Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision en date du 17 juillet 2020 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire.
Par une décision n° 20033313 du 12 octobre 2021, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 13 décembre 2021 et le 21 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler la décision de l'OFPRA du 17 juillet 2020 et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de laprotection subsidiaire ;
3°) de mettre à la charge de l'OFPRA la somme de 3 500 euros à verser à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 et son Préambule ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de M. B... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des refugies et apatrides ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... se pourvoit en cassation contre la décision du 12 octobre 2021 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 17 juillet 2020 ayant rejeté sa demande d'asile. Par un mémoire distinct présenté à l'appui de son pourvoi, il soutient que l'article L. 531-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Aux termes de l'article L. 531-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'absence d'un avocat ou d'un représentant d'une association n'empêche pas l'Office français de protection des réfugiés et apatrides de mener un entretien avec le demandeur. / Sans préjudice de l'article L. 531-38, l'absence sans motif légitime du demandeur, dûment convoqué à un entretien, ne fait pas obstacle à ce que l'office statue sur sa demande. / Sans préjudice des nécessités tenant aux besoins d'une action contentieuse, la personne qui accompagne le demandeur à un entretien ne peut en divulguer le contenu ".
4. M. B... soutient que ces dispositions méconnaissent le droit d'asile, les droits de la défense et le droit à un recours effectif garantis par le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce que, en méconnaissance de la compétence que le législateur tire de l'article 34 de la Constitution, elles ne prévoient pas de dérogation à la possibilité ouverte à l'OFPRA de mener l'entretien individuel avec le demandeur d'asile sans la présence d'un avocat, dans le cas où l'avocat d'un demandeur incarcéré et dont l'entretien se déroule par visioconférence n'a pu se rendre au centre pénitentiaire pour un motif indépendant de la volonté du demandeur. Au regard de son argumentaire, il doit être regardé comme contestant la constitutionnalité des seules dispositions du premier alinéa de l'article L. 531-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : " La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ". En l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, le Conseil constitutionnel juge qu'il n'est pas compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d'une directive de l'Union européenne et qu'en ce cas, il n'appartient qu'au juge de l'Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive des droits fondamentaux garantis par l'article 6 du traité sur l'Union européenne.
6. Le ministre de l'intérieur et l'OFPRA soutiennent en défense que les dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 531-16 se bornent à tirer les conséquences nécessaires des dispositions inconditionnelles et précises du troisième alinéa du point 4 de l'article 23 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale, aux termes desquelles : " Sans préjudice de l'article 25, paragraphe 1, point b), l'absence d'un conseil juridique ou d'un autre conseiller n'empêche pas l'autorité compétente de mener un entretien personnel avec le demandeur. " Toutefois, il résulte de l'article 5 de la même directive que " les Etats membres peuvent prévoir ou maintenir des normes plus favorables en ce qui concerne les procédures d'octroi et de retrait de la protection internationale, pour autant que ces normes soient compatibles avec la présente directive. " Si, aux termes du premier alinéa du point 3 de l'article 31 de la directive, " les États membres veillent à ce que la procédure d'examen soit menée à terme dans les six mois à compter de l'introduction de la demande ", ces dispositions ne sauraient être regardées comme faisant obstacle, par principe, à ce que les Etats membres fassent bénéficier les demandeurs de la protection internationale de garanties supplémentaires, dès lors qu'elles ne sont pas par elles-mêmes incompatibles avec le respect du délai de six mois. Il suit de là que, contrairement à ce qui est soutenu en défense, le Conseil constitutionnel est compétent pour contrôler la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article L. 531-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en l'absence même de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.
7. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que sont garantis par cette disposition les droits de la défense, y compris le droit d'être assisté par un avocat, lorsqu'est en cause une procédure juridictionnelle ou, en dehors des procédures juridictionnelles, l'infliction d'une sanction ayant le caractère d'une punition ou l'audition d'une personne soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction. Par ailleurs, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie le Préambule de la Constitution de 1958, dispose en son quatrième alinéa que : " Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ". Il incombe au législateur d'assurer en toutes circonstances l'ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle.
8. L'audition d'un demandeur d'asile par l'OFPRA, saisi d'une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié ou de bénéfice de l'octroi de la protection subsidiaire, s'inscrit dans le cadre d'une procédure administrative qui peut conduire l'office, sous le contrôle de pleine juridiction de la Cour nationale du droit d'asile, à prendre une décision de refus, laquelle ne saurait être assimilée à une sanction. L'exigence constitutionnelle de protection du droit d'asile, non plus qu'aucun autre droit ou liberté garanti par la Constitution, n'implique que l'OFPRA ne pourrait réaliser l'entretien personnel du demandeur d'asile en l'absence de son avocat. Dès lors que les dispositions législatives contestées n'affectent aucun droit ou liberté que la Constitution garantit, M. B... ne peut utilement soutenir que le législateur serait resté en-deçà de sa compétence.
9. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Sur les autres moyens du pourvoi :
10. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".
11. Pour demander l'annulation de la décision qu'il attaque, M. B... soutient que la Cour nationale du droit d'asile :
- a dénaturé la portée de ses écritures, méconnu son office et commis une erreur de droit en écartant le moyen opérant tiré de la méconnaissance par l'OFPRA des droits de la défense du requérant du fait de l'absence de report de l'entretien individuel ;
- a commis une erreur de droit et méconnu son office en s'estimant liée par l'avis de la chambre de l'instruction sans ordonner une mesure d'instruction tendant à la communication du décret d'extradition ;
- a insuffisamment motivé son jugement et dénaturé les pièces du dossier en écartant les témoignages et documents produits sans préciser en quoi ils ne suffisaient pas à fonder les craintes personnelles et actuelles du requérant.
12. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....
Article 2 : Le pourvoi de M. B... n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 septembre 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi présidents de chambre, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Isabelle Lemesle, M. Nicolas Polge, M. Alain Seban, conseillers d'Etat, et Mme Myriam Benlolo Carabot, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 16 septembre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Myriam Benlolo Carabot
La secrétaire :
Signé : Mme Naouel Adouane