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19/08/2022 | FRANCE | N°441001

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 19 août 2022, 441001


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 441001, par une requête, trois nouveaux mémoires et un mémoire en réplique, enregistrés le 2 juin 2020, le 23 septembre 2020, le 8 janvier 2021, le 20 mai 2022 et le 7 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 mai 2020 par laquelle le jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice de la promotion 2018 l'a déclaré inapte à l'exercice des fonctions judiciaires et la délibération des 21

et 22 mai 2020 du jury d'aptitude portant classement des auditeurs de justic...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 441001, par une requête, trois nouveaux mémoires et un mémoire en réplique, enregistrés le 2 juin 2020, le 23 septembre 2020, le 8 janvier 2021, le 20 mai 2022 et le 7 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 mai 2020 par laquelle le jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice de la promotion 2018 l'a déclaré inapte à l'exercice des fonctions judiciaires et la délibération des 21 et 22 mai 2020 du jury d'aptitude portant classement des auditeurs de justice de la promotion 2018, ensemble la liste de classement ainsi établie ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'Ecole nationale de la magistrature la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 443245, par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 22 août et 23 septembre 2020 et le 4 juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 8 juillet 2020 mettant fin à ses fonctions d'auditeur de justice et le décret du 10 août 2020 du Président de la République portant nomination d'auditeurs de justice dans la magistrature ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le code des juridictions financières ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi du 22 avril 1905 ;

- le décret n° 72-355 du 4 mai 1972 ;

- le décret n° 99-1073 du 21 décembre 1999 ;

- le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 ;

- le règlement de l'Ecole nationale de la magistrature ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Vaullerin, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. D... et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Ecole nationale de la magistrature ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 21 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Un jury procède au classement des auditeurs de justice qu'il juge aptes, à la sortie de l'école, à exercer les fonctions judiciaires. Le jury assortit la déclaration d'aptitude de chaque auditeur d'une recommandation et, le cas échéant, de réserves sur les fonctions pouvant être exercées par cet auditeur, lors de sa nomination à son premier poste. (...) / Il peut écarter un auditeur de l'accès à ces fonctions ou lui imposer le renouvellement d'une année d'études. (...) ".

2. Par deux requêtes, M. D... demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de la décision du 22 mai 2020 du jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice de la promotion 2018 décidant de son inaptitude à l'exercice des fonctions judiciaires, de la délibération des 21 et 22 mai 2020 par laquelle le jury a établi le classement des auditeurs de justice de cette promotion, ainsi que de la liste de classement issue de cette délibération, d'autre part, de l'arrêté du 8 juillet 2020 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice a mis fin à ses fonctions d'auditeur de justice de l'Ecole nationale de la magistrature et du décret du 10 août 2020 portant nomination des auditeurs de justice de la promotion 2018 dans les fonctions judiciaires. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes pour y statuer par une seule décision.

Sur l'intervention de l'Association professionnelle des magistrats :

3. L'Association professionnelle des magistrats ayant intérêt à l'annulation des décisions attaquées, son intervention est recevable.

Sur la décision du 22 mai 2020 et la délibération des 21 et 22 mai 2020 du jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice :

En ce qui concerne la composition du jury :

4. Aux termes de l'article 45 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) : " La déclaration d'aptitude et la liste de classement prévues à l'article 21 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée sont établies par un jury qui est ainsi composé : / 1° Un magistrat hors hiérarchie à la Cour de cassation, président ; / 2° Un directeur, chef de service ou sous-directeur au ministère de la justice ou un membre de l'inspection générale des services judiciaires, vice-président ; / 3° Un maître des requêtes au Conseil d'Etat ou un conseiller référendaire à la Cour des comptes ; / 4° Trois magistrats de l'ordre judiciaire ; / 5° Deux professeurs des universités chargés d'un enseignement de droit ; 6° Un avocat ou un avocat honoraire. / En cas de démission ou d'indisponibilité d'un membre du jury et d'impossibilité de réunir le conseil d'administration ou le comité restreint pour pourvoir à son remplacement dans les délais imposés par le calendrier des épreuves, la nomination du nouveau membre peut intervenir par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, sur proposition du président du conseil d'administration de l'Ecole ou, en cas d'empêchement, de son vice-président. Le conseil d'administration est informé de cette nomination à la première séance utile suivant la mise en œuvre de cette procédure d'urgence. / Les membres du jury sont nommés par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, sur proposition du conseil d'administration ". Il ressort des pièces du dossier que les membres du jury chargé d'établir le classement des auditeurs de justice de la promotion 2018 ont été nommés par un arrêté du 27 juin 2019 du garde des sceaux, ministre de la justice. L'un des membres du jury, M. B..., ayant démissionné, un arrêté du 20 septembre 2019 a prévu son remplacement par M. C....

