La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/10/2022 | FRANCE | N°455042

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 14 octobre 2022, 455042


Vu la procédure suivante :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 15 septembre 2017 par laquelle la caisse d'allocations familiales des Bouches-du-Rhône a mis fin à ses droits au revenu de solidarité active et a décidé la récupération d'un indu de 5 135,54 euros au titre des prestations familiales, d'annuler la décision du 19 décembre 2017 par laquelle la même caisse d'allocations familiales l'a informée de sa radiation rétroactive du revenu de solidarité active à compter du 1er janvier 2012 et a décidé la récupératio

n d'un indu total de 15 603,69 euros, dont 2 780,95 euros d'indu de revenu...

Vu la procédure suivante :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 15 septembre 2017 par laquelle la caisse d'allocations familiales des Bouches-du-Rhône a mis fin à ses droits au revenu de solidarité active et a décidé la récupération d'un indu de 5 135,54 euros au titre des prestations familiales, d'annuler la décision du 19 décembre 2017 par laquelle la même caisse d'allocations familiales l'a informée de sa radiation rétroactive du revenu de solidarité active à compter du 1er janvier 2012 et a décidé la récupération d'un indu total de 15 603,69 euros, dont 2 780,95 euros d'indu de revenu de solidarité active " activité ", 12 045,25 euros d'indu de revenu de solidarité active " socle " et 777,49 euros d'indu de " primes de revenu de solidarité active ", et de lui rembourser les sommes retenues à tort et de la rétablir dans ses droits et, à titre subsidiaire, de lui accorder la remise gracieuse de sa dette. Par un jugement n° 1801268 du 4 février 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les conclusions tendant à la contestation des indus d'allocations familiales et de prestation partagée d'éducation de l'enfant comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juillet et 28 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code civil ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Anne Lazar Sury, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de Mme E... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 15 septembre 2017, la caisse d'allocations familiales des Bouches-du-Rhône a mis fin aux droits de Mme E... au revenu de solidarité active et décidé la récupération d'un indu de 5 135,54 euros pour la période du 1er septembre 2015 au 31 mai 2017 au titre de prestations familiales. Par une décision du 19 décembre 2017, le directeur de la même caisse d'allocations familiales a décidé de la radiation rétroactive des droits au revenu de solidarité active de l'intéressée à compter du 1er janvier 2012 et de la récupération d'un indu d'un montant global de 15 603,69 euros constitué d'un indu de revenu de solidarité active " activité " d'un montant de 2 780,95 euros constitué sur la période du 1er janvier 2012 au 31 août 2015, d'un indu de revenu de solidarité active " socle " d'un montant de 12 045,25 euros constitué sur la période du 1er janvier 2012 au 31 mai 2014 et d'un indu de " primes nationales de revenu de solidarité active " au titre des années 2012, 2013 et 2015 d'un montant de 777,49 euros. Mme E... a contesté devant le tribunal administratif de Marseille les décisions du 15 septembre 2017 et du 19 décembre 2017, sollicité le remboursement des sommes retenues et la remise gracieuse de l'indu. Par un jugement du 4 février 2021, contre lequel Mme E... se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Marseille a, à l'article 1er, rejeté ses conclusions tendant à la contestation des indus d'allocations familiales et de prestation partagée d'éducation de l'enfant comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître et, à l'article 2, rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Eu égard aux moyens qu'elle invoque, Mme E... doit être regardée comme demandant l'annulation du jugement en tant qu'il rejette les conclusions de sa demande qu'il a estimé relever de la compétence du juge administratif.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un niveau garanti, a droit au revenu de solidarité active dans les conditions définies au présent chapitre. / Le revenu garanti est calculé, pour chaque foyer, en faisant la somme : / 1° D'une fraction des revenus professionnels des membres du foyer ; / 2° D'un montant forfaitaire, dont le niveau varie en fonction de la composition du foyer et du nombre d'enfants à charge. / Le revenu de solidarité active est une allocation qui porte les ressources du foyer au niveau du revenu garanti (...) ". Selon l'article L. 262-9 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 : " Le montant forfaitaire mentionné au 2° de l'article L. 262-2 est majoré, pendant une période d'une durée déterminée, pour : / 1° Une personne isolée assumant la charge d'un ou de plusieurs enfants ; / (...) Est considérée comme isolée une personne veuve, divorcée, séparée ou célibataire, qui ne vit pas en couple de manière notoire et permanente et qui notamment ne met pas en commun avec un conjoint, concubin ou partenaire de pacte civil de solidarité ses ressources et ses charges (...) ". Aux termes de l'article 515-8 du code civil : " Le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au litige : " Le montant forfaitaire mentionné au 2° de l'article L. 262-2 applicable à un foyer composé d'une seule personne est majoré de 50 % lorsque le foyer comporte deux personnes. Ce montant est ensuite majoré de 30 % pour chaque personne supplémentaire présente au foyer et à la charge de l'intéressé. Toutefois, lorsque le foyer comporte plus de deux enfants ou personnes de moins de vingt-cinq ans à charge, à l'exception du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin de l'intéressé, la majoration à laquelle ouvre droit chacun de ces enfants ou personnes est portée à 40 % à partir de la troisième personne ". L'article R. 262-3 du même code précise enfin que : " Pour le bénéfice du revenu de solidarité active, sont considérés comme à charge : / 1° Les enfants ouvrant droit aux prestations familiales ; / 2° Les autres enfants et personnes de moins de vingt-cinq ans qui sont à la charge effective et permanente du bénéficiaire à condition, lorsqu'ils sont arrivés au foyer après leur dix-septième anniversaire, d'avoir avec le bénéficiaire ou son conjoint, son concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité un lien de parenté jusqu'au quatrième degré inclus (...) "

3. Il résulte des dispositions citées au point précédent que, pour le bénéfice du revenu de solidarité active, le foyer s'entend du demandeur, ainsi que, le cas échéant, de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin et des enfants ou personnes de moins de vingt-cinq ans à charge qui remplissent les conditions précisées par l'article R. 262-3 du code de l'action sociale et des familles. Pour l'application de ces dispositions, le concubin est la personne qui mène avec le demandeur une vie de couple stable et continue. Une telle vie de couple peut être établie par un faisceau d'indices concordants, au nombre desquels la circonstance que les intéressés mettent en commun leurs ressources et leurs charges.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 262-40 du code de l'action sociale et des familles : " (...) Les organismes chargés de son versement réalisent les contrôles relatifs au revenu de solidarité active selon les règles, procédures et moyens d'investigation applicables aux prestations de sécurité sociale. (...) ". Selon le premier alinéa de l'article L. 114-10 du code de la sécurité sociale, les directeurs de ces organismes " confient à des agents chargés du contrôle, assermentés et agréés (...) le soin de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations (...). Ces agents ont qualité pour dresser des procès-verbaux faisant foi jusqu'à preuve du contraire ".

5. Il résulte en l'espèce des termes du jugement attaqué que, pour confirmer la radiation de Mme E... de ses droits au revenu de solidarité active et les indus en litige, le tribunal administratif de Marseille s'est fondé sur le fait que l'absence de séparation de Mme E... de M. D... pendant la période en litige avait été révélée par le contrôle effectué par les services de la caisse d'allocations familiales, dont il a jugé qu'il faisait foi jusqu'à preuve contraire, sans que Mme E... ne produise de pièces rapportant cette preuve contraire. En statuant ainsi, alors que la valeur probante que l'article L. 114-10 du code de la sécurité sociale attache aux procès-verbaux des agents de contrôle se rapporte aux seules constatations de fait qu'ils opèrent et non aux conclusions qu'ils en tirent, le tribunal, à qui il appartenait de porter sa propre appréciation sur l'existence d'une situation de concubinage, a commis une erreur de droit.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... est fondée à demander l'annulation de l'article 2 du jugement qu'elle attaque, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation prononcée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de l'instruction que le bail du logement occupé par Mme E... entre le mois de juin 2010, date à laquelle elle a déclaré être séparée de M. D..., père de son premier enfant, et le 17 février 2017, date à laquelle elle a emménagé avec ses enfants dans un nouveau logement, était aux deux noms, que M. D... a réglé plusieurs impayés de loyer et que Mme E... et M. D... ont eu un second enfant, né en février 2013. Il en résulte toutefois également que M. D... déclarait seul ses revenus aux services fiscaux pendant cette période à une autre adresse que celle de Mme E..., que le rapport d'enquête de la caisse d'allocations familiales du 11 janvier 2016 indique qu'il est domicilié chez sa mère et co-titulaire d'un compte avec Mme C... A..., que par ailleurs la taxe d'habitation de 2015 est établie au seul nom de Mme E..., de même que la facture d'électricité. Il suit de là que la poursuite d'une vie de couple stable et continue entre Mme E... et M. D... sur la période à prendre en considération pour apprécier le droit de cette dernière au revenu de solidarité active ne peut être regardée comme établie. Dans ces conditions, Mme E... est fondée à demander l'annulation des décisions attaquées l'ayant, pour ce motif, radiée de ses droits au revenu de solidarité active à compter du 1er janvier 2012 et ayant décidé la récupération des sommes indument versées au titre du revenu de solidarité active et des aides exceptionnelles de fin d'année. Il y a lieu d'enjoindre à la caisse d'allocations familiales des Bouches-du-Rhône de lui rembourser les sommes recouvrées et de la rétablir dans ses droits au titre du revenu de solidarité active pour la période en litige dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône une somme de 3 000 euros à verser à Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement 4 février 2021 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : Les décisions du 5 septembre 2017 et du 19 décembre 2017 de la caisse d'allocations familiales des Bouches-du-Rhône sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint à la caisse d'allocations familiales des Bouches-du-Rhône de rembourser à Mme E... les sommes déjà recouvrées et de la rétablir dans ses droits au revenu de solidarité active pour la période en litige, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 4 : Le département des Bouches-du-Rhône versera à Mme E... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... E... et au département des Bouches-du-Rhône.

Copie en sera adressée à la caisse d'allocations familiales des Bouches-du-Rhône et au ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 septembre 2022 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat et Mme Anne Lazar Sury, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 14 octobre 2022.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

La rapporteure :

Signé : Mme Anne Lazar Sury

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 455042
Date de la décision : 14/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 14 oct. 2022, n° 455042
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Anne Lazar Sury
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:455042.20221014
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award