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16/12/2022 | FRANCE | N°453593

France | France, Conseil d'État, Formation spécialisée, 16 décembre 2022, 453593


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 juin et 14 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du ministre des armées, révélée par le courrier du 29 janvier 2021 de la présidente de la commission nationale de l'informatique et des libertés, lui refusant l'accès aux données susceptibles de le concerner figurant dans le fichier de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense ;

2°) d'enjoindre

au ministre des armées de lui communiquer les mentions le concernant figurant dans c...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 juin et 14 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du ministre des armées, révélée par le courrier du 29 janvier 2021 de la présidente de la commission nationale de l'informatique et des libertés, lui refusant l'accès aux données susceptibles de le concerner figurant dans le fichier de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense ;

2°) d'enjoindre au ministre des armées de lui communiquer les mentions le concernant figurant dans ce fichier, de les effacer ou éventuellement les rectifier ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son avocat, la SCP Fabiani-Luc Thaler-Pinatel, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, modifiée notamment par la loi n° 2018-693 du 20 juin 2018 et l'ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2018-687 du 1er août 2018 ;

- le décret n° 2019-536 du 29 mai 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une séance à huis-clos, d'une part, M. A... et la SCP Fabiani-Luc Thaler-Pinatel, son avocat, et d'autre part, le ministre des armées et la commission nationale de l'informatique et des libertés, qui ont été mis à même de prendre la parole avant les conclusions ;

Et après avoir entendu en séance :

- le rapport de Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat,

- et, hors la présence des parties, les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article 31 de la loi du 6 janvier 1978, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'Etat et intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), publié avec l'arrêté autorisant le traitement. Ceux de ces traitements qui portent sur des données mentionnées au I de l'article 6 de la même loi doivent être autorisés par décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé la commission, publié avec ce décret. Un décret en Conseil d'Etat peut dispenser de publication l'acte réglementaire autorisant la mise en œuvre de ces traitements ; le sens de l'avis émis par la CNIL est alors publié avec ce décret.

2. L'article L. 841-2 du code de la sécurité intérieure prévoit que le Conseil d'Etat est compétent pour connaître, dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, des requêtes concernant la mise en œuvre du droit d'accès aux données à caractère personnel et intéressant la sûreté de l'Etat qui sont contenues dans les traitements mis en œuvre pour le compte de l'Etat, dont la liste est fixée par l'article R. 841-2 du même code. Figure notamment au nombre de ces traitements le fichier de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense.

3. L'article L. 773-8 du code de justice administrative dispose que, lorsqu'elle traite des requêtes mentionnées au point 2 : " la formation de jugement se fonde sur les éléments contenus, le cas échéant, dans le traitement sans les révéler ni révéler si le requérant figure ou non dans le traitement. Toutefois, lorsqu'elle constate que le traitement ou la partie de traitement faisant l'objet du litige comporte des données à caractère personnel le concernant qui sont inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées, ou dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite, elle en informe le requérant, sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Elle peut ordonner que ces données soient, selon les cas, rectifiées, mises à jour ou effacées. Saisie de conclusions en ce sens, elle peut indemniser le requérant ". L'article R. 773-20 du même code précise que : " Le défendeur indique au Conseil d'Etat, au moment du dépôt de ses mémoires et pièces, les passages de ses productions et, le cas échéant, de celles de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui sont protégés par le secret de la défense nationale. / Les mémoires et les pièces jointes produits par le défendeur et, le cas échéant, par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sont communiqués au requérant, à l'exception des passages des mémoires et des pièces qui, soit comportent des informations protégées par le secret de la défense nationale, soit confirment ou infirment la mise en œuvre d'une technique de renseignement à l'égard du requérant, soit divulguent des éléments contenus dans le traitement de données, soit révèlent que le requérant figure ou ne figure pas dans le traitement. / Lorsqu'une intervention est formée, le président de la formation spécialisée ordonne, s'il y a lieu, que le mémoire soit communiqué aux parties, et à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que celles mentionnées à l'alinéa précédent ".

4. M. A... a saisi la CNIL afin de pouvoir accéder aux données susceptibles de le concerner figurant dans le traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense. La commission a désigné, en application de l'article 118 de la loi du 6 janvier 1978, un membre pour mener toutes investigations utiles et faire procéder, le cas échéant, aux modifications nécessaires. Par une lettre du 29 janvier 2021, la présidente de la commission a informé M. A... qu'il avait été procédé à l'ensemble des vérifications demandées et que la procédure était terminée, sans lui apporter d'autres informations. M. A... demande l'annulation du refus, révélé par ce courrier, du ministre des armées de lui donner accès aux données susceptibles de le concerner et figurant dans le fichier de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense et qu'il soit enjoint au ministre de lui communiquer les informations le concernant, de les effacer ou éventuellement les rectifier.

