquée, du droit de dénoncer leur adhésion. Par suite, le collège de supervision de l'Autorité pouvait légalement considérer, à la date de la décision attaquée le 21 février 2020, que les adhérents au régime de retraite supplémentaire pouvaient à tout moment décider de changer d'organisme d'assurance.

15. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 14 que le moyen tiré de ce que l'ACPR a méconnu les dispositions du 3 de l'article 18 du règlement 2015/35 du 10 octobre 2014 en refusant la prise en compte des primes futures dans le bilan prudentiel ainsi que dans le calcul du capital de solvabilité requis" alors que l'exécution de la décision attaquée avait été suspendue par une ordonnance du juge des référés du conseil d'Etat du 7 août 2020 de la caisse, doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'approbation préalable d'un plan de provisionnement :

16. En vertu des articles 1er et 2 du décret du 29 novembre 2006 cités au point 7 ci-dessus, l'institution de prévoyance chargée de la gestion d'un régime collectif obligatoire en vertu d'une convention collective de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel dont la provision technique spéciale a été inférieure à la provision mathématique théorique au cours de chacun des deux derniers exercices clos à la date de publication du décret doit soumettre à l'autorité de contrôle un plan de provisionnement dans le cadre duquel elle s'engage à constituer progressivement, dans un délai maximum de vingt ans, une provision technique spéciale suffisante.

17. Il ne ressort ni des termes de ces articles ni d'aucune autre disposition, notamment pas de celles de l'article L. 352-7 du code des assurances citées au point 1, que l'approbation d'un plan de provisionnement est de nature à faire obstacle à la mise en place ultérieure d'un plan de rétablissement, dont l'objet n'est pas le même et dont la nécessité repose sur des appréciations différentes. Dès lors, en exigeant de la CARCO qu'elle lui soumette un plan de rétablissement alors qu'un plan de provisionnement valable jusqu'au 31 décembre 2026 avait déjà été approuvé par l'autorité de contrôle, l'ACPR n'a pas méconnu ces dispositions.

En ce qui concerne le moyen tiré de la disproportion de la mesure contestée :

18. Il ressort des dispositions de l'article L. 352-7 du code des assurances que l'obligation pour les entreprises d'assurance ou de réassurance de soumettre à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, dans le délai de deux mois, un plan de rétablissement réaliste dès lors que ces entreprises constatent un défaut de couverture du capital de solvabilité requis résulte de la loi elle-même. Eu égard à ce qui a été exposé aux points 5 à 14, l'ACPR a pu évaluer le taux de couverture du capital de solvabilité requis de la CARCO en écartant les primes futures, puis en déduire l'existence d'un défaut de couverture, ce taux étant nettement inférieur à 100 %. Il suit de là qu'en exigeant de la CARCO qu'elle soumette à son approbation un plan de rétablissement réaliste, le collège de supervision de l'ACPR, qui s'est borné à exiger de la caisse qu'elle se conforme à l'obligation qui s'imposait à elle en vertu de l'article L. 352-7 du code des assurances, n'a pas adopté une mesure disproportionnée au regard de l'objectif de protection des preneurs poursuivi par la loi.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la CARCO n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision attaquée, par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a exigé qu'elle lui soumette, dans le délai de deux mois, un plan de rétablissement réaliste.

Sur les conséquences du rejet des conclusions à fin d'annulation :

20. Le rejet d'une requête tendant à l'annulation d'un acte dont l'exécution a été suspendue par le juge administratif statuant en référé a, en principe, pour effet que cet acte trouve ou retrouve application dès le prononcé de cette décision juridictionnelle. Toutefois, s'il apparaît que cet effet est de nature à faire naître des difficultés de tous ordres, il appartient au juge administratif, le cas échéant d'office, de préciser les conditions dans lesquelles sa décision prendra effet.

21. En l'espèce, alors que l'exécution de la décision attaquée avait été suspendue par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat du 7 août 2020, le délai de deux mois imparti à la CARCO par la décision du 21 février 2020 pour soumettre à l'approbation de l'ACPR le plan de rétablissement réaliste qu'exige cette décision conformément aux dispositions de l'article L. 352-7 du code des assurances courra à nouveau à compter de la notification de la présente décision. Sauf à ce que, au regard des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de la présente décision, l'ACPR soit tenue d'abroger sa décision en vertu des dispositions de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration, le plan devra être établi en se fondant sur les éléments caractérisant la situation actuelle de la caisse et devra être accompagné des justificatifs mentionnés à l'article R. 352-33 du code des assurances.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CARCO la somme de 3 000 euros à verser à l'Etat, au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la CARCO est rejetée. Ce rejet emporte les conséquences énoncées au point 21 de la présente décision.

Article 2 : La CARCO versera à l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Caisse de retraite complémentaire des employés des huissiers de justice et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

Délibéré à l'issue de la séance du 2 décembre 2022 où siégeaient :

M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 21 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Guiard

La secrétaire :

Signé : Mme Laurence Chancerel

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 441904
Date de la décision : 21/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

PROCÉDURE - PROCÉDURES INSTITUÉES PAR LA LOI DU 30 JUIN 2000 - RÉFÉRÉ SUSPENSION (ART - L - 521-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE) - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - REJET D’UN RECOURS DIRIGÉ CONTRE UN ACTE DONT L’EXÉCUTION AVAIT ÉTÉ SUSPENDUE – 1) OBLIGATION POUR LE JUGE DE L'EXCÈS DE POUVOIR DE PRÉCISER LES CONDITIONS DANS LESQUELLES SA DÉCISION PRENDRA EFFET SI ELLE EST DE NATURE À FAIRE NAÎTRE DES DIFFICULTÉS [RJ1] – 2) ILLUSTRATION – REJET AU FOND PAR LE CONSEIL D’ETAT DU RECOURS CONTRE UNE DÉCISION DE L’ACPR AYANT EXIGÉ D’UNE CAISSE DE RETRAITE COMPLÉMENTAIRE QU’ELLE LUI SOUMETTE UN PLAN DE RÉTABLISSEMENT DANS UN DÉLAI DE DEUX MOIS – PRÉCISIONS SUR LA PRISE D’EFFET DE SA DÉCISION – A) DÉLAI COURANT À NOUVEAU À COMPTER DE SA NOTIFICATION – B) PLAN DEVANT ÊTRE ÉTABLI EN FONCTION DE LA SITUATION ACTUELLE DE LA CAISSE ET ACCOMPAGNÉ DES JUSTIFICATIFS.

