Vu la procédure suivante :
Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 février, 22 avril et 16 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des mines et de l'énergie - Confédération générale du travail (FNME - CGT) demande au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 27 décembre 2021 de la ministre de la transition écologique, du ministre des solidarités et de la santé, du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, et du secrétaire d'Etat auprès de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, chargé des retraites et de la santé au travail, modifiant l'arrêté du 13 septembre 2011 portant réglementation spéciale du contrôle médical du régime spécial de sécurité sociale des industries électriques et gazières ;
2°) à titre subsidiaire, de l'annuler en tant qu'il ne prévoit pas que le recours devant la commission médicale de recours amiable présente un caractère suspensif et d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, de prendre toute mesure de nature à garantir cet effet suspensif du recours devant être porté devant la commission médicale de recours amiable ou, à défaut, de l'annuler en tant qu'il prévoit un délai de trois mois pour que l'employeur notifie au salarié ayant saisi la commission médicale de recours amiable la décision de cette commission et d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, de prendre toute mesure de nature à garantir que la décision de la commission de recours amiable soit rendue dans les plus brefs délais ;
3°) d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé d'édicter toute mesure propre à garantir le droit effectif des agents des industries électriques et gazières à la protection de leur santé, à leur droit de propriété et au respect de leurs biens et à leur droit à un recours effectif, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'énergie ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 46-628 du 9 avril 1946 ;
- le décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 ;
- l'arrêté du 13 septembre 2011 portant règlement spécial du contrôle médical du régime spécial de sécurité sociale des industries électriques et gazières ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,
- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l'énergie CGT (FNME - CGT) ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 47 de la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz : " Des décrets pris sur le rapport des ministres du travail et de la production industrielle, après avis des organisations syndicales les plus représentatives des personnels, déterminent le statut du personnel en activité et du personnel retraité et pensionné des entreprises ayant fait l'objet d'un transfert (...) ". En application de ces dispositions, le décret du 22 juin 1946 a approuvé le statut national du personnel des industries électriques et gazières. Son article 22, qui porte sur les " prestations, salaires ou traitements ", précise les conditions dans lesquelles les agents statutaires soumis au statut et mis dans l'incapacité de travailler en cas de maladie, maternité, paternité, accident du travail ou maladie professionnelle, ont droit, pendant leur incapacité de travail, à leur salaire ou traitement intégral versés par l'employeur. Après avoir précisé que les agents devront notamment, pour bénéficier de ces dispositions, prévenir leur chef de service et lui adresser un certificat médical établi par un médecin de leur choix, le paragraphe 6 de cet article prévoit que " (...) / Afin de permettre l'unité de contrôle des malades blessés et accidentés du travail et autres bénéficiaires des dispositions dites de sécurité sociale déterminées au présent statut, un règlement spécial de contrôle sera établi par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé de l'énergie (...) ". L'arrêté du 27 décembre 2021, dont la FNME-CGT demande l'annulation pour excès de pouvoir, modifie l'arrêté du 13 septembre 2011 portant règlement spécial du contrôle médical du régime spécial de sécurité sociale des industries électriques et gazières.
Sur la légalité externe :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la FNME-CGT et les autres organisations syndicales représentatives ont été invitées à donner leur avis sur le projet d'arrêté par courrier du 25 novembre 2021 en vue d'un échange oral qui s'est tenu le 30 novembre 2021, alors même que leur consultation n'était pas obligatoire en vertu de l'article 47 de la loi du 8 avril 1946, qui ne prévoit le recueil de l'avis de ces organisations syndicales que sur les projets de décret.
3. En second lieu, en vertu du 1° de l'article R. 142-21 du code de l'énergie, le conseil supérieur de l'énergie est consulté sur " L'ensemble des actes de nature réglementaire émanant du Gouvernement, intéressant le secteur de l'électricité ou du gaz, à l'exception de ceux qui relèvent du domaine de compétence de la Caisse nationale des industries électriques et gazières ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 142-27 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué : " Une convocation écrite est envoyée aux membres du Conseil supérieur de l'énergie quatorze jours francs avant la date de la réunion. Le délai est réduit à six jours francs en cas d'urgence. ". Il ressort des pièces du dossier que le projet d'arrêté a été soumis pour avis au Conseil supérieur de l'énergie, qui l'a examiné le 16 décembre 2021, après avoir été convoqué le 9 décembre 2021, soit dans le délai de six jours applicable en cas d'urgence.
4. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que les consultations réalisées ont été irrégulières.
Sur la légalité interne :
5. En premier lieu, d'une part, les médecins-conseils des industries électriques et gazières sont soumis aux dispositions du code de la santé publique portant code de déontologie des médecins et notamment aux articles R. 4127-100 à R. 4127-104 du code de la santé publique, qui définissent les obligations déontologiques spécifiques à l'exercice de la médecine de contrôle. Aux termes du troisième alinéa de l'article R. 4127-102 de ce code, le médecin chargé du contrôle " doit être parfaitement objectif dans ses conclusions ". En outre, aux termes de l'article R. 4127-104 du même code : " Le médecin chargé du contrôle est tenu au secret envers l'administration ou l'organisme qui fait appel à ses services. Il ne peut et ne doit lui fournir que ses conclusions sur le plan administratif, sans indiquer les raisons d'ordre médical qui les motivent. ".
