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09/11/2022 | FRANCE | N°464460

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 09 novembre 2022, 464460


Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision du 7 août 2018 par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a refusé de faire droit à sa demande tendant au bénéfice d'un départ anticipé à la retraite en qualité de fonctionnaire handicapé, d'enjoindre à ce ministre, sous astreinte, de lui octroyer, à compter du 1er janvier 2019, le bénéfice d'un départ anticipé à la retraite en sa qualité de fonctionnaire handicapé ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de se pr

ononcer sur sa demande, d'autre part, d'annuler le titre de pension n° B 1806...

Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision du 7 août 2018 par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics a refusé de faire droit à sa demande tendant au bénéfice d'un départ anticipé à la retraite en qualité de fonctionnaire handicapé, d'enjoindre à ce ministre, sous astreinte, de lui octroyer, à compter du 1er janvier 2019, le bénéfice d'un départ anticipé à la retraite en sa qualité de fonctionnaire handicapé ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de se prononcer sur sa demande, d'autre part, d'annuler le titre de pension n° B 18068606 X du 15 octobre 2018, d'enjoindre au ministre de l'action et des comptes publics, sous astreinte, de prendre, après réexamen, un nouveau titre de pension prenant en compte sa qualité de travailleur handicapé et de le faire bénéficier de la majoration due à ce titre avec reconstitution de ses entiers droits à pension depuis lors et pour l'avenir ou, à titre subsidiaire, d'enjoindre au service des retraites de l'Etat de réexaminer sa situation et de rendre une nouvelle décision le concernant. Par un jugement nos 1809108, 1811511 du 29 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ces demandes.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 30 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 30 août 2022, M. B... demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du III de l'article 36 de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 et de l'article L. 5213-2 du code du travail, telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet Rousseau, Tapie, avocat de M. B... ;

Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. D'une part, aux termes du 5° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites : " Un décret fixe les conditions dans lesquelles l'âge d'ouverture du droit à pension est abaissé, par rapport à un âge de référence de soixante ans, pour les fonctionnaires handicapés qui totalisent, alors qu'ils étaient atteints d'une incapacité permanente d'au moins 80 % ou qu'ils avaient la qualité de travailleur handicapé au sens de l'article L. 5213-1 du code du travail, une durée d'assurance au moins égale à une limite fixée par ce décret, tout ou partie de cette durée ayant donné lieu à versement de retenues pour pensions ". Aux termes du 5° du I du même article, dans sa rédaction issue de la loi du 20 janvier 2014 : " Un décret fixe les conditions dans lesquelles l'âge d'ouverture du droit à pension est abaissé, par rapport à un âge de référence de soixante ans, pour les fonctionnaires handicapés qui totalisent, alors qu'ils étaient atteints d'une incapacité permanente d'au moins 50 %, une durée d'assurance au moins égale à une limite fixée par ce décret, tout ou partie de cette durée ayant donné lieu à versement de retenues pour pensions ". Si ces dernières dispositions, tout en abaissant le seuil d'incapacité permanente permettant d'accéder à la retraite anticipée, ont supprimé la référence à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, l'article 36 de la loi du 20 janvier 2014 a prévu que : " III. Pour les périodes antérieures au 31 décembre 2015, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, au sens de l'article L. 5213-1 du code du travail, est prise en compte pour l'appréciation des conditions mentionnées (...) au 5° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 5213-1 du code du travail : " Est considérée comme travailleur handicapé toute personne dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physique, sensorielle, mentale ou psychique " et aux termes de l'article L. 5213-2 du même code : " La qualité de travailleur handicapé est reconnue par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées mentionnée à l'article L. 241-5 du code de l'action sociale et des familles. Cette reconnaissance s'accompagne d'une orientation vers un établissement ou service d'aide par le travail, vers le marché du travail ou vers un centre de rééducation professionnelle ". En vertu de ces dernières dispositions, telles qu'éclairées par la jurisprudence, peut seul être regardé comme travailleur handicapé, pour l'application des dispositions du III de l'article 36 de la loi du 20 janvier 2014, celui qui a été reconnu comme tel, pour la période requise, par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ou par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel à laquelle elle a succédé.

4. Le requérant soutient que les dispositions, citées aux points 2 et 3, du III de l'article 36 de la loi du 20 janvier 2014 et de l'article L. 5213-2 du code du travail, prises ensemble, méconnaissent, en raison de l'interprétation qu'en a donné le Conseil d'Etat dans sa jurisprudence récente, le principe d'égalité reconnu par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en ce qu'elles ne permettent pas à un travailleur handicapé d'apporter, pour la période antérieure au 31 décembre 2015, la preuve de cette qualité par tout moyen en vue de bénéficier d'un départ anticipé à la retraite.

5. En premier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. Il résulte des dispositions du code du travail citées au point 3 et de la section du code dans lesquelles elles s'insèrent que le législateur, en subordonnant la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, au sens de l'article L. 5213-1 de ce code, à une décision de reconnaissance de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ou de la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel à laquelle elle a succédé, a entendu identifier, par une procédure garantissant leur égalité de traitement, les personnes dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physique, sensorielle, mentale ou psychique afin qu'elles puissent bénéficier de mesures adaptées en vue de leur insertion professionnelle. Il suit de là qu'en ne donnant pas au fonctionnaire demandant le bénéfice des dispositions de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite la possibilité d'apporter, pour la période antérieure au 31 décembre 2015, la preuve de sa qualité de travailleur handicapé, au sens de ces dispositions, par tout moyen, le législateur a fixé un critère objectif en rapport direct avec l'objet de la disposition litigieuse, qui est de faciliter l'accès des fonctionnaires handicapés au dispositif de départ anticipé à la retraite en préservant les droits des personnes préalablement éligibles à ce dispositif.

7. En second lieu, en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la Nation " garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe au législateur de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de leur mise en œuvre. En particulier, il lui est à tout moment loisible de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Cependant, l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.

8. Par les dispositions contestées, le législateur a entendu ne pas exclure du bénéfice du dispositif de départ anticipé à la retraite les personnes qui, ne justifiant pas d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 50 % mais bénéficiant de la reconnaissance de leur qualité de travailleur handicapé pour les périodes antérieures au 31 décembre 2015, auraient pu, en application des dispositions antérieures, voir ces périodes prises en compte pour l'appréciation de leurs conditions d'éligibilité à ce dispositif. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient le requérant, les dispositions contestées ne sont pas de nature à priver de garanties légales les exigences constitutionnelles découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré par M. B..., à l'appui de son pourvoi en cassation, de ce que les dispositions du III de l'article 36 de la loi du 20 janvier 2014 et de l'article L. 5213-2 du code du travail, prises ensemble, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'Etat, méconnaitraient le principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et les dispositions du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ne peut justifier l'admission de son pourvoi.

Sur l'autre moyen du pourvoi :

10. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

11. Pour demander l'annulation du jugement qu'il attaque, M. B... soutient que le tribunal administratif de Nantes a commis une erreur de droit en jugeant que seul pouvait être considéré comme travailleur handicapé, pour l'application des dispositions du III de l'article 36 de la loi du 20 janvier 2014 précitées, celui qui a été reconnu comme tel pour la période requise par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ou par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel à laquelle elle a succédé.

11. Ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....

Article 2 : Le pourvoi de M. B... n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B....

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2022 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, auditrice-rapporteure.

Rendu le 9 novembre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

La rapporteure :

Signé : Mme Ariane Piana-Rogez

La secrétaire :

Signé : Mme Anne Lagorce

La République mande et ordonne au ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 464460
Date de la décision : 09/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 nov. 2022, n° 464460
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Ariane Piana-Rogez
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:464460.20221109
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