5. En premier lieu, l'article L. 112-9 du code des juridictions financières dispose que lorsque la participation d'un magistrat de la Cour des comptes à un jury d'examen ou de concours est prévue par une disposition législative ou réglementaire, l'autorité chargée de la désignation peut porter son choix sur un membre honoraire de rang au moins égal, après avis du premier président de la Cour des comptes. Il ressort des pièces produites en défense par l'ENM que la nomination dans le jury d'aptitude de M. Bayle, président de chambre honoraire à la Cour des comptes, a été précédée de l'avis du premier président de la Cour des comptes. Dès lors, le moyen tiré de ce que cette nomination aurait été irrégulière faute d'avoir été précédée d'un avis du premier président de la Cour des comptes, manque en fait.

6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui était avocat lorsqu'il a été nommé membre du jury, s'était vu conférer l'honorariat par le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Bordeaux à compter du 31 décembre 2019 et a donc pu siéger dans le jury en qualité d'avocat honoraire, comme le permettent les dispositions de l'article 45 du décret du 4 mai 1972 relatif à l'ENM. Par suite, le moyen tiré de ce que sa nomination dans le jury d'aptitude était irrégulière au motif qu'il n'était plus avocat au barreau de Bordeaux doit être écarté.

7. En troisième lieu, il ressort également des pièces du dossier qu'après la démission de M. B... le 7 août 2019, le directeur de l'ENM a saisi, le 6 septembre suivant, la présidente du conseil d'administration de l'école pour qu'il soit procédé à son remplacement. Cette dernière a proposé la nomination de M. C... le 9 septembre 2019, et l'intéressé a été nommé par un arrêté du 20 septembre, soit un peu plus de deux semaines avant la première réunion du jury prévue les 8 et 9 octobre pour procéder au choix des sujets des épreuves écrites. Dès lors que le conseil d'administration de l'ENM, qui s'est réuni le 4 novembre 2019, ne pouvait pas être convoqué plus tôt et se réunir avant la première réunion du jury, la nomination de M. C... a pu légalement intervenir sur proposition du président du conseil d'administration de l'école, conformément aux dispositions du huitième alinéa de l'article 45 du décret du 4 mai 1972. Par conséquent, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du 20 septembre 2019 nommant M. C..., qui vise l'article 45 du décret du 4 mai 1972 et la proposition de la première présidente de la Cour de cassation, présidente du conseil d'administration de l'ENM, mais n'avait pas à mentionner l'urgence afférente au remplacement du membre du jury concerné, a été irrégulièrement adopté. La circonstance que le conseil d'administration de l'ENM n'aurait pas été postérieurement informé de cette nomination est sans incidence sur la légalité de cet arrêté.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'indépendance du jury :

8. La circonstance qu'une décision du président du jury en date du 6 novembre 2019 relative à certaines modalités de déroulement des épreuves écrites et la décision du jury relative à l'inaptitude de M. D... aient été rédigées sur du papier à en-tête de l'Ecole nationale de la magistrature n'est pas par elle-même de nature à révéler une atteinte au principe d'indépendance du jury.

En ce qui concerne les avis portant sur la scolarité et les stages effectués par le requérant :

