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09/12/2022 | FRANCE | N°451553

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 09 décembre 2022, 451553


Vu la procédure suivante :

La société Direct Energie a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution partielle des cotisations d'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à cet impôt qu'elle a acquittées au titre de son exercice clos en 2013, à hauteur de 730 494 euros. Par un jugement n° 1703586 du 19 avril 2018, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 18VE02536 du 11 février 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'actio

n et des comptes publics contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en...

Vu la procédure suivante :

La société Direct Energie a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution partielle des cotisations d'impôt sur les sociétés et des contributions additionnelles à cet impôt qu'elle a acquittées au titre de son exercice clos en 2013, à hauteur de 730 494 euros. Par un jugement n° 1703586 du 19 avril 2018, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 18VE02536 du 11 février 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics contre ce jugement.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 avril 2021 et 23 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Total Energies Electricité et Gaz de France ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du troisième alinéa du I de l'article 209 du code général des impôts : " (...) en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice dans la limite d'un montant de 1 000 000 € majoré de 50 % du montant correspondant au bénéfice imposable dudit exercice excédant ce premier montant. (...) ". Aux termes du II du même article : " En cas de fusion ou opération assimilée placée sous le régime de l'article 210 A, les déficits antérieurs et la fraction d'intérêts mentionnée au sixième alinéa du 1 du II de l'article 212 non encore déduits par la société absorbée ou apporteuse sont transférés, sous réserve d'un agrément délivré dans les conditions prévues à l'article 1649 nonies, à la ou aux sociétés bénéficiaires des apports, et imputables sur ses ou leurs bénéfices ultérieurs dans les conditions prévues respectivement au troisième alinéa du I et au sixième alinéa du 1 du II de l'article 212. (...)"

2. Aux termes de l'article 223 I du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " 1. a) Les déficits subis par une société du groupe au titre d'exercices antérieurs à son entrée dans le groupe ne sont imputables que sur son bénéfice, dans les limites et conditions prévues au troisième alinéa du I de l'article 209 ; / (...) / 5. Dans les situations visées aux c (...) du 6 de l'article 223 L, et sous réserve, le cas échéant, de l'obtention de l'agrément prévu au 6, la fraction du déficit qui n'a pu être reportée au titre d'un exercice dans les conditions prévues à l'article 223 S peut, dans la mesure où ce déficit correspond à celui de la société mère absorbée ou à celui des sociétés membres du groupe ayant cessé et qui font partie du nouveau groupe, s'imputer sur les résultats, déterminés selon les modalités prévues au 4 et par dérogation au a du 1, des sociétés mentionnées ci-dessus. Cette fraction de déficit s'impute dans les limites et conditions prévues au troisième alinéa du I de l'article 209. / (...) / 6. Dans les situations visées aux c (...) du 6 de l'article 223 L, les déficits de la société absorbée (...), déterminés dans les conditions prévues à l'article 223 S (...) sont transférés au profit de la ou des sociétés bénéficiaires des apports sous réserve d'un agrément délivré dans les conditions prévues à l'article 1649 nonies. (...) "

3. Aux termes de l'article 223 S du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Si le régime prévu à l'article 223 A cesse de s'appliquer à toutes les sociétés du groupe, la société mère doit comprendre dans son résultat imposable de l'exercice au cours duquel ce régime n'est plus applicable les sommes qui doivent être rapportées au résultat (...) d'ensemble en application des dispositions de la présente section en cas de sortie du groupe d'une société. (...) "

4. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 ci-dessus que les déficits reportables constitués par un groupe fiscalement intégré ayant cessé sont imputables sur les bénéfices propres de la société mère de ce groupe en vertu de l'article 223 S du code général des impôts. Lorsque cette société mère est absorbée par une société qui se constitue mère d'un nouveau groupe fiscal intégré avec les sociétés membres de l'ancien groupe, les déficits reportables constitués par l'ancien groupe sont imputables sur les bénéfices propres de la société absorbante en vertu des dispositions du a du 1 de l'article 223 I du même code, sous réserve de l'obtention de l'agrément prévu au 6 du même article. Sous la même réserve, ces déficits peuvent également être imputés sur les bénéfices des sociétés membres du groupe ayant cessé et qui font partie du nouveau groupe, en vertu du 5 du même article 223 I du code général des impôts.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Direct Energie, société mère d'un groupe fiscalement intégré constitué avec les sociétés Direct Energie Distribution et Direct Energie Génération, a été absorbée le 11 juillet 2012 avec effet rétroactif au 1er janvier par la société Poweo, devenue la société mère d'un nouveau groupe fiscalement intégré. Dans le cadre de cette restructuration, la société Poweo a obtenu le 6 septembre 2012 un premier agrément ouvrant droit, en application du II de l'article 209 du code général des impôts, au transfert de déficits de la société Direct Energie pour un montant de 34 960 228 euros. Elle a en outre obtenu, le même jour, un second agrément ouvrant droit, en application du 6 de l'article 223 I du même code, au transfert du déficit d'ensemble antérieurement subi par l'ancien groupe fiscalement intégré pour un montant de

105 093 075 euros. Ces déficits n'ayant pu être imputés au titre de l'exercice clos en 2012, la société Poweo, renommée Direct Energie, a, au titre de son exercice clos en 2013, tout d'abord imputé sur ses propres bénéfices, sur le fondement du a du 1 de l'article 223 I du code général des impôts, les déficits correspondant, d'une part, aux déficits dont elle disposait elle-même antérieurement à la constitution du nouveau groupe et d'autre part, aux déficits transférés en vertu du II de l'article 209 du code général des impôts, dans la limite fixée par le troisième alinéa du I de cet article. Dans un second temps, elle a vainement sollicité un dégrèvement d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt d'un montant de 730 494 euros en réclamant que soient en outre imputés sur ses propres bénéfices, sur le fondement du 5 de l'article 223 I du code général des impôts et dans la limite du plafond prévu par le troisième alinéa de l'article 209 du même code, des déficits constitués par l'ancien groupe et transférés en vertu du 6 de l'article 223 I de ce code. Par un jugement du 19 avril 2018, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à cette demande. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 février 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel formé contre ce jugement.

6. Pour confirmer le jugement du tribunal administratif de Montreuil, la cour administrative d'appel de Versailles a jugé qu'après avoir absorbé la société Direct Energie, mère du groupe fiscalement intégré constitué avec les sociétés Direct Energie Distribution et Direct Energie Génération, la société Poweo, renommée Direct Energie, avait pu légalement cumuler le bénéfice des mécanismes d'imputation des déficits antérieurs à la constitution du nouveau groupe prévus respectivement par les dispositions du a du 1 de l'article 223 I du code général des impôts et par celles du 5 de ce même article.

7. En permettant ainsi l'imputation, en vertu des dispositions du 5 de l'article 223 I du code général des impôts, sur les bénéfices de la société absorbante des déficits constitués par l'ancien groupe, qui lui avaient été transférés en vertu du 6 du même article, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus que ces dispositions ne permettent l'imputation des déficits constitués par l'ancien groupe que sur les résultats des sociétés membres de ce groupe et qui font partie du nouveau groupe, la cour administrative d'appel de Versailles a méconnu le champ d'application de ces dispositions. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi, l'arrêt attaqué doit être annulé.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus que d'une part, les déficits subis par la société absorbante Poweo, renommée Direct Energie, antérieurement à la constitution du nouveau groupe fiscalement intégré ainsi que, d'autre part, les déficits de la société absorbée qui lui avaient été transférés en vertu des agréments délivrés par l'administration fiscale respectivement sur le fondement du II de l'article 209 du code général des impôts et du 6 de l'article 223 I du même code, pouvaient uniquement être imputés sur ses bénéfices propres ultérieurs en application du a du 1 de cet article 223 I, dans la limite du plafond prévu par le troisième alinéa du I de l'article 209. Or, il résulte de l'instruction que les déficits antérieurs effectivement imputés par la société Direct Energie sur ses bénéfices propres de l'exercice clos en 2013 lui ont permis d'obtenir une déduction égale au plafond mentionné ci-dessus, quand bien même n'auraient pas été pris en compte les déficits constitués par l'ancien groupe et transférés en vertu du 6 de l'article 223 I du code général des impôts. Par suite, en jugeant que le 5 de l'article 223 I du code général des impôts autorisait la société, au titre de ces déficits, à opérer sur ses bénéfices propres une imputation supplémentaire, le tribunal a méconnu le champ d'application de ces dispositions.

