Vu la procédure suivante :
Par une décision du 10 mars 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société Pacifica dirigées contre l'arrêt n° 18LY03229 du 25 août 2020 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant que cet arrêt statue sur les conclusions de la société Pacifica tendant au remboursement par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, d'une part, des sommes versées à la caisse primaire d'assurance maladie de Saône-et-Loire au titre des dépenses de santé de M. A... et, d'autre part, des indemnités versées à ce dernier en réparation des souffrances endurées, de ses préjudices esthétique, sexuel, d'agrément et d'établissement ainsi que des frais vestimentaires, d'hospitalisation et d'aménagement de son logement et de son véhicule qu'il a exposés en exécution du jugement du tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône statuant en matière correctionnelle du 12 février 2004.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code des assurances ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Labrune, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de la société Pacifica et à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, victime d'un accident de la circulation, M. A... a été hospitalisé au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône où il a subi une amputation de la jambe droite le 7 février 2000. Par un jugement du 12 février 2004, le tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône statuant en matière correctionnelle sur les intérêts civils a, d'une part, condamné solidairement le conducteur responsable de l'accident et la société Pacifica, son assureur, à verser à M. A... une indemnité de 51 391,29 euros en réparation des souffrances endurées, de ses préjudices esthétique, sexuel, d'agrément et d'établissement ainsi que des frais vestimentaires et d'hospitalisation qu'il a exposés, d'autre part, prescrit une expertise et sursis à statuer sur l'évaluation des préjudices soumis au recours des tiers payeurs.
2. Par ailleurs, après le rejet par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône de sa réclamation préalable, M. A... a saisi le tribunal administratif de Dijon d'un recours tendant à la condamnation de l'hôpital à l'indemnisation de son préjudice moral et du préjudice subi du fait d'un défaut d'information. Après avoir appelé en la cause la société Pacifica, qui a produit des observations, et la caisse primaire d'assurance maladie de Saône-et-Loire, qui n'a pas produit, le tribunal administratif, par un jugement du 27 janvier 2011 devenu définitif, a admis que la responsabilité du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône était engagée à raison d'un retard fautif de diagnostic mais a rejeté les conclusions de M. A..., estimant que son préjudice moral avait déjà été réparé par les indemnités versées en exécution du jugement du 12 février 2004 du tribunal correctionnel de Chalon-sur-Saône.
3. Par un arrêt du 19 mai 2011 réformant partiellement un second jugement du tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône statuant en matière correctionnelle du 10 juin 2010, la cour d'appel de Dijon a fixé à la somme totale de 264 464,67 euros le montant des préjudices subis par M. A... et condamné le conducteur responsable de l'accident à verser à la victime la somme de 107 974,87 euros, compte tenu des provisions déjà versées.
4. La société Pacifica, subrogée dans les droits de la victime par le double effet de sa subrogation dans les droits du conducteur responsable et de la subrogation de celui-ci dans les droits de la victime, a ensuite demandé au tribunal administratif de Dijon la condamnation du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône au remboursement de ses débours à la victime et à la caisse primaire d'assurance maladie de Saône-et-Loire. Par un jugement du 20 juin 2018, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier à verser à la société Pacifica la somme de 406 457,11 euros. Sur appel du centre hospitalier et appel incident de la société Pacifica, la cour administrative d'appel de Lyon, après avoir jugé le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône entièrement responsable du dommage subi par M. A..., a toutefois ramené cette somme à 160 411,23 euros et a rejeté l'appel incident de la société Pacifica, par un arrêt du 25 août 2020 dont la société Pacifica demande l'annulation en tant qu'il rejette le surplus de ses conclusions.
5. L'autorité relative de la chose jugée ne peut être utilement invoquée en l'absence d'identité d'objet, de cause et de parties.
6. Lorsque l'auteur d'un dommage, ou son assureur subrogé dans ses droits en vertu de l'article L. 121-12 du code des assurances, condamné par le juge judiciaire à en indemniser la victime, saisit la juridiction administrative d'un recours en vue de faire supporter la charge de la réparation par la collectivité publique co-auteur de ce dommage, sa demande, quel que soit le fondement de sa responsabilité retenu par le juge judiciaire, n'a pas le caractère d'une action récursoire par laquelle il ferait valoir des droits propres à l'encontre de cette collectivité mais d'une action subrogatoire fondée sur les droits de la victime à l'égard de ladite collectivité. Ainsi subrogé, il ne saurait avoir plus de droits que cette dernière et peut donc se voir opposer l'ensemble des moyens de défense qui auraient pu l'être à la victime.
7. L'autorité de chose jugée attachée au jugement rendu sur une demande indemnitaire porte sur l'ensemble des chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime, causés par le même fait générateur et dont elle supporte la charge financière, à l'exception de ceux qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, se sont aggravés ou ne se sont révélés dans toute leur ampleur que postérieurement à la première réclamation préalable de la victime ou de ceux qui ont été expressément réservés dans sa demande.
8. Toutefois, lorsque le juge judiciaire a déjà condamné l'auteur d'un dommage à indemniser la personne qui en a été victime et que la demande dont cette dernière saisit le juge administratif contre une collectivité publique qu'elle estime être co-auteur de ce dommage a pour objet l'indemnisation de la part de son préjudice non réparé par l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage par le juge judiciaire, l'autorité de chose jugée dont est revêtue la décision rendue sur cette demande de la victime ne saurait être opposée au recours subrogatoire formé par la personne ainsi condamnée par le juge judiciaire ou son assureur à l'encontre de cette même collectivité publique, qui tend au remboursement par celle-ci des indemnités préalablement versées à la victime en exécution du jugement du juge judiciaire, et n'a, par suite, pas le même objet.
9. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant, pour rejeter les conclusions de la société Pacifica tendant au remboursement par le centre hospitalier des indemnités que celle-ci avait versées à la victime en exécution du jugement du tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône du 12 février 2004 ainsi qu'à la caisse primaire d'assurance maladie de Saône-et-Loire, que l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal administratif de Dijon du 27 janvier 2011 était opposable à la société Pacifica au motif que les conclusions de cette dernière avaient le même objet que celles de M. A... qui ont été rejetées par ce jugement, alors que la demande dont ce dernier avait, postérieurement au jugement du tribunal de grande instance, saisi le tribunal administratif avait pour objet le versement d'une indemnité complémentaire à celle qui lui avait déjà été versée par l'assureur, la cour administrative d'appel de Lyon a commis une erreur de droit. La société Pacifica est, par suite, fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il se prononce sur ces conclusions.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Pacifica qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Chalon-sur-Saône le versement à la société Pacifica d'une somme de 3 000 euros au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 25 août 2020 est annulé en tant qu'il se prononce sur les conclusions de la société Pacifica tendant au remboursement par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône, d'une part, des sommes versées à la caisse primaire d'assurance maladie de Saône-et-Loire au titre des dépenses de santé de M. A..., et d'autre part, des indemnités versées à ce dernier en réparation des souffrances endurées, de ses préjudices esthétique, sexuel, d'agrément et d'établissement ainsi que des frais vestimentaires, d'hospitalisation et d'aménagement de son logement et de son véhicule qu'il a exposés, en exécution du jugement du tribunal de Chalon-sur-Saône du 12 février 2004.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Lyon.
Article 3 : Le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône versera à la société Pacifica la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Chalon-sur-Saône au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Pacifica et au centre hospitalier de Chalon-sur-Saône.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de Saône-et-Loire.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 novembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat. ; M. Nicolas Labrune, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 20 décembre 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Nicolas Labrune
La secrétaire :
Signé : Mme Anne-Lise Calvaire