9. Aux termes de l'article 48 du décret du 4 mai 1972 : " Le jury arrête les notes obtenues par les auditeurs aux épreuves prévues à l'article 47 ci-dessus. / Il prend ensuite connaissance des notes d'études et de stage ainsi que du test de langue anglaise permettant aux auditeurs de justice d'obtenir des points supplémentaires dans la limite de cinq et dont les modalités sont définies par le règlement intérieur. / Il se prononce en premier lieu sur l'aptitude de chaque auditeur à exercer, à la sortie de l'école, les fonctions judiciaires, après avis motivé du directeur de l'école et au vu du rapport du coordonnateur régional de formation sur l'aptitude de l'auditeur de justice à exercer les fonctions judiciaires, établi dans les conditions prévues dans le règlement intérieur, ainsi que du rapport du directeur de centre de stage sur le stage juridictionnel. / Ces rapports sont notifiés par écrit à l'auditeur de justice, qui peut faire des observations écrites qui sont alors transmises au jury. / Il en est de même de l'avis du directeur de l'école, lorsque celui-ci conclut à une déclaration d'inaptitude, à des recommandations, à des réserves ou au renouvellement d'une année de formation. / Le jury établit en second lieu la liste de classement prévue à l'article 21 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 susvisée, par ordre de mérite, d'après le total des points obtenus par chaque auditeur. (...) ". Aux termes de l'article 98 du règlement intérieur de l'Ecole nationale de la magistrature : " Une réunion de l'ensemble des magistrats maîtres de stage ayant suivi l'auditeur et du directeur de centre de stage permet un échange sur 1'aptitude de 1'auditeur à exercer les fonctions judiciaires. Présent à cette réunion, le coordonnateur régional de formation en fait une synthèse et émet un avis, sous la forme d'un rapport, sur l'aptitude de l'auditeur, en application de l'article 48 du décret du 4 mai 1972 susvisé ".

10. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours de son stage au tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, M. D... a exercé diverses fonctions judiciaires dont le suivi a été effectué par plusieurs magistrats en qualité de maîtres de stage. Leurs appréciations ont été retranscrites dans le rapport rédigé par le coordonnateur régional de formation de l'Ecole nationale de la magistrature.

11. En premier lieu, il ressort de ce rapport que le stage effectué dans les fonctions de juge des enfants a fait l'objet, de la part des deux magistrats qui l'ont suivi, d'une appréciation négative détaillée, relevant notamment, parmi d'autres éléments pointant un comportement inapproprié, l'absence d'initiative ou de curiosité intellectuelle de l'intéressé, un travail trop superficiel en amont des audiences, un manque de disponibilité et un désintérêt. Si ses auteurs ont indiqué au terme de leur compte rendu que l'auditeur stagiaire " a été dans une attitude de fuite en cumulant 5 jours d'absence sur 5 semaines avec 2 journées de grève le 5 et le 17 décembre, 2 jours d'arrêt maladie en prévenant dès le premier jour qu'il serait absent deux jours, 1 jour de regroupement des auditeurs de justice ", il ressort de l'ensemble de leur appréciation qu'une telle phrase se contentait d'énoncer que des éléments de fait et s'insérait dans une appréciation globale sur le manque d'investissement et l'attitude inadaptée, relevés auparavant, de l'intéressé dans les fonctions de juge des enfants. Une telle mention ne saurait, eu égard à la teneur d'ensemble de cette appréciation, être regardée comme reprochant au requérant les motifs de ses absences. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que cette appréciation méconnaîtrait le droit de grève, le principe de l'égalité d'accès aux emplois et fonctions publics, ni, en tout état de cause, l'article 52 du règlement intérieur de l'ENM. Pour les mêmes motifs, il n'est pas davantage fondé à soutenir que cette appréciation révélerait une discrimination illégale à raison de l'état de santé et serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

12. En second lieu, il ressort du rapport du coordonnateur régional de formation que les appréciations de tous les magistrats qui ont suivi les stages de M. D... en qualité de maîtres de stage y ont été retranscrites, qu'elles concluent à son inaptitude aux fonctions exercées pendant le stage ou au contraire qu'elles lui soient favorables, telle celle établie par la vice-présidente chargée du service du tribunal d'instance ou celle émise sur le stage effectué en tant que juge de l'application des peines. Contrairement à ce que soutient le requérant, la circonstance que la vice-présidente chargée du service du tribunal d'instance et le vice-président chargé de l'application des peines aient été absents lors de la réunion de bilan n'a pas eu pour effet de les empêcher de souligner ses mérites auprès du coordonnateur régional qui, au demeurant, fait partie, en vertu de l'article 9 du décret du 21 décembre 1999 régissant les emplois de l'Ecole nationale de la magistrature, du cadre enseignant permanent de l'école et, à ce titre, a accès au livret pédagogique de chaque auditeur. Par suite, le moyen tiré de ce que le rapport du coordonnateur régional de formation serait irrégulier ou aurait vicié la procédure n'est pas fondé.

13. La circonstance que le coordonnateur régional de formation ait indiqué dans son rapport qu'il proposait " l'exclusion de M. D... sans redoublement " n'est pas de nature à conférer à la décision d'inaptitude prise par le jury le caractère d'une sanction disciplinaire.

En ce qui concerne la régularité de la décision d'inaptitude :

14. En premier lieu, un agent public ayant, à la suite de son recrutement ou dans le cadre de la formation qui lui est dispensée, la qualité de stagiaire se trouve dans une situation probatoire et provisoire. Il en résulte qu'alors même que la décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne, elle n'est pas - sauf à revêtir le caractère d'une mesure disciplinaire - au nombre des mesures qui ne peuvent légalement intervenir sans que l'intéressé ait été mis à même de faire valoir ses observations ou de prendre connaissance de son dossier, et n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et les règlements. Il en va de même de la décision par laquelle le jury de classement décide, sur le fondement de l'article 21 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, d'écarter de l'accès aux fonctions judiciaires un auditeur de justice en raison de son inaptitude à ces fonctions.

15. Le comportement dont a fait preuve M. D... à plusieurs reprises, aussi bien au cours de sa scolarité que pendant sa période de stage, et son refus de respecter certaines des obligations et des règles déontologiques qui s'imposent aux magistrats, tels qu'ils ressortent des rapports du coordonnateur régional de formation et du directeur de centre de stage ainsi que de l'avis du directeur de l'ENM ont conduit ces derniers à estimer que son comportement était incompatible avec l'exercice des fonctions de magistrat. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ces éléments de fait, qui ont été pris en compte par le jury pour prendre la décision d'inaptitude, auraient revêtu, dans les circonstances de l'espèce, le caractère d'une mesure disciplinaire. Au demeurant et en tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé a eu communication des rapports établis par le coordonnateur régional de formation et le directeur du centre de stage et de l'avis du directeur de l'ENM et a été mis à même de présenter des observations préalablement à la délibération du jury. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure préalable à la décision décidant son inaptitude à l'exercice des fonctions judiciaires ne peut qu'être écarté.

16. En deuxième lieu, aucune disposition de l'ordonnance du 22 décembre 1958 ou du décret du 4 mai 1972 ne prévoit que la décision par laquelle le jury décide de ne pas inscrire un auditeur de justice sur la liste de classement à la sortie de l'ENM, en raison de son inaptitude aux fonctions judiciaires, doit être motivée. Une telle décision n'est pas non plus au nombre de celles dont l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration impose la motivation. Dès lors, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision d'inaptitude ne peut qu'être écarté.

17. En troisième lieu, le requérant soutient que son dossier, au vu duquel le jury a statué, était irrégulièrement constitué dès lors qu'y figuraient, d'une part, la mention des faits ayant conduit l'ENM à lui infliger une sanction annulée par un jugement du 7 octobre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux, d'autre part, une lettre que le même jugement a supprimée de son dossier, compte tenu de son caractère jugé diffamatoire. Il ressort cependant de ce jugement que l'ENM n'était tenue de supprimer des pièces du dossier que la seule mention de cette sanction, laquelle a été annulée au motif qu'elle ne faisait pas partie des sanctions pouvant être infligées aux auditeurs de justice en application de l'article 60 du décret du 4 mai 1972, et non celle des faits qui l'avaient justifiée. Enfin, M. D... ne démontre pas, en produisant une photographie de la lettre supprimée par le tribunal administratif, que cette pièce figurerait encore à son dossier.

En ce qui concerne le déroulement des épreuves orales :

18. Le requérant soutient qu'en ne contraignant pas les membres du jury à porter un masque pendant les épreuves orales qui se sont déroulées les 18, 19 et 20 mai 2020, l'ENM n'a pas mis en place les mesures sanitaires suffisantes permettant de garantir leur bon déroulement. Il ressort toutefois des éléments produits en défense par l'ENM que l'intéressé a été informé qu'il serait séparé des membres du jury par une distance d'au moins deux mètres et protégé par une paroi de plexiglass, et que du gel hydroalcoolique et des masques seraient mis à la disposition de tous. Alors que le port d'un masque n'a été rendu obligatoire dans les lieux clos que postérieurement au déroulement de ