Vu la procédure suivante :
Le groupement d'intérêt économique (GIE) Sea Bulk a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle et des taxes additionnelles mises à sa charge au titre des années 2008 et 2009, ainsi que des suppléments de cotisation foncière des entreprises et des taxes additionnelles au titre de l'année 2010, à raison de son établissement situé à Dunkerque. Par un jugement n° 1600709 du 11 mai 2017, le tribunal administratif de Montreuil, auquel le président du tribunal administratif de Lille a transmis cette demande par ordonnance du 20 janvier 2016, a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 17VE02122 du 16 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a prononcé un non-lieu partiel à statuer à hauteur d'un dégrèvement de 47 742 euros prononcé en cours d'instance, réduit les bases d'imposition à la taxe professionnelle des années 2008 et 2009 et les bases d'imposition à la cotisation foncière des entreprises de l'année 2010, prononcé la décharge des impositions en litige correspondant à cette réduction en base et rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel du GIE Sea Bulk.
Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés le 13 septembre 2021 et le 15 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, de finances et de la relance demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2, 3, 4 et 5 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de remettre à la charge du GIE les montants de taxe professionnelle des années 2008 et 2009 et de cotisation foncière des entreprises de l'année 2010 correspondant à la réintégration, dans la base imposable, de la valeur locative des biens passibles de la taxe foncière en litige, d'un prix de revient de 9 326 869 euros.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, avocat du GIE Sea Bulk ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le groupement d'intérêt économique (GIE) Sea Bulk est l'opérateur de manutention portuaire du terminal Quai Pondéreux Ouest du grand port maritime de Dunkerque. Il procède au déchargement des navires porteurs de grands vracs secs tels que charbon et minerais, au stockage de ces vracs sur des parcs à ciel ouvert et au rechargement principalement sur navires et rail, en vue de l'alimentation en matières premières des industries lourdes françaises ou européennes. À la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les années 2008 à 2010, l'administration fiscale a considéré que cet établissement constituait un établissement industriel au sens de l'article 1499 du code général des impôts et a remis en cause la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière, initialement évaluée selon les règles applicables aux établissements commerciaux prévues par l'article 1498 du même code, pour la calculer selon la méthode comptable du prix de revient. Ont ainsi été mis à sa charge des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle et de cotisation foncière des entreprises au titre respectivement, d'une part, des années 2008 et 2009 et, d'autre part, de l'année 2010. Par un jugement du 11 mai 2017, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande du GIE Sea Bulk tendant à la décharge de ces impositions. Le ministre se pourvoit en cassation contre les articles 2, 3, 4 et 5 de l'arrêt du 16 juillet 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du GIE, partiellement fait droit à sa demande en jugeant que le prix de revient des équipements particuliers spécifiquement adaptés à son activité, d'un montant de 9 326 869 euros, devait être neutralisé pour le calcul de la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière constituant la base imposable de la taxe professionnelle et de la cotisation foncière des entreprises.
Sur le cadre juridique du litige :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 1467 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années 2008 et 2009 : " La taxe professionnelle a pour base : / 1° (...) a. la valeur locative, telle qu'elle est définie aux articles 1469 (...) des immobilisations corporelles dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle (...) ". Selon l'article 1469 du même code, dans sa rédaction également applicable aux impositions en litige au titre des années 2008 à 2009 : " La valeur locative est déterminée comme suit : / 1º Pour les biens passibles d'une taxe foncière, elle est calculée suivant les règles fixées pour l'établissement de cette taxe'; / Toutefois, les biens exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu du 11º de l'article 1382 sont évalués et imposés dans les mêmes conditions que les biens et équipements mobiliers désignés aux 2º et 3º (...) ". Aux termes de l'article 1467 de ce code, dans sa rédaction applicable aux impositions établies à compter du 1er janvier 2010 :
" La cotisation foncière des entreprises a pour base la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière situés en France, à l'exclusion des biens exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu des 11° et 12° de l'article 1382, dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle (...) / La valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière est calculée suivant les règles fixées pour l'établissement de cette taxe (...) ".
3. En second lieu, aux termes de l'article 1381 du code général des impôts : " Sont également soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties : / 1° Les installations destinées à abriter des personnes ou des biens ou à stocker des produits ainsi que les ouvrages en maçonnerie présentant le caractère de véritables constructions tels que, notamment, les cheminées d'usine, les réfrigérants atmosphériques, les formes de radoub, les ouvrages servant de support aux moyens matériels d'exploitation ; / 2° Les ouvrages d'art et les voies de communication (...) ". Aux termes de l'article 1382 de ce code : " Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties : / (...) 11°) les outillages et autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels à l'exclusion de ceux visés aux
1° et 2° de l'article 1381 ". Sont ainsi exonérés de cette taxe, en application du 11º de l'article 1382 de ce code, ceux de ces biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, c'est-à-dire ceux de ces biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'article 1499, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1º et 2º de l'article 1381.
Sur l'arrêt attaqué :
En ce qui concerne la cotisation foncière des entreprises :
4. En jugeant que le fossé filtrant et le parc à raclure ainsi que les installations relatives à l'éclairage du site et à la distribution électrique utilisées notamment pour le déchargement à quai de nuit étaient spécifiquement adaptés à l'activité du GIE Sea Bulk, établissement industriel au sens de l'article 1499 du code général des impôts, et qu'ils n'étaient pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381 du même code, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a exactement qualifié les faits qu'elle n'a pas dénaturés.
5. En revanche, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, contrairement à ce qu'a jugé la cour, les immobilisations relatives aux portails d'accès ne sont pas spécifiquement adaptées aux activités susceptibles d'être exercées dans un établissement industriel, quand bien même elles concourent à celles-ci. Par ailleurs, les travaux liés à l'aménagement des terre-pleins de stockage et à leur desserte ainsi que les travaux d'enrochement du sol et de reprofilage, qui se rapportent directement aux installations de stockage des pondéreux, entrent dans le champ d'application du 1° de l'article 1381 du code général des impôts, tandis que les travaux liés à la desserte ferroviaire entrent, en tant qu'accessoires de la voie, dans le champ d'application de son 2°. De même, les travaux relatifs à la lagune d'évacuation, qui s'apparentent à des travaux de terrassement, entrent dans le champ du 1° de l'article 1381 et ne constituent pas, au demeurant, des outillages, installations et moyens matériels d'exploitation au sens du 11° de l'article 1382 du même code. Il en va également ainsi des systèmes de collecte d'eau et d'assainissement qui, pour l'essentiel, s'apparentent au creusement de tranchées et ne peuvent être distingués des installations de stockage sur lesquelles ils sont réalisés.
6. Par suite, en jugeant que l'ensemble des équipements et travaux mentionnés au point 5 devaient être exclus de la base retenue pour le calcul de la valeur locative, la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de qualification juridique des faits au regard des dispositions du 11° de l'article 1382 du code général des impôts.
En ce qui concerne la taxe professionnelle :
7. Il résulte des textes cités au point 2 ci-dessus que les biens exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu du 11º de l'article 1382 du code général des impôts n'étaient pas évalués, pour l'établissement de la taxe professionnelle, de la même manière que les biens passibles d'une taxe foncière, en application de l'article 1469 de ce code en vigueur jusqu'en 2009, et ne sont pas compris, depuis lors, dans les bases de la cotisation foncière des entreprises, en application de son article 1467. En conséquence, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que la valeur locative des biens du GIE exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties étaient exonérés de taxe professionnelle.
8. Pour l'ensemble des motifs exposés ci-dessus, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre est fondé à demander l'annulation des articles 2 à 5 de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il statue sur les cotisations de taxe professionnelle relatives aux années 2008 et 2009 et, s'agissant de la cotisation foncière des entreprises relative à l'année 2010, en tant qu'il a réduit les bases d'imposition à concurrence de la valeur locative des équipements et travaux mentionnés au point 5 ci-dessus.
Sur les conclusions du GIE Sea Bulk présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2, 3, 4 et 5 de l'arrêt du 16 juillet 2021 de la cour administrative d'appel de Versailles sont annulés en tant qu'il statue sur les cotisations de taxe professionnelle relatives aux années 2008 et 2009 et, s'agissant de la cotisation foncière des entreprises relative à l'année 2010, en tant qu'il a réduit les bases d'imposition à concurrence de la valeur locative des portails d'accès, des systèmes de collecte d'eau et d'assainissement, des travaux liés à l'aménagement des terre-pleins de stockage et à leur desserte, des travaux d'enrochement du sol et de reprofilage, des travaux liés à la desserte ferroviaire et des travaux relatifs à la lagune d'évacuation.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure définie à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : Les conclusions présentées par le GIE Sea Bulk au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi qu'au GIE Sea Bulk.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 novembre 2022 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 16 décembre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Olivier Guiard
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :