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16/12/2022 | FRANCE | N°454247

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 16 décembre 2022, 454247


Vu les procédures suivantes :

I - Sous le n° 454247, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 juillet et 1er octobre 2021 ainsi que le 1er mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Compagnie Hôtelière de Nice, la société Couronne Arenas, la société Hotelhop Nice Grand Arenas et la société Balm Restaurant demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-553 du 5 mai 2021 relatif à l'adaptation au titre du mois d'avril 2021 du fonds de solidarité à

destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences de l'épid...

Vu les procédures suivantes :

I - Sous le n° 454247, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 juillet et 1er octobre 2021 ainsi que le 1er mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Compagnie Hôtelière de Nice, la société Couronne Arenas, la société Hotelhop Nice Grand Arenas et la société Balm Restaurant demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-553 du 5 mai 2021 relatif à l'adaptation au titre du mois d'avril 2021 du fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, en tant qu'il ne bénéficie pas à l'ensemble des sociétés qui ont débuté leur activité avant son entrée en vigueur ;

2°) d'enjoindre à l'Etat d'étendre le bénéfice du fonds de solidarité pour le mois d'avril 2021 à ces sociétés à proportion, le cas échéant, de leur activité au titre de ce mois ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II - Sous le n° 454251, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 5 juillet et 1er octobre 2021 ainsi que le 1er mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Compagnie Hôtelière de Nice, la société Couronne Arenas, la société Hotelhop Nice Grand Arenas et la société Balm Restaurant demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-651 du 26 mai 2021 relatif à l'adaptation au titre du mois de mai 2021 du fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, en tant qu'il ne bénéficie pas à l'ensemble des sociétés qui ont débuté leur activité avant son entrée en vigueur ;

2°) d'enjoindre à l'Etat d'étendre le bénéfice du fonds de solidarité pour le mois de mai 2021 à ces sociétés à proportion, le cas échéant, de leur activité au titre de ce mois ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

III - Sous le n° 456745, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 15 septembre et 8 décembre 2021 ainsi que le 21 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Compagnie Hôtelière de Nice, la société Couronne Arenas, la société Hotelhop Nice Grand Arenas et la société Balm Restaurant demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1087 du 17 août 2021 relatif à l'adaptation au titre du mois d'août 2021 du fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, en tant qu'il ne bénéficie pas à l'ensemble des sociétés qui ont débuté leur activité avant son entrée en vigueur ;

2°) d'enjoindre à l'Etat d'étendre le bénéfice du fonds de solidarité pour le mois d'août 2021 à ces sociétés à proportion, le cas échéant, de leur activité en août 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

IV - Sous le n° 458351, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés le 10 novembre 2021 ainsi que les 9 février et 21 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Compagnie Hôtelière de Nice, la société Couronne Arenas, la société Hotelhop Nice Grand Arenas et la société Balm Restaurant demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1180 du 14 septembre 2021 relatif à l'adaptation au titre du mois de septembre 2021 du fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, en tant qu'il ne bénéficie pas à l'ensemble des sociétés qui ont débuté leur activité avant son entrée en vigueur ;

2°) d'enjoindre à l'Etat d'étendre le bénéfice du fonds de solidarité pour le mois de septembre 2021 à ces sociétés à proportion, le cas échéant, de leur activité au titre de ce mois ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société Compagnie Hôtelière de Nice, de la société Couronne Arenas, de la société Hotelop Nice Grand Arenas et de la société Balm Restaurant ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes présentées par les sociétés requérantes sous les nos 454247, 454251, 456745 et 458351 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le cadre du litige :

2. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, à déclarer l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. Par une ordonnance du 25 mars 2020, un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation a été mis en place, notamment en faveur des entreprises exerçant dans le secteur de l'hôtellerie-restauration. Les aides attribuées au titre de ce fonds le sont dans les conditions prévues par un décret du 30 mars 2020. Les décrets des 5 mai, 26 mai, 17 août et 14 septembre 2021 ont modifié le décret du 30 mars 2020 afin de préciser les conditions d'éligibilité au fonds de solidarité au titre, respectivement, des mois d'avril, mai, août et septembre 2021. La société Compagnie Hôtelière de Nice, la société Couronne Arenas, la société Hotelhop Nice Grand Arenas et la société Balm Restaurant demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ces quatre décrets en tant qu'ils ne bénéficient pas à l'ensemble des sociétés qui ont débuté leur activité avant leur entrée en vigueur.

Sur la méconnaissance du principe d'égalité :

3. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

4. Le décret du 30 mars 2020 précise les conditions que doivent remplir les entreprises dont l'activité est particulièrement touchée par la crise sanitaire pour bénéficier d'aides au titre du fonds de solidarité institué par l'ordonnance du 25 mars 2020 afin de compenser une partie de la perte de chiffre d'affaires constatée. Ces conditions tiennent notamment, d'une part, à la date à laquelle l'entreprise intéressée a débuté son activité, et, d'autre part, à la baisse de chiffre d'affaires dont elle doit justifier par rapport à une période de référence. Ce décret a été modifié à plusieurs reprises afin d'adapter les conditions d'octroi des aides aux périodes faisant l'objet d'une compensation. Ainsi, pour bénéficier du dispositif au titre des mois d'octobre à décembre 2020, les entreprises doivent avoir débuté leur activité avant le 30 septembre 2020. Cette date est portée au 31 octobre 2020 pour les pertes de janvier et février 2021, au 31 décembre 2020 pour les pertes de mars 2021 et au 31 janvier 2021 pour, notamment, les pertes, d'avril, de mai, d'août et de septembre 2021, conformément aux décrets modificatifs des 5 et 26 mai 2021 ainsi que des 17 août et 14 septembre de la même année.

5. La société Compagnie Hôtelière de Nice, société holding constituée en avril 2016, ainsi que la société Couronne Arenas, la société Hotelhop Nice Grand Arenas et la société Balm Restaurant, dont les activités d'hôtellerie et de restauration ont débuté à compter du mois de février 2021, soutiennent qu'en excluant du bénéfice du fonds de solidarité, au titre des mois d'avril, mai, août et septembre 2021, les entreprises dont l'activité a débuté après le 31 janvier 2021, ces quatre décrets méconnaissent le principe d'égalité.

6. Il ressort des pièces du dossier que la création du fonds de solidarité est au nombre des mesure prises, d'après les termes mêmes de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, sur le fondement duquel l'ordonnance du 25 mars de la même année a été adoptée, afin de " prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique ". Il s'ensuit que les aides attribuées sur le fondement du décret du 30 mars 2020 visent à soutenir les entreprises existantes dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de covid-19. Les aides allouées à ce titre n'ont ainsi vocation ni à soutenir l'ensemble des entreprises des secteurs d'activité sur lesquelles la crise sanitaire a eu une incidence, ni à encourager la création d'entreprises dans ces secteurs. Les modifications successives apportées au décret du 30 mars 2020 pour prolonger ce dispositif n'ont eu ni pour objet ni pour effet de répondre à quelque autre objectif, mais visent seulement à en adapter la mise en œuvre afin de tenir compte de l'évolution de l'épidémie et de ses conséquences.

7. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier qu'en prévoyant que les entreprises dont l'activité a débuté après le 31 janvier 2021 n'avaient pas, eu égard aux conséquences de la crise sanitaire, vocation à bénéficier de l'aide en cause au titre des mois d'avril, mai, août et septembre 2021, les décrets attaqués auraient institué une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard des motifs qui la justifient.

8. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que les conditions d'attribution des aides en cause prévues par les décrets attaqués méconnaissent le principe d'égalité, et que, par voie de conséquence, elles sont à l'origine d'une distorsion de concurrence, ne peut qu'être écarté.

Sur la méconnaissance du droit de l'Union européenne :

9. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. / (...) / 3. Peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur : / (...) / b) les aides destinées à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un État membre / (...) ". Aux termes de l'article 108 du même traité : " 1. La Commission procède avec les Etats membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces Etats (...). (...) ".

10. Il ressort des pièces du dossier que le régime d'aides dont relèvent les décrets attaqués a été déclaré compatible avec le marché intérieur par la Commission européenne. Dès lors, le moyen tiré de ce que les aides en litige méconnaissent les stipulations citées au point 9 doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de la société Compagnie Hôtelière de Nice, de la société Couronne Arenas, de la société Hotelhop Nice Grand Arenas et de la société Balm Restaurant doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées à fin d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de la société Compagnie Hôtelière de Nice, de la société Couronne Arenas, de la société Hotelhop Nice Grand Arenas et de la société Balm Restaurant sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Compagnie Hôtelière de Nice, à la société Couronne Arenas, à la société Hotelhop Nice Grand Arenas et à la société Balm Restaurant et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 novembre 2022 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Olivier Guiard, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 16 décembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Anne Egerszegi

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Guiard

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 454247
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 déc. 2022, n° 454247
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Guiard
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:454247.20221216
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