La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/10/2022 | FRANCE | N°447249

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 07 octobre 2022, 447249


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 7 décembre 2020, les 8 mars et 30 novembre 2021 et les 3 juin et 6 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du président de la République du 19 juin 2020 portant nomination de M. D... aux fonctions de président du tribunal administratif de Melun à compter du 1er septembre 2020 ainsi que la décision du 5 octobre 2020 par laquelle le vice-préside

nt du Conseil d'Etat a rejeté son recours gracieux, qu'il avait également ad...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 7 décembre 2020, les 8 mars et 30 novembre 2021 et les 3 juin et 6 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du président de la République du 19 juin 2020 portant nomination de M. D... aux fonctions de président du tribunal administratif de Melun à compter du 1er septembre 2020 ainsi que la décision du 5 octobre 2020 par laquelle le vice-président du Conseil d'Etat a rejeté son recours gracieux, qu'il avait également adressé au garde des sceaux, ministre de la justice et à la secrétaire générale du Gouvernement, tendant au retrait de cette nomination ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Edouard Solier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. B... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 septembre 2022, présentée par M. B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 232-1 du code de justice administrative dans sa version applicable au litige : " Le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel connaît des questions individuelles intéressant les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel dans les conditions prévues par le présent article ou par un décret en Conseil d'Etat. / Il établit les tableaux d'avancement et les listes d'aptitude prévus aux articles L. 234-2-1, L. 234-2-2, L. 234-4 et L. 234-5. / Il émet des propositions sur les nominations, détachements et intégrations prévus aux articles L. 233-3, L. 233-4 et L. 233-5 et sur la désignation des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel siégeant au jury des concours prévus par l'article L. 233-6 en vue du recrutement direct des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. / Il est saisi pour avis conforme sur la nomination des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel en qualité de rapporteur public et de président d'un tribunal administratif (...) / ". Aux termes de l'article L. 234-1 du même code : " L'affectation d'un magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est prononcée par arrêté du vice-président du Conseil d'Etat. Toutefois, la première nomination d'un magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel dans l'une des fonctions prévues respectivement par les articles L. 234-3, L. 234-4 et L. 234-5 est prononcée par décret du Président de la République. / Les affectations des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont effectuées en prenant notamment en compte les emplois vacants, l'intérêt du service au sein de la juridiction d'accueil et, le cas échéant, de la juridiction d'origine, ainsi que les intérêts familiaux et personnels dont les intéressés font état ". Aux termes de l'article L. 234-5 du même code : " Les fonctions de président ou de vice-président du tribunal administratif de Paris, de premier vice-président d'une cour administrative d'appel et de président d'un tribunal administratif comportant au moins cinq chambres sont accessibles aux magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel titulaires du grade de président depuis au moins quatre ans. La première nomination dans l'une de ces fonctions est subordonnée à l'inscription sur une liste d'aptitude annuelle établie par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel ". En vertu de l'article R. 221-5 du code de justice administrative, les tribunaux administratifs comportant au moins neuf chambres, tels celui de Melun, sont présidés par un président classé au 7ème échelon de son grade.

2. M. A... B..., titulaire du grade de président dans le corps des magistrats administratifs des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du président de la République du 19 juin 2020 portant nomination de M. C... D... aux fonctions de président du tribunal administratif de Melun ainsi que de la décision du 5 octobre 2020 par laquelle le vice-président du Conseil d'Etat a rejeté son recours gracieux.

Sur les moyens de légalité externe du décret attaqué :

3. En premier lieu, le moyen tiré de ce qu'en méconnaissance du premier alinéa de l'article R. 232-22 du code de justice administrative, le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (CSTACAA) n'aurait pas recueilli l'avis du président de la mission de l'inspection des juridictions administratives avant l'examen, lors de sa séance du 14 janvier 2020, notamment, des candidatures aux fonctions de président du tribunal administratif de Melun manque en fait.

4. En deuxième lieu, M. B... ne peut utilement invoquer des circonstances intervenues postérieurement à la séance du 14 janvier 2020 du CSTACAA pour mettre en cause la régularité de l'avis qu'il a rendu en raison de la participation à la séance du 14 janvier 2020 du vice-président du Conseil d'Etat, président du CSTACAA et du secrétaire général du Conseil d'Etat, qui, selon lui, ne pouvaient régulièrement se prononcer sur sa candidature. Il s'ensuit que ce moyen ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal, daté du 28 janvier 2020, de la séance précitée du CSTACAA, que celui-ci disposait de l'ensemble des éléments utiles pour se prononcer sur l'ensemble des candidatures, au nombre desquels ne figurait pas le rapport sur le tribunal administratif de Paris mentionné par M. B... dans ses écritures, a examiné expressément la candidature de M. B... aux fonctions de président du tribunal administratif de Melun par la voie de la mutation, ainsi que les trois autres candidatures à ces fonctions qui avaient été présentées par la même voie et les a écartées, puis les candidatures des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel titulaires du grade de président ayant demandé leur inscription sur la liste annuelle d'aptitude pour l'accès aux 6ème et 7ème échelons de leur grade. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d'un vice de procédure, en ce que le CSTACAA ne se serait pas prononcé sur l'ensemble des candidatures aux fonctions de président du tribunal administratif de Melun et aurait procédé à l'inscription de M. D... sur la liste d'aptitude pour l'accès aux 6ème et 7ème échelons du grade de président avant d'avoir examiné la candidature de M. B... par voie de mutation, doit être écarté.

6. En quatrième lieu, s'il résulte des dispositions de l'article L. 234-5 du code de justice administrative citées au point 1, que la première nomination dans l'une des fonctions énumérées à ce même article est subordonnée à l'inscription sur une liste d'aptitude annuelle établie par le CSTACAA, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le CSTACAA se prononce en faveur de l'inscription d'un président sur la liste annuelle d'aptitude pour l'accès aux 6ème et 7ème échelons de son grade puis émette, lors de la même séance, un avis conforme favorable à sa nomination à l'une des fonctions énumérées à l'article L. 234-5 du code de justice administrative, conformément, au demeurant, aux orientations générales adoptées le 10 décembre 2019 par le CSTACAA. Le moyen tiré de ce que les décisions attaquées auraient été prises en méconnaissance des dispositions de l'article L. 234-5 du code de justice administrative doit, dès lors, être écarté.

7. En cinquième lieu, si, en vertu de l'article R. 232-24 du code de justice administrative, le CSTACAA prend ses décisions et émet ses avis et ses propositions à la majorité des suffrages exprimés, ces dispositions ne sauraient être regardées comme ayant pour objet ou pour effet d'imposer nécessairement qu'un vote soit formellement organisé sur chacune des questions soumises à la consultation. Aucune autre disposition législative ou réglementaire n'imposant un vote formel du CSTACAA et dès lors qu'il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal mentionné au point précédent, que ses membres se sont unanimement exprimés en faveur de l'inscription sur la liste d'aptitude pour l'accès aux 6ème et 7ème échelons du grade de président du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel de M. D... et de sa nomination comme président du tribunal administratif de Melun, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 232-24 du code de justice administrative doit être écarté.

Sur la légalité interne :

8. Si M. B... fait valoir qu'il a effectué, au cours de sa carrière, deux mobilités hors de la juridiction administrative, qu'il a exercé les fonctions de président de chambre à la cour administrative d'appel de Douai, de président du tribunal administratif de Caen de 2012 à 2014, de président de section en 2014, puis, à partir du 1er octobre 2014, de vice-président du tribunal administratif de Paris et qu'il détenait en outre le 6ème échelon du grade de président depuis 2016, il ressort des pièces du dossier que le CSTACAA a écarté la candidature de M. B... par la voie de la mutation aux fonctions de président du tribunal administratif de Melun, aux motifs que si, au cours de sa carrière, l'intéressé avait fait preuve de grandes qualités et aptitudes, s'impliquant dans le fonctionnement des juridictions dans lesquelles il avait exercé des fonctions, d'une part, des incertitudes persistaient sur sa capacité à mobiliser des équipes et à créer et entretenir une dynamique positive dans la juridiction et d'autre part, M. B... s'était tenu dans le cadre de la présentation de sa candidature, notamment lors des entretiens préalables, à des propos généraux et n'avait pas présenté de projet adapté à la situation du tribunal administratif de Melun, alors que les responsabilités éminentes d'un président de juridiction administrative impliquent qu'une attention toute particulière soit portée à l'adéquation du candidat à un tel poste. Il ressort également des pièces du dossier que le CSTACAA a émis un avis favorable à la nomination de M. D... aux fonctions de président du tribunal administratif de Melun eu égard à son expérience, tirée notamment de l'exercice des fonctions de vice-président du tribunal administratif de Clermont-Ferrand à compter de 2014, de vice-président du tribunal administratif de Montreuil à compter de 2015 puis de président du tribunal administratif de Poitiers à compter de 2016, ainsi qu'eu égard aux qualités dont il a fait preuve dans l'exercice de ses fonctions, notamment dans l'encadrement d'équipes et au projet qu'il a présenté, fondé sur la situation particulière du tribunal administratif de Melun. Par suite, les moyens tirés de ce que le rejet de la candidature de M. B... d'une part et la nomination de M. D... d'autre part, seraient entachés d'erreur de droit au regard des motifs présidant, aux termes de l'article L. 234-1 du code de justice administrative, cité au point 1, à la nomination des chefs de juridiction, d'erreur manifeste d'appréciation, et par suite, de méconnaissance du principe d'égalité, doivent être écartés.

9. En dernier lieu, aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais codifiés aux articles L. 133-2 et L. 133-3 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération :/ 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / (...) ". Il ne ressort ni des motifs ayant présidé aux décisions attaquées tels qu'explicités au point précédent, ni des pièces du dossier soumises par les parties au Conseil d'Etat, que le rejet de la candidature de M. B... aux fonctions de président du tribunal administratif de Melun serait la conséquence, comme M. B... le soutient, de la dénonciation d'une situation de harcèlement moral dont il allègue avoir été victime ainsi que son épouse, ou que ce refus s'insérerait dans le cadre d'agissements ayant pour objet la dégradation de ses conditions de travail et plus généralement d'obérer ses perspectives de carrière. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée méconnaîtrait les dispositions de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 ne peut qu'être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du décret attaqué, ni, par suite, du rejet du recours gracieux qu'il avait formé à son encontre.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à la Première ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. C... D....

Copie en sera adressée au secrétaire général du Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 447249
Date de la décision : 07/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 oct. 2022, n° 447249
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Edouard Solier
Rapporteur public ?: M. Raphaël Chambon
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:447249.20221007
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award