10. Il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par la société Direct Energie devant le tribunal administratif de Montreuil.

11. Pour les mêmes raisons que celles exposées au point 9 ci-dessus, la société n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du 5 de l'article 223 I du code général des impôts l'autorisaient, en complément de l'imputation qu'elle avait opérée en application du a du 1 du même article, à imputer des déficits supplémentaires sur ses bénéfices propres.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de la requête d'appel formée par le ministre de l'action et des comptes publics, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de restitution des impositions litigieuses présentée par la société Direct Energie.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 11 février 2021 et le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 19 avril 2018 sont annulés.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Montreuil par la société Direct Energie, devenue société Total Energies Electricité et Gaz France, est rejetée.

Article 3 : Les cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt restituées à la société Direct Energie à hauteur de 730 494 euros sont remises à la charge de la société Total Energies Electricité et Gaz France.

Article 4 : Les conclusions de la société Total Energies Electricité et Gaz France présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Total Energies Electricité et Gaz France.

Délibéré à l'issue de la séance du 14 novembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Nicolas Polge, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat ; M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 9 décembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 451553
Date de la décision : 09/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-04-03-01 CONTRIBUTIONS ET TAXES. - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES. - RÈGLES GÉNÉRALES. - IMPÔT SUR LES BÉNÉFICES DES SOCIÉTÉS ET AUTRES PERSONNES MORALES. - DÉTERMINATION DU BÉNÉFICE IMPOSABLE. - CESSATION – EFFETS SUR LES DÉFICITS REPORTABLES DU GROUPE – 1) CAS GÉNÉRAL – IMPUTABILITÉ SUR LES BÉNÉFICES PROPRES DE LA SOCIÉTÉ MÈRE (ART. 223 I ET 223 S DU CGI) – 2) CAS OÙ CETTE DERNIÈRE EST ABSORBÉE PAR UNE SOCIÉTÉ SE CONSTITUANT MÈRE D'UN NOUVEAU GROUPE, COMPOSÉ DE TOUS LES MEMBRES DE L'ANCIEN GROUPE – A) IMPUTABILITÉ SUR LES BÉNÉFICES PROPRES DE L’ABSORBANTE, SOUS RÉSERVE DE L’OBTENTION D’UN AGRÉMENT (6 DE L’ART. 223 I) – B) IMPUTABILITÉ SUR LES BÉNÉFICES DES SOCIÉTÉS MEMBRES, SOUS CETTE MÊME RÉSERVE.

19-04-01-04-03-01 1) Il résulte des articles 223 I et 223 S du code général des impôts (CGI) que les déficits reportables constitués par un groupe fiscalement intégré ayant cessé sont imputables sur les bénéfices propres de la société mère de ce groupe en vertu de l’article 223 S du CGI. ...2) a) Lorsque cette société mère est absorbée par une société qui se constitue mère d'un nouveau groupe fiscal intégré avec les sociétés membres de l'ancien groupe, les déficits reportables constitués par l’ancien groupe sont imputables sur les bénéfices propres de la société absorbante en vertu du a du 1 de l’article 223 I du même code, sous réserve de l’obtention de l’agrément prévu au 6 du même article. ...b) Sous la même réserve, ces déficits peuvent également être imputés sur les bénéfices des sociétés membres du groupe ayant cessé et qui font partie du nouveau groupe, en vertu du 5 du même article 223 I.


Publications
Proposition de citation : CE, 09 déc. 2022, n° 451553
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Olivier Guiard
Rapporteur public ?: Mme Céline Guibé
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:451553.20221209
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