54-035-02-04 1) Le rejet d’une requête tendant à l’annulation d’un acte dont l’exécution a été suspendue par le juge administratif statuant en référé a, en principe, pour effet que cet acte trouve ou retrouve application dès le prononcé de cette décision juridictionnelle. ...Toutefois, s’il apparaît que cet effet est de nature à faire naître des difficultés de tous ordres, il appartient au juge administratif, le cas échéant d’office, de préciser les conditions dans lesquelles sa décision prendra effet. ...2) Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ayant, sur le fondement de l’article L. 352-7 du code des assurances, exigé d’une caisse de retraite complémentaire qu’elle lui soumette, dans un délai de deux mois, un plan de rétablissement visant, dans un délai de six mois, à ramener ses fonds propres éligibles au niveau du capital de solvabilité requis ou à réduire son profil de risque. Décision ayant été suspendue par le juge des référés. Conseil d’Etat prononçant le rejet de la requête au fond....a) Le délai de deux mois imparti à la caisse pour soumettre à l’approbation de l’ACPR le plan de rétablissement réaliste qu’exige cette décision conformément à l’article L. 352-7 courra à nouveau à compter de la notification de la décision de rejet. ...b) Sauf à ce que, au regard des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de la décision de rejet, l’ACPR soit tenue d’abroger sa décision en vertu des dispositions de l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), le plan devra être établi en se fondant sur les éléments caractérisant la situation actuelle de la caisse et devra être accompagné des justificatifs mentionnés à l’article R. 352-33 du code des assurances.

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - REJET D’UN RECOURS DIRIGÉ CONTRE UN ACTE DONT L’EXÉCUTION AVAIT ÉTÉ SUSPENDUE PAR LE JUGE DES RÉFÉRÉS – 1) OBLIGATION DE PRÉCISER LES CONDITIONS DANS LESQUELLES SA DÉCISION PRENDRA EFFET SI ELLE EST DE NATURE À FAIRE NAÎTRE DES DIFFICULTÉS [RJ1] – 2) ILLUSTRATION – REJET AU FOND PAR LE CONSEIL D’ETAT DU RECOURS CONTRE UNE DÉCISION DE L’ACPR AYANT EXIGÉ D’UNE CAISSE DE RETRAITE COMPLÉMENTAIRE QU’ELLE LUI SOUMETTE UN PLAN DE RÉTABLISSEMENT DANS UN DÉLAI DE DEUX MOIS – PRÉCISIONS SUR LA PRISE D’EFFET DE SA DÉCISION – A) DÉLAI COURANT À NOUVEAU À COMPTER DE SA NOTIFICATION – B) PLAN DEVANT ÊTRE ÉTABLI EN FONCTION DE LA SITUATION ACTUELLE DE LA CAISSE ET ACCOMPAGNÉ DES JUSTIFICATIFS.

54-07-01 1) Le rejet d’une requête tendant à l’annulation d’un acte dont l’exécution a été suspendue par le juge administratif statuant en référé a, en principe, pour effet que cet acte trouve ou retrouve application dès le prononcé de cette décision juridictionnelle. ...Toutefois, s’il apparaît que cet effet est de nature à faire naître des difficultés de tous ordres, il appartient au juge administratif, le cas échéant d’office, de préciser les conditions dans lesquelles sa décision prendra effet. ...2) Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ayant, sur le fondement de l’article L. 352-7 du code des assurances, exigé d’une caisse de retraite complémentaire qu’elle lui soumette, dans un délai de deux mois, un plan de rétablissement visant, dans un délai de six mois, à ramener ses fonds propres éligibles au niveau du capital de solvabilité requis ou à réduire son profil de risque. Décision ayant été suspendue par le juge des référés. Conseil d’Etat prononçant le rejet de la requête au fond....a) Le délai de deux mois imparti à la caisse pour soumettre à l’approbation de l’ACPR le plan de rétablissement réaliste qu’exige cette décision conformément à l’article L. 352-7 courra à nouveau à compter de la notification de la décision de rejet. ...b) Sauf à ce que, au regard des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de la décision de rejet, l’ACPR soit tenue d’abroger sa décision en vertu des dispositions de l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), le plan devra être établi en se fondant sur les éléments caractérisant la situation actuelle de la caisse et devra être accompagné des justificatifs mentionnés à l’article R. 352-33 du code des assurances.


Références :

[RJ1]

Rappr., jugeant qu’il appartient au juge administratif d’apprécier s'il y a lieu de décider qu’un tel rejet, s'il apparaît qu’il est de nature à porter atteinte au principe de sécurité juridique, ne prendra effet qu'à une date ultérieure, CE, Section, 27 octobre 2006, Société Techna S.A. et autres, n°s 260767 260791 260792, p. 451.


Publications
Proposition de citation : CE, 21 déc. 2022, n° 441904
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Guiard
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO et GOULET

Origine de la décision
Date de l'import : 29/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:441904.20221221
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