5. Le ministre des armées a produit devant le Conseil d'Etat, dans les conditions prévues à l'article R. 773-20 du code de justice administrative, un mémoire en défense portant sur les éléments susceptibles d'être relatifs à la situation de l'intéressé. Le ministre a, en outre, communiqué l'acte réglementaire créant le fichier litigieux.

6. Il appartient à la formation spécialisée, créée par l'article L. 773-2 du code de justice administrative précité, saisie de conclusions dirigées contre le refus de communiquer les données relatives à une personne qui allègue être mentionnée dans un fichier figurant à l'article R. 841-2 du code de la sécurité intérieure, de vérifier, au vu des éléments qui lui ont été communiqués hors la procédure contradictoire, si le requérant figure ou non dans le fichier litigieux. Dans l'affirmative, il lui appartient d'apprécier si les données y figurant sont pertinentes au regard des finalités poursuivies par ce fichier, adéquates et proportionnées. Pour ce faire, elle peut relever d'office tout moyen ainsi que le prévoit l'article L. 773-5 du code de justice administrative. Lorsqu'il apparaît soit que le requérant n'est pas mentionné dans le fichier litigieux soit que les données à caractère personnel le concernant qui y figurent ne sont entachées d'aucune illégalité, la formation de jugement rejette les conclusions du requérant sans autre précision. Dans le cas où des informations relatives au requérant figurent dans le fichier litigieux et apparaissent entachées d'illégalité soit que les données à caractère personnel le concernant sont inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées soit que leur collecte, leur utilisation, leur communication ou leur consultation est interdite, elle en informe le requérant sans faire état d'aucun élément protégé par le secret de la défense nationale. Cette circonstance, le cas échéant relevée d'office par le juge dans les conditions prévues à l'article R. 773-21 du code de justice administrative, implique nécessairement que l'autorité gestionnaire du fichier rétablisse la légalité en effaçant ou en rectifiant, dans la mesure du nécessaire, les données illégales. Dans pareil cas, doit être annulée la décision implicite refusant de procéder à un tel effacement ou à une telle rectification.

7. La dérogation apportée, par les dispositions des articles L. 773-2 et suivants du code de justice administrative, au caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle, qui a pour seul objet de porter à la connaissance des juges des éléments couverts par le secret de la défense nationale et qui ne peuvent dès lors être communiqués au requérant, permet à la formation spécialisée de statuer en toute connaissance de cause. Les pouvoirs dont elle est investie, pour instruire les requêtes, relever d'office toutes les illégalités qu'elle constate et enjoindre à l'administration de prendre toutes mesures utiles afin de remédier aux illégalités constatées, garantissent l'effectivité du contrôle juridictionnel de l'exercice du droit d'accès indirect aux données personnelles figurant dans des traitements intéressant la sûreté de l'Etat. Par suite, contrairement à ce que soutient M. A..., les conditions dans lesquelles la formation spécialisée remplit son office juridictionnel ne méconnaissent pas le droit au recours effectif des personnes qui la saisissent, garanti notamment par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le requérant ne saurait par ailleurs utilement se prévaloir de ce qu'il a besoin de l'accès aux données le concernant figurant dans le fichier en litige pour disposer des éléments nécessaires au soutien de la plainte pour dénonciation calomnieuse qu'il a déposée.

8. La formation spécialisée a procédé à l'examen de l'acte réglementaire créant le fichier en litige et des éléments fournis par le ministre et la CNIL. Il résulte de cet examen, qui s'est déroulé selon les modalités décrites au point 6, qui n'a révélé aucune illégalité, que les conclusions de M. A..., qui ne peut utilement se prévaloir de l'absence de mention de l'identité de la personne ayant pris la décision au nom du ministre des armées, doivent être rejetées, y compris ses conclusions à fin d'injonction et d'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre des armées. Copie en sera adressée à la commission nationale de l'informatique et des libertés.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 décembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président de la formation spécialisée, présidant ; M. Alexandre Lallet, conseiller d'Etat et Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 16 décembre 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Nathalie Escaut

Le secrétaire :

Signé : M. Valéry Cerandon-Merlot


Synthèse
Formation : Formation spécialisée
Numéro d'arrêt : 453593
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 déc. 2022, n° 453593
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Nathalie Escaut
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:453593.20221216
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