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14/10/2022 | FRANCE | N°461412

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 14 octobre 2022, 461412


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 février et 31 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 22 septembre 2021 du ministre de l'économie, des finances et de la relance et du ministre des solidarités et de la santé portant approbation de l'avenant n° 9 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie signée le 25 août 2016

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2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de retrait de cet...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 février et 31 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 22 septembre 2021 du ministre de l'économie, des finances et de la relance et du ministre des solidarités et de la santé portant approbation de l'avenant n° 9 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie signée le 25 août 2016 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de retrait de cet arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2011/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins, et à la SCP Duhamel, Rameix, Gury, Maître, avocat de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale, les rapports entre les organismes d'assurance maladie et les médecins sont définis par des conventions nationales conclues entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives, selon le cas, des médecins généralistes ou des médecins spécialistes. Ces conventions et leurs avenants sont, en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 162-15 du même code, approuvés par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale.

2. Le Conseil national de l'ordre des médecins demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 22 septembre 2021 par lequel le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le ministre des solidarités et de la santé ont approuvé l'avenant n° 9 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie signée le 25 août 2016 ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux. Eu égard aux moyens qu'il invoque, sa requête doit être regardée comme tendant à l'annulation de l'approbation de l'avenant n° 9 en tant que celui-ci supprime l'exigence que le médecin effectuant un acte de téléconsultation connaisse préalablement le patient, qu'il permet à un professionnel de santé non médecin de solliciter une téléexpertise et qu'il instaure un dispositif d'" intéressement " à la prescription de médicaments biosimilaires.

Sur la téléconsultation :

3. En vertu du 1° du I de l'article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale, les conventions prévues à l'article L. 162-5 du même code définissent notamment, le cas échéant, le tarif et les modalités de réalisation des actes de télémédecine, définie à l'article L. 6316-1 du code de la santé publique. Selon le 1° de l'article R. 6316-1 du même code, pris pour l'application de l'article L. 6316-1, la téléconsultation, qui est un acte relevant de la télémédecine, a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient.

4. L'article 2-1 de l'avenant n° 9 modifie les stipulations de l'article 28.6.1.1 de la convention intitulé " Champ d'application de la téléconsultation ", en prévoyant que " pour assurer la qualité des soins en téléconsultation, le suivi régulier du patient s'effectue à la fois par des consultations en présentiel et en téléconsultations au regard des besoins du patient et de l'appréciation du médecin, et ce afin que ce dernier puisse disposer des informations nécessaires à la réalisation d'un suivi médical de qualité " et en supprimant l'exigence, auparavant prévue, que les patients bénéficiant d'une téléconsultation soient connus du médecin consultant, c'est-à-dire qu'ils aient bénéficié d'au moins une consultation " en présentiel " dans les douze mois précédents sauf pour les patients qui ne disposent pas d'un médecin traitant désigné ou lorsque le médecin traitant n'est pas disponible dans le délai compatible avec leur état de santé.

5. Si la consultation peut ainsi désormais, en vertu des stipulations en litige, être réalisée à distance y compris lorsque le patient en bénéficiant n'est pas encore connu du médecin consultant, c'est sous réserve, comme le prévoit également l'article 28-6-1-1, que le parcours de soins coordonné soit respecté, que le médecin traitant et le médecin correspondant aient apprécié l'opportunité du recours à cette modalité de consultation, que le patient, informé des conditions de réalisation de l'acte, ait donné son consentement préalable à celui-ci et que son suivi régulier s'effectue à la fois par des consultations " en présentiel " et des téléconsultations. Ces stipulations n'ont ni pour objet ni pour effet de déroger aux obligations déontologiques qui s'imposent au médecin, notamment celles, mentionnées aux articles R. 4127-32, R. 4127-33 et R. 41227-47 du code de la santé publique, d'assurer personnellement au patient des soins consciencieux et dévoués, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents, d'élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, et d'assurer la continuité des soins aux malades. Le Conseil national de l'ordre des médecins n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'elles les méconnaîtraient. Il ne peut pas plus utilement se prévaloir de l'atteinte qu'elles porteraient au premier des principes élaborés par le réseau " E-Health-Network ", créé par la directive 2011/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, qui, se bornant à prévoir que " le numérique en santé complète et optimise les pratiques de santé effectuées en présentiel ", n'impose pas par lui-même la connaissance préalable du patient.

Sur la télé-expertise :

6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 6316-1 du code de la santé publique : " La télémédecine est une forme de pratique médicale à distance utilisant les technologies de l'information et de la communication. Elle met en rapport un professionnel médical avec un ou plusieurs professionnels de santé, entre eux ou avec le patient et, le cas échéant, d'autres professionnels apportant leurs soins au patient. ". Le 2° de l'article R. 6316-1 du même code précise, dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 3 juin 2021 relatif à la télésanté, que la télé-expertise " a pour objet de permettre à un professionnel de santé de solliciter à distance l'avis d'un ou de plusieurs professionnels médicaux en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations de santé liées à la prise en charge d'un patient ".

7. L'article 2-3 de l'avenant approuvé par l'arrêté attaqué modifie les articles 28.6.2.1 et 28.6.2.2 de la convention médicale du 25 août 2016 pour prévoir désormais, d'une part, que la télé-expertise est entendue comme une expertise sollicitée, non plus par un " médecin requérant ", mais par un "professionnel de santé requérant " et donnée par un " médecin requis ", en raison de sa formation ou de sa compétence particulière, sur la base d'informations ou d'éléments médicaux liés à la prise en charge d'un patient, et ce, hors de la présence de ce dernier et, d'autre part, que l'acte de télé-expertise doit faire l'objet d'un compte rendu établi par le médecin requis qui doit être transmis au professionnel de santé requérant.

8. En premier lieu, il ne résulte pas des termes de l'article L. 6316-1 du code de la santé publique, cités au point 6, que la télémédecine ne pourrait être réalisée qu'à la demande du seul professionnel médical. Le Conseil national de l'ordre des médecins n'est donc pas fondé à soutenir, par la voie de l'exception, que le 2° de l'article R. 6316-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 3 juin 2021, méconnaîtrait ces dispositions en tant qu'il permet à un professionnel de santé de solliciter un professionnel médical pour une télé-expertise.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 4130-1 du code de la santé publique : " Les missions du médecin généraliste de premier recours sont notamment les suivantes : / (...) 2° Orienter ses patients selon leurs besoins dans le système de soins et le secteur médico-social / 3° S'assurer de la coordination des soins nécessaire à ses patients ; / 4° Veiller à l'application individualisée des protocoles et recommandations pour les affections nécessitant des soins prolongés et contribuer au suivi des maladies chroniques, en coopération avec les autres professionnels qui participent à la prise en charge du patient (...) ".

10. Les dispositions du 2° de l'article R. 6316-1 du code de la santé publique n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre à un professionnel de santé non médecin de se substituer au médecin généraliste de premier recours dans sa mission de coordination des soins et d'orientation des patients dans un système de soins. Par suite, le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas davantage fondé à soutenir, par la voie de l'exception, qu'elles seraient contraires au dispositif de parcours de soins coordonné tel que prévu à l'article L. 4130-1 du même code.

11. En troisième lieu, les stipulations de l'article 2-3 de l'avenant approuvé par l'arrêté attaqué mentionnées au point 7 se bornent à fixer les conditions dans lesquelles un professionnel de santé sollicite à distance l'avis d'un ou de plusieurs professionnels médicaux. Elles n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier les compétences des professionnels de santé non médecins fixées par les textes applicables à chacune de ces professions. En particulier, elles ne permettent pas à un professionnel de santé non médecin d'exercer la médecine ou de se substituer au médecin traitant. Le moyen tiré de ce que ces stipulations seraient, à ce titre, contraires aux principes fondamentaux de l'organisation des soins et permettraient l'exercice illégal de la médecine ne peut, par suite, qu'être écarté.

Sur le dispositif d'" intéressement " à la prescription de médicaments biosimilaires :

12. En vertu de 1° du I de l'article L.162-14-1 du code de la sécurité sociale, les conventions prévues par l'article L. 162-5 du même code définissent notamment les tarifs des honoraires, rémunérations et frais accessoires dus aux professionnels par les assurés sociaux.

13. D'une part, aux termes de l'article L. 162-2 du code de la sécurité sociale : " Dans l'intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d'exercice et de l'indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin (...) ". Aux termes de l'article L. 162-1 du même code : " Les médecins sont tenus, dans tous leurs actes et prescriptions, d'observer, dans le cadre de la législation et de la réglementation en vigueur, la plus stricte économie compatible avec la qualité, la sécurité et l'efficacité des soins. "

14. D'autre part, aux termes de l'article R. 4127-24 du code de la santé publique : " Sont interdits au médecin : / - tout acte de nature à procurer au patient un avantage matériel injustifié ou illicite ; / - toute ristourne en argent ou en nature, toute commission à quelque personne que ce soit ; / - la sollicitation ou l'acceptation d'un avantage en nature ou en espèces sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, pour une prescription ou un acte médical quelconque " et aux termes de l'article R. 4127-9 du même code : " La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce ". Ces dispositions ne s'opposent pas, par elles-mêmes, à ce que les conventions médicales prises sur le fondement de l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale prévoient des éléments de rémunération tenant compte, dans le respect tant des principes déontologiques fondamentaux que de l'intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, de leur observation de la plus stricte économie compatible, dans le cadre de la législation et de la réglementation en vigueur, avec la qualité, la sécurité et l'efficacité des soins.

15. L'avenant n° 9 approuvé par l'arrêté attaqué crée dans la convention nationale un article 27 bis proposant un mécanisme d'intéressement, dont il fixe les modalités de calcul, valorisant l'augmentation par un médecin libéral du nombre de ses patients auxquels des médicaments biosimilaires sont prescrits, s'agissant de molécules répondant à des critères qu'il définit et conformément aux recommandations de bonne pratiques. Ce même article précise que le dispositif n'a pas de caractère obligatoire, en permettant aux médecins qui ne souhaitent pas en bénéficier de faire connaître leur choix à l'assurance maladie, et qu'il doit respecter, dans tous les cas, le libre choix du patient.

16. Ces stipulations régissent les seuls rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie. Elles n'ont ni pour objet ni pour effet de dispenser les médecins qui participent à ce dispositif du respect des principes et règles déontologiques qui s'imposent à eux parmi lesquels, comme il a été dit, la liberté de prescription. Le Conseil national de l'ordre des médecins n'est, dans ces conditions, pas fondé à soutenir que ces stipulations seraient contraires aux règles de la déontologie médicale figurant aux articles R. 4127-24 et R. 4127-9 du code de la santé publique et rappelées au point 14.

17. Il résulte de tout ce qui précède que le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 22 septembre 2021 et du rejet de son recours gracieux.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins une somme de 3 000 euros à verser à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie, au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête du Conseil national de l'ordre des médecins est rejetée.

Article 2 : Le Conseil national de l'ordre des médecins versera à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des médecins, au ministre de la santé et de la prévention et à l'Union nationale des caisses d'assurance maladie.

Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à la Fédération française des médecins généralistes, à l'Union syndicale Avenir-Spé-Le Bloc et à la Confédération des syndicats médicaux français.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 septembre 2022 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat et Mme Agnès Pic, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 14 octobre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

La rapporteure :

Signé : Mme Agnès Pic

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 461412
Date de la décision : 14/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 oct. 2022, n° 461412
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Agnès Pic
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE ; SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:461412.20221014
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