Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 février et 29 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération CGTR métallurgie et services de l'automobiles, le Syndicat commerce et services CFDT de la Réunion et l'Union régionale de syndicats CFTC de la Réunion demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision née du silence gardé par la ministre du travail sur leur demande de fusion du champ d'application de la convention collective régionale auto-moto de La Réunion (IDCC n° 1247) avec celui de la convention collective nationale des services de l'automobile (IDCC n° 1090) ;
2°) d'enjoindre au ministre chargé du travail de procéder à la fusion demandée dans un délai d'un mois, sous astreinte ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jérôme Marchand-Arvier, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La Fédération CGTR métallurgie et services de l'automobiles, le Syndicat commerce et services CFDT de la Réunion et l'Union régionale de syndicats CFTC de la Réunion demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision née du silence gardé par la ministre du travail sur leur demande de fusion, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2261-32 du code du travail, du champ d'application de la convention collective régionale auto-moto de La Réunion (IDCC n° 1247) avec celui de la convention collective nationale des services de l'automobile (IDCC n° 1090).
Sur l'intervention du Syndicat de l'importation et du commerce de la Réunion :
2. Le Syndicat de l'importation et du commerce de la Réunion justifie d'un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée. Ainsi, son intervention en défense est recevable.
Sur le cadre juridique du litige :
3. Aux termes de l'article L. 2261-32 du code du travail : " I. Le ministre chargé du travail peut, eu égard à l'intérêt général attaché à la restructuration des branches professionnelles, engager une procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives d'une branche avec celui d'une branche de rattachement présentant des conditions sociales et économiques analogues : / 1° Lorsque la branche compte moins de 5 000 salariés / 2° Lorsque la branche a une activité conventionnelle caractérisée par la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociations couverts ; / 3° Lorsque le champ d'application géographique de la branche est uniquement régional ou local ; / 4° Lorsque moins de 5 % des entreprises de la branche adhèrent à une organisation professionnelle représentative des employeurs ; / 5° En l'absence de mise en place ou de réunion de la commission prévue à l'article L. 2232-9 ; / 6° En l'absence de capacité à assurer effectivement la plénitude de ses compétences en matière de formation professionnelle et d'apprentissage. / Un avis publié au Journal officiel invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître, dans un délai déterminé par décret, leurs observations sur ce projet de fusion. / Le ministre chargé du travail procède à la fusion après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective. (...) ".
4. Si le ministre chargé du travail doit, après l'engagement d'une procédure de fusion de branches et dans le respect des modalités procédurales prévues à l'article L. 2261-32 du code du travail, s'assurer, pour prononcer une telle fusion, que sont remplies les conditions prévues au premier alinéa du I de cet article et à l'un au moins des alinéas constituant les 1° à 6° de ce même I, il n'est pas pour autant tenu, lorsque ces exigences sont satisfaites, de procéder à la fusion en cause mais dispose d'un pouvoir d'appréciation lui permettant de ne pas y procéder pour des motifs d'intérêt général, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, alors même que la restructuration des branches répond, en principe et par elle-même, à des considérations d'intérêt général.
Sur les conclusions à fin de non-lieu :
5. Il ressort des pièces du dossier que postérieurement à l'introduction de la requête, la ministre chargée du travail a engagé la procédure de fusion des champs de la convention collective auto-moto de La Réunion et de la convention collective nationale des services de l'automobile, selon les modalités prévues à l'article L. 2261-32 du code du travail. Un avis a ainsi été publié au Journal officiel de la République française le 10 juin 2021, invitant les organisations et personnes intéressées à faire connaître dans un délai de quinze jours leurs observations sur ce projet de fusion, et la sous-commission de la restructuration des branches professionnelles de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle, qui a rendu son avis le 16 juin 2021, a été consultée. A l'issue de cette procédure, ainsi qu'elle le confirme expressément dans son mémoire en défense, la ministre chargée du travail a décidé de ne pas procéder à la fusion demandée.
6. Au regard de l'objet de la demande adressée par les syndicats requérants à la ministre chargée du travail, laquelle tendait à ce que la ministre prononce la fusion du champ d'application la convention collective auto-moto de la Réunion et de la convention collective nationale des services de l'automobile, la ministre n'est pas fondée à soutenir que la requête aurait perdu son objet du seul fait de l'engagement de la procédure de fusion des champs de ces conventions selon les modalités prévues à l'article L. 2261-32 du code du travail.
Sur la légalité de la décision attaquée :
7. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la publication de l'avis du 10 juin 2021, mentionné au point 5, l'ensemble des organisations professionnelles d'employeurs représentatives de la convention nationale des services de l'automobile ainsi que trois organisations syndicales représentatives de cette même convention se sont déclarées défavorables au projet de fusion. La sous-commission de la restructuration des branches professionnelles de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle a rendu, le 16 juin 2021, un avis défavorable à ce projet, l'ensemble des membres de la sous-commission, à l'exception de la CFDT, ayant exprimé son opposition à la fusion, soit qu'ils en aient contesté le bien-fondé pour des raisons économiques et sociales tout en considérant que le dialogue social devait se poursuivre au niveau local, soit qu'ils l'aient estimée prématurée au regard de la nécessité de privilégier la poursuite d'une approche globale concernant la situation conventionnelle des territoires ultra-marins. L'avis favorable de la CFDT n'a été exprimé que sous réserve d'un accord de méthode, sous l'égide de la direction générale du travail, concernant le cadre de la négociation collective outre-mer. Par ailleurs, la fusion demandée par les organisations syndicales requérantes n'a pas recueilli l'accord des organisations professionnelles d'employeurs représentatives dans le champ de la convention collective auto-moto de La Réunion. Dans ces circonstances, la ministre a estimé que les conditions de réussite d'une fusion des champs d'application des conventions collectives en cause n'étaient pas réunies et qu'une telle fusion était en outre prématurée dans l'attente de l'achèvement des réflexions générales sur la situation des convention collectives d'outre-mer au regard de l'objectif de restructuration des branches professionnelles. En se fondant, pour refuser de prononcer la fusion du champ d'application des conventions collectives en cause, sur l'ensemble des oppositions et réserves ainsi exprimées de même que sur la nécessité d'achever les réflexions sur la situation particulière des conventions collectives d'outre-mer au regard de l'objectif de restructuration des branches, la ministre chargée du travail n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 2261-32 du code du travail.
8. Dès lors que la ministre chargée du travail n'est pas tenue, en application de l'article L. 2261-32 du code du travail, ainsi qu'il a été dit au point 4, de restructurer une branche, même lorsque sont satisfaites les exigences énoncées à cet article et que, comme il a été dit au point précédent, elle a pu légalement estimer qu'en l'espèce des considérations d'intérêt général justifiaient de ne pas prononcer la fusion sollicitée, les syndicats requérants ne peuvent utilement se prévaloir de ce que les branches automobiles de la métropole et de La Réunion présenteraient des conditions économiques et sociales analogues, ni que la branche automobile de La Réunion remplirait la condition énoncée au 2° de l'article L. 2261-32. Ils ne peuvent pas davantage invoquer utilement les différences de situations existant entre les salariés relevant des deux conventions et une méconnaissance à cet égard du principe d'égalité.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la Fédération CGTR métallurgie et services de l'automobiles et autres doit être rejetée, y compris en ce qu'elle comporte des conclusions à fin d'injonction et des conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le Syndicat de l'importation et du commerce de la Réunion, intervenant en défense, n'ayant pas la qualité de partie au litige dans la présente instance, ses conclusions présentées au titre du même article ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du Syndicat de l'importation et du commerce de la Réunion est admise.
Article 2 : La requête de la Fédération CGTR métallurgie et services de l'automobiles, du Syndicat commerce et services CFDT de la Réunion et de l'Union régionale de syndicats CFTC de la Réunion est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par le Syndicat de l'importation et du commerce de la Réunion au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération CGTR métallurgie et services de l'automobiles, première requérante dénommée, au Syndicat de l'importation et du commerce de la Réunion et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.