6. D'autre part, la seule circonstance que les médecins-conseils du régime spécial des industries électriques et gazières ne disposent pas de la même formation que les médecins-conseils relevant du régime général de la sécurité sociale ne saurait conduire à les regarder comme ne disposant pas des compétences adaptées à leurs fonctions. Au demeurant, en vertu de l'article R. 4127-101 du code de la santé publique, le médecin de contrôle doit se récuser notamment s'il estime que les questions qui lui sont posées sont étrangères à ses connaissances ou à ses possibilités.
7. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que les médecins-conseils des industries électriques et gazières et les médecins siégeant au sein de la commission médicale de recours amiable, désignés par le médecin-conseil national, ne seraient pas indépendants et bénéficieraient d'une formation insuffisante, ce dont il résulterait que la procédure instituée par le 6° de l'article 1er de l'arrêté attaqué méconnaîtrait le principe d'impartialité ou serait susceptible de nuire au caractère équitable d'une procédure juridictionnelle ultérieure.
8. En deuxième lieu, lorsqu'elle se prononce sur le bien-fondé de l'avis du médecin-conseil, la commission médicale de recours amiable se prononce sur l'état de santé du salarié et le caractère justifié ou non de l'arrêt de travail prononcé par le médecin traitant par un avis qui précède la décision finale de l'employeur. Elle ne tranche ainsi aucune contestation sur des droits et obligations de caractère civil, cette contestation n'étant susceptible de s'exprimer qu'une fois intervenue la décision de l'employeur prise à la suite de l'examen du recours de l'agent par la commission médicale de recours amiable. Dès lors, la fédération requérante ne peut utilement soutenir que la procédure instituée par l'arrêté attaqué méconnaîtrait les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. En troisième lieu, si le fait pour un agent de ne pas se conformer à la décision de l'employeur, prise à la suite de l'avis du médecin-conseil, de reprise du travail l'expose à ce qu'il soit mis fin au maintien de son salaire ou traitement intégral prévu en cas de maladie à l'article 22 du statut national, cette seule circonstance ne saurait être regardée comme portant atteinte au droit au recours. En outre, lorsque la commission médicale de recours amiable estime, contrairement au médecin-conseil, que l'arrêt de travail est justifié, le salarié a droit au bénéfice des prestations de salaires prévues à l'article 22 qui ont été supprimées en l'absence de reprise du travail. Dans ces conditions, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que l'absence de caractère suspensif du recours de l'agent contre la décision de l'employeur porté devant la commission médicale de recours amiable méconnaîtrait le droit au recours, le droit à la protection de la santé ou le droit de propriété. En outre, eu égard à la nature de la décision prise par l'employeur, la fédération requérante ne peut utilement soutenir que la procédure instituée par l'arrêté contesté méconnaîtrait le principe général des droits de la défense.
10. En quatrième lieu, l'article L. 221-5 du code des relations entre le public et l'administration prévoit que : " L'autorité administrative investie du pouvoir réglementaire est tenue, dans la limite de ses compétences, d'édicter des mesures transitoires dans les conditions prévues à l'article L. 221-6 lorsque l'application immédiate d'une nouvelle réglementation est impossible ou qu'elle entraîne, au regard de l'objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux intérêts publics ou privés en cause. / Elle peut également y avoir recours, sous les mêmes réserves et dans les mêmes conditions, afin d'accompagner un changement de réglementation ". En vertu de l'article L. 221-6 du même code, ces mesures transitoires peuvent notamment consister à prévoir une date d'entrée en vigueur différée des règles édictées ou à préciser, pour les situations en cours, les conditions d'application de la nouvelle réglementation.
11. L'arrêté attaqué, publié au Journal officiel de la République française le mercredi 29 décembre 2021, est entré en vigueur le lendemain. En l'absence de dispositions transitoires, la procédure de recours porté devant la commission médicale de recours amiable instituée par le 6° de l'article 1er de l'arrêté attaqué était ainsi applicable immédiatement. Il est toutefois constant que la commission médicale de recours amiable n'était pas en mesure de traiter ces recours à la date d'entrée en vigueur de l'arrêté et qu'il n'apparaissait pas qu'elle le serait avant un délai de trois mois, faisant ainsi obstacle à ce que les salariés pour lesquels le médecin-conseil aurait considéré que leur arrêt de travail n'était pas justifié puissent former une contestation d'ordre médical contre la décision de l'employeur prise à la suite de cet avis. Par suite, la fédération requérante est fondée à soutenir que l'absence de mesures transitoires jusqu'au 1er avril 2022 porte une atteinte excessive aux intérêts des salariés et que l'arrêté est, par suite, illégal dans cette mesure.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la FNME-CGT est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêté contesté en tant qu'il est entré en vigueur avant le 1er avril 2022 sans prévoir de mesures transitoires jusqu'à cette date.
13. Il y lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la Fédération nationale des mines et de l'énergie - Confédération générale du travail au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 27 décembre 2021 modifiant l'arrêté du 13 septembre 2011 portant règlement spécial du contrôle médical du régime spécial de sécurité sociale des industries électriques et gazières est annulé en tant qu'il n'a pas prévu de mesures transitoires jusqu'au 1er avril 2022.
Article 2 : L'Etat versera à la Fédération nationale des mines et de l'énergie - Confédération générale du travail une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la Fédération nationale des mines et de l'énergie - Confédération générale du travail est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des mines et de l'énergie - Confédération générale du travail et au ministre de la santé et de la prévention.
Copie en sera adressée à la ministre de la transition énergétique.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 octobre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, Mme Anne Lazar Sury, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat et Mme Manon Chonavel, auditrice-rapporteure.
Rendu le 7 novembre 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Manon Chonavel
La secrétaire :
Signé : Mme Anne Lagorce
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :