Vu la procédure suivante :
Mme F... C..., agissant tant en son nom propre qu'en sa qualité de tutrice de sa mère, Mme B... D..., a demandé à la commission départementale d'aide sociale des Yvelines d'annuler la décision du 14 juin 2018 par laquelle le président du conseil départemental des Yvelines a rejeté la demande de prise en charge des frais d'hébergement de Mme D... au titre de l'aide sociale aux personnes âgées, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours gracieux du 14 août 2018, et d'annuler les titres de recettes émis par le président du conseil départemental des Yvelines à fin de recouvrement de sommes correspondant à des frais d'hébergement de Mme D.... Par une ordonnance du 12 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Versailles a transmis cette demande, qui lui avait été renvoyée par la commission départementale d'aide sociale, au tribunal administratif de Versailles. Par un jugement n° 1909939 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de Mme D....
Par un pourvoi sommaire, enregistré le 16 août 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C..., en sa qualité de tutrice de Mme D..., et par un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 novembre 2021 et 28 juillet 2022, Mme C..., M. E... C... et M. A... D..., en leur qualité d'héritiers de Mme D..., leur mère et épouse décédée, demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à la demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge du département des Yvelines la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Damien Pons, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme F... C... et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat du département des Yvelines ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme D..., admise au sein de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes du centre hospitalier de Rambouillet le 1er avril 2015, a bénéficié d'une décision de prise en charge partielle de ses frais d'hébergement par l'aide sociale départementale pour une période allant du 1er juillet 2015 au 30 juin 2020, la participation de ses obligés alimentaires, Mme C... et M. C..., étant fixée à une somme globale mensuelle de 745,36 euros. Par courriers du 20 novembre 2017, le président du conseil départemental des Yvelines a informé Mme D... et ses obligés alimentaires qu'il engageait une procédure de révision de la décision d'admission à l'aide sociale de l'intéressée. Par une décision du 14 juin 2018, confirmée sur recours préalable, le président du conseil départemental des Yvelines a décidé de ne plus accorder à Mme D... la prise en charge partielle de ses frais d'hébergement par l'aide sociale départementale à compter du 1er octobre 2017, compte tenu de ses ressources et de l'aide possible de ses obligés alimentaires. Mme C... a demandé à la commission départementale d'aide sociale des Yvelines, tant en son nom propre qu'en sa qualité de tutrice de Mme D..., d'annuler cette décision. Par un jugement du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Versailles, à qui la demande avait été transmise, l'a rejetée. Mme C..., tant en sa qualité de tutrice de Mme D... qu'en son nom propre, ainsi que M. C... et M. D..., héritiers de Mme D..., se pourvoient en cassation contre ce jugement.
Sur les fins de non-recevoir opposées par le département des Yvelines :
2. Aux termes de l'article R. 751-3 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, les décisions sont notifiées le même jour à toutes les parties en cause et adressées à leur domicile réel, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, sans préjudice du droit des parties de faire signifier ces décisions par acte d'huissier de justice ".
3. Si le département des Yvelines est fondé à soutenir que le pourvoi formé par Mme C... en sa qualité de tutrice de sa mère est irrecevable dès lors que celle-ci était décédée à la date de l'introduction de ce pourvoi, le 16 août 2021, il ressort toutefois des pièces de la procédure que Mme C..., qui avait saisi la commission départementale d'aide sociale tant en son nom propre qu'en sa qualité de tutrice de sa mère, avait la qualité de partie devant le tribunal administratif de Versailles. Le jugement du tribunal administratif ayant été notifié le 15 juin 2021 à la seule Mme D..., pourtant décédée, sans être notifié à Mme C... en sa qualité de tutrice ou en son nom propre non plus qu'à M. C... et M. D..., le pourvoi, présenté le 16 novembre 2021 par ces derniers en leur qualité d'héritiers de Mme D... et par Mme C..., en sa qualité de partie en première instance, ne saurait être regardé comme tardif.
Sur le pourvoi :
4. En premier lieu, l'article R. 634-1 du code de justice administrative dispose que : " Dans les affaires qui ne sont pas en état d'être jugées, la procédure est suspendue par la notification du décès de l'une des parties ou par le seul fait du décès, de la démission, de l'interdiction ou de la destitution de son avocat. Cette suspension dure jusqu'à la mise en demeure pour reprendre l'instance ou constituer avocat. "
5. Il ressort en l'espèce des pièces de la procédure que le tribunal administratif a été informé du décès de Mme D..., survenu le 2 mai 2020, par un mémoire du département du 20 mai 2021, postérieurement au dépôt par celui-ci de son mémoire en défense du 19 mai 2021. Par suite, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'affaire était en tout état de cause en état d'être jugée à la date de la notification du décès de Mme D... au tribunal, de sorte que celui-ci n'a pas méconnu son office, commis une erreur de droit ou entaché son jugement d'irrégularité en y statuant, alors même qu'aucun ayant-droit de Mme D... n'avait été mis en demeure de reprendre l'instance en cette qualité.
6. En second lieu, l'article R. 131-3 du code de l'action sociale et des familles prévoit que : " Sous réserve des dispositions des articles L. 232-25, L. 245-7 et L. 262-40, les décisions accordant le bénéfice de l'aide sociale peuvent faire l'objet, pour l'avenir, d'une révision lorsque des éléments nouveaux modifient la situation au vu de laquelle ces décisions sont intervenues. Il est procédé à cette révision dans les formes prévues pour l'admission à l'aide sociale ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 131-4 du même code : " Lorsque les décisions administratives d'admission ont été prises sur la base de déclarations incomplètes ou erronées, il peut être procédé à leur révision, avec répétition de l'indu ".
7. Lorsque l'autorité administrative révise le droit d'une personne admise à l'aide sociale à la prise en charge de ses frais d'hébergement en raison d'éléments nouveaux modifiant la situation au vu de laquelle le bénéfice de l'aide lui avait été attribuée, sa décision ne peut, comme le précisent les dispositions de l'article R. 131-3 du code de l'action sociale et des familles et sous réserve des hypothèses qu'il mentionne, produire d'effets que pour l'avenir, c'est-à-dire pour la période courant à compter de la date à laquelle l'autorité administrative prend sa décision de révision. Il en va différemment lorsque la décision administrative a été prise sur la base de déclarations incomplètes ou erronées. En un tel cas, la décision prise peut tout à la fois, ainsi que le prévoit l'article R. 131-4 du code de l'action sociale et des familles, décider la révision des droits de l'intéressé pour l'avenir et procéder, pour le passé, à la récupération, pour la période antérieure à la date de la décision, de l'indu résultant de ces déclarations incomplètes ou erronées.
8. Il résulte de ce qui précède que le tribunal administratif de Versailles a commis une erreur de droit en jugeant qu'une décision de révision engagée sur le fondement de l'article R. 131-3 du code de l'action sociale et des familles pouvait légalement prendre effet jusqu'à quatre mois avant la date à laquelle l'autorité administrative compétente engage la procédure de révision.
9. Mme C..., M. C... et M. D... sont, par suite, fondés à demander, par un tel moyen qui n'est pas nouveau en cassation, l'annulation du jugement qu'ils attaquent, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département des Yvelines une somme globale de 3 000 euros à verser à Mme C..., M. C... et M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge des requérants, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Versailles.
Article 3 : Le département des Yvelines versera à Mme C..., M. C... et M. D... une somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le département des Yvelines au titre de l'article L. 761-1 sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme F... C..., première dénommée, pour l'ensemble des requérants, et au département des Yvelines.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 octobre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, Mme Anne Lazar Sury, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, conseillers d'Etat et M. Damien Pons, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 7 novembre 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Damien Pons
La secrétaire :
Signé : Mme Anne Lagorce
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :