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10/10/2022 | FRANCE | N°461299

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 10 octobre 2022, 461299


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 février et 16 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet née le 24 janvier 2022, ensemble la décision du 23 novembre 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a, d'une part, rejeté la demande d'indemnisation du préjudice financier résultant de la perte de chance de faire utilement appel de la décision de la commission départementale d'aide sociale de Paris

du 24 mars 2017 et, d'autre part, limité à 2 500 euros le montant de l'inde...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 février et 16 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite de rejet née le 24 janvier 2022, ensemble la décision du 23 novembre 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a, d'une part, rejeté la demande d'indemnisation du préjudice financier résultant de la perte de chance de faire utilement appel de la décision de la commission départementale d'aide sociale de Paris du 24 mars 2017 et, d'autre part, limité à 2 500 euros le montant de l'indemnisation du préjudice moral résultant de la durée excessive de jugement de sa contestation de la décision, prise le 22 avril 2009 par la caisse d'allocations familiales de Paris, de récupérer un indu de revenu minimum d'insertion d'un montant de 30 666,78 euros au titre de la période allant de mai 2002 à février 2009.

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 600 euros en réparation du préjudice moral résultant de la durée excessive de la procédure juridictionnelle ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 22 423,22 euros en réparation du déni de justice dont elle estime avoir été victime ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Vaiss, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que la Caisse d'allocations familiales (CAF) de Paris a adressé le 22 avril 2009 à Mme A... une demande de remboursement d'un trop-perçu, d'un montant de 30 866,75 euros, d'allocation de revenu minimum d'insertion (RMI) et de revenu de solidarité active (RSA) au titre de la période comprise entre mai 2002 et février 2009. Le 30 juillet 2009, Mme A... a formé un recours administratif préalable obligatoire contre cette décision devant le conseil général de Paris, devenu le conseil départemental de Paris. Son recours a été rejeté par une décision implicite du 30 septembre 2009. Par deux décisions successivement rendues le 18 juin 2012 et le 31 juillet 2012, le président du conseil général de Paris a confirmé le rejet du recours administratif de Mme A..., et a informé celle-ci de l'émission d'un titre exécutoire par la direction régionale des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris, afin de recouvrer la créance dont l'intéressée était débitrice. Par un courrier en date du 10 septembre 2012, Mme A... a contesté la décision du 31 juillet 2012 du président du conseil général devant la commission départementale d'aide sociale (CDAS) de Paris. Par un jugement du 24 mars 2017, la CDAS de Paris a annulé les décisions du conseil général de Paris des 18 juin 2012 et 31 juillet 2012 et enjoint au conseil départemental de Paris de procéder à un nouveau calcul de l'indu, réduit à la période de mars 2004 à février 2009, afin de tenir compte de la part prescrite de la dette de Mme A.... Le 16 février 2018, en exécution du jugement de la CDAS, le département de Paris a réduit l'indu de RMI à la somme de 22 423,22 euros. Par un arrêt du 25 septembre 2018, la commission centrale d'aide sociale (CCAS) a rejeté pour tardiveté l'appel formé le 26 février 2018 par Mme A... contre le jugement de la CDAS du 24 mars 2017. Par une ordonnance du 27 décembre 2019, la présidente de la 1ère chambre de la section du contentieux du Conseil d'État a prononcé la non-admission du pourvoi formé Mme A... contre cet arrêt. Par une réclamation préalable reçue le 16 avril 2021, Mme A... a sollicité auprès du garde des sceaux, ministre de la justice, le versement d'une somme totale de 49 793,22 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'un délai excessif de jugement de son affaire devant les juridictions administratives. Par un courrier en date du 23 novembre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, a proposé une indemnisation de 2 500 euros. Par un courrier du 24 novembre 2021, Mme A... a refusé l'indemnisation ainsi proposée. Par la présente requête, Mme A... demande la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des conditions de jugement de son affaire.

Sur la responsabilité :

2. Il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que les requêtes soient jugées dans un délai raisonnable. Si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect. Ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulières à chaque instance, et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement. Lorsque la durée globale du jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive.

3. En l'espèce, d'une part, le recours préalable formé par Mme A... et reçu par le conseil général de Paris le 30 juillet 2009 a été rejeté implicitement le 30 septembre 2009, date à partir de laquelle elle pouvait contester cette décision. Or, ce n'est que le 10 septembre 2012, soit près de trois ans après, qu'elle a introduit un recours contentieux contre cette décision, ce qui traduit une carence dans le comportement de la requérante. D'autre part, Mme A... ayant déménagé sans avoir fait connaître à la CDAS son changement d'adresse alors même que cette obligation lui avait été spécifiée, elle doit être regardée comme ayant reçu la notification de la décision du 24 mars 2017 de la commission départementale d'aide sociale de Paris, au plus tard le 21 juin 2017, date à laquelle le pli est revenu à la CDAS avec la mention " inconnu à l'adresse indiquée ". Par suite, le délai écoulé entre le 21 août 2017 et le 26 février 2018, date à laquelle elle a interjeté appel, soit un délai supérieur à six mois, lui est imputable. Il résulte de ce qui précède que si, prise dans son ensemble, la procédure de jugement du recours de Mme A..., qui a duré sept années, ne peut être regardée comme ayant excédé le délai raisonnable, il n'en va pas de même de l'instance s'étant tenue devant la commission départementale d'aide sociale de Paris qui, durant quatre ans, six mois et quatorze jours, a excédé, dans les circonstances de l'affaire, le délai raisonnable de jugement, alors au surplus que l'affaire ne présentait pas une difficulté particulière.

4. Il résulte de ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu à l'occasion de cette instance et, pour ce motif, à demander la réparation des préjudices qu'elle aurait subis.

Sur les préjudices :

5. La méconnaissance du droit de Mme A... à un délai raisonnable de jugement de son recours en première instance a entraîné pour elle un préjudice moral consistant en des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès. Il en sera fait une juste appréciation en lui allouant une indemnité de 3 000 euros, tous intérêts compris. En revanche, compte tenu de ce qui a été dit au point 3 quant aux conditions de notification de la décision rendue en première instance, elle n'est pas fondée à faire valoir que celle-ci lui aurait causé les préjudices qu'elle allègue.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros à la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme A... la somme de 3 000 euros.

Article 2 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 461299
Date de la décision : 10/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2022, n° 461299
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Pierre Vaiss
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:461299.20221010
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