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08/12/2022 | FRANCE | N°464656

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 08 décembre 2022, 464656


Vu la procédure suivante :

Par un jugement du 17 mai 2022, enregistré le 3 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal judiciaire de Montauban a sursis à statuer sur la demande de Mme B... A... tendant au versement par la caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes des prestations journalières d'invalidité pour la période allant du 24 juin au 31 août 2019 et saisi le Conseil d'État de la question de la légalité de l'article 7 des statuts du régime

d'assurance invalidité décès de cette caisse.

Par un mémoire et un m...

Vu la procédure suivante :

Par un jugement du 17 mai 2022, enregistré le 3 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal judiciaire de Montauban a sursis à statuer sur la demande de Mme B... A... tendant au versement par la caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes des prestations journalières d'invalidité pour la période allant du 24 juin au 31 août 2019 et saisi le Conseil d'État de la question de la légalité de l'article 7 des statuts du régime d'assurance invalidité décès de cette caisse.

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux les 12 septembre et 18 novembre 2022, Mme A... demande au Conseil d'État :

1°) d'apprécier la légalité de cet article et de déclarer qu'il est entaché d'illégalité ;

2°) d'enjoindre, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, au ministre des solidarités et de la santé de l'abroger dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de la caisse et de l'Etat la somme de 3 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 ;

- le décret n° 68-884 du 10 octobre 1968 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 17 mai 2022, le tribunal judiciaire de Montauban, saisi d'un litige opposant Mme A... à la caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (Carpimko), a sursis à statuer jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se soit prononcé sur la légalité de l'article 7 des statuts du régime d'assurance invalidité décès de cette caisse, en ce qu'il serait entaché d'incompétence, qu'il méconnaîtrait l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le principe d'égalité devant la loi et les principes constitutionnels de proportionnalité et d'individualisation des sanctions.

2. En application de l'article L. 659 du code de la sécurité sociale alors applicable, dont les dispositions sont désormais en substance reprises à l'article L. 644-2 de ce code, l'article 1er du décret du 10 octobre 1968 relatif au régime d'assurance invalidité-décès des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures et orthophonistes institue des cotisations destinées à financer un régime d'assurance invalidité-décès fonctionnant à titre obligatoire, comportant des avantages en faveur des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures orthophonistes et orthoptistes atteints d'invalidité temporaire de plus de 90 jours ou d'incapacité totale et définitive et en faveur notamment de leur conjoint survivant et de leurs enfants à charge. L'article 4 de ce décret prévoit que ce régime d'assurance invalidité-décès est établi par les statuts de la section professionnelle des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures et auxiliaires médicaux. Selon l'article 3 des statuts de ce régime, les affiliés peuvent bénéficier du service d'une allocation journalière d'inaptitude totale à compter du 91ème jour d'incapacité professionnelle totale. Aux termes de l'article 7 des mêmes statuts, dont l'appréciation de la légalité est soumise au Conseil d'Etat : " Le non-paiement de tout ou partie des cotisations et le cas échéant, des majorations de retard dues au titre de l'ensemble des régimes gérés par la Carpimko entraîne, en ce qui concerne les risques visés aux 1°, 2° et 3° de l'article 3 : / 1°) la suppression du droit à prestations jusqu'au premier jour du mois suivant l'extinction de la dette lorsque cette dernière est afférente à l'année de survenance du risque et aux exercices antérieurs ou à ces derniers seulement ; / 2°) le maintien du droit à prestations lorsque la dette est afférente exclusivement à l'année de survenance du risque, sous réserve que l'assuré procède à la régularisation de son compte dans le délai d'un mois à partir de la déclaration d'incapacité ou d'invalidité. Passé ce délai, le droit à prestations est supprimé dans les conditions prévues au 1°). "

3. En premier lieu, le premier alinéa de l'article L. 641-1 du code de la sécurité sociale dispose que : " L'Organisation autonome d'assurance vieillesse des professions libérales comprend une caisse nationale et des sections professionnelles, dotées de la personnalité juridique et de l'autonomie financière. " Aux termes de l'article L. 641-5 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites : " Les sections professionnelles sont instituées par décret en Conseil d'Etat./ (...) Les statuts des sections professionnelles sont approuvés par arrêté ministériel. " En vertu de l'article L. 641-5 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de l'article 48 de la même loi : " Les sections professionnelles sont instituées par décret en Conseil d'Etat. / (...) Les statuts des sections professionnelles, conformes aux statuts types approuvés par décret, sont soumis à l'approbation du conseil d'administration de la Caisse nationale. / Ils sont réputés approuvés à défaut d'opposition par le ministre chargé de la sécurité sociale dans un délai d'un mois à compter de leur réception. "

4. Ces dispositions, dans leur rédaction antérieure comme dans celle postérieure à leur modification par l'article 48 de la loi du 20 janvier 2014, qui n'est au demeurant pas entrée en vigueur faute d'approbation par décret des statuts types, prévoient dans tous les cas que les statuts des sections professionnelles de la caisse font l'objet d'une approbation par le ministre chargé de la sécurité sociale, que ce soit de manière expresse par arrêté ou que ce soit de manière tacite. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article en litige serait entaché d'incompétence au motif que les statuts de la section professionnelle établissant le régime d'assurance invalidité-décès auraient dû être approuvés par décret et non par arrêté ministériel ne peut qu'être rejeté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. " Il résulte des termes mêmes de cet article que le principe de non-discrimination qu'il édicte ne concerne que la jouissance des droits et libertés reconnus par cette convention et par les protocoles additionnels à celle-ci. Il ne peut dès lors être invoqué qu'à l'appui d'un droit ou d'une liberté dont la jouissance serait affectée par la discrimination alléguée. A supposer que, comme le soutient Mme A..., la question soumise par le tribunal judiciaire de Montauban à la juridiction administrative ait été, bien qu'elle ne le précise pas, celle d'une discrimination opérée dans le droit au respect des biens, garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention, les dispositions contestées, qui se bornent à fixer une condition pour pouvoir bénéficier de l'allocation journalière d'inaptitude, ne portent pas atteinte, pour les personnes qui ne remplissent pas cette condition, alors même qu'elles se seraient acquittées, par le passé, d'une partie de leurs cotisations, à un droit constitutif d'un bien protégé par ces stipulations. L'article 14 de la convention ne peut donc être utilement invoqué à leur encontre.

6. En troisième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

7. Il résulte de l'article en litige que l'assuré qui procède à la régularisation de ses cotisations dans un délai d'un mois à compter de la déclaration d'incapacité ou d'invalidité obtient le maintien de son droit à prestation quand les arriérés en cause concernent l'année de survenance du risque. En cas d'arriéré de cotisations afférent à plusieurs exercices ou à un exercice antérieur à celui de survenance du risque, l'assuré peut retrouver ses droits à prestation en s'acquittant des cotisations manquantes, à compter du premier jour du mois suivant l'extinction de la dette. L'article 3 des mêmes statuts prévoyant, ainsi qu'il a été dit au point 2, que le service d'une allocation journalière d'inaptitude totale débute à compter du 91ème jour d'incapacité professionnelle totale, l'assuré dispose de la période courant entre le début de son incapacité et cette dernière date pour s'acquitter des cotisations manquantes et ainsi ne pas subir la suppression de la prestation prévue par l'article en litige. Dès lors, la différence de traitement instituée par cet article entre les assurés selon qu'ils sont ou non à jour de leurs cotisations, qui est en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit, n'est pas manifestement disproportionnée.

8. En quatrième lieu, les dispositions en litige ne visant pas à réprimer un manquement de l'assuré, mais se bornant à subordonner le bénéfice des prestations d'invalidité du régime au versement, par les assurés, de leurs cotisations, elles ne présentent pas le caractère d'une sanction. Par suite, Mme A... ne peut utilement soutenir que ces dispositions méconnaîtraient les principes de proportionnalité et d'individualisation des peines.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que l'article 7 des statuts du régime d'assurance invalidité-décès de cette caisse est entaché d'illégalité.

10. Ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de la santé et de la prévention, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'abroger cet article ne peuvent dès lors, en tout état de cause, qu'être rejetées.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat ou de la caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... la somme que cette caisse demande au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est déclaré que l'exception d'illégalité de l'article 7 des statuts du régime d'assurance invalidité-décès de la section professionnelle des auxiliaires médicaux de la caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes soulevée par Mme A... devant le tribunal judiciaire de Montauban n'est pas fondée.

Article 2 : Les conclusions de Mme A... à fin d'injonction et les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., à la caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes, au ministre de la santé et de la prévention et au tribunal judiciaire de Montauban.

Délibéré à l'issue de la séance du 24 novembre 2022 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 8 décembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Eric Buge

Le secrétaire :

Signé : M. Mickaël Lemasson


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 464656
Date de la décision : 08/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 08 déc. 2022, n° 464656
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: Mme Marie Sirinelli
Avocat(s) : SARL DELVOLVE ET TRICHET

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:464656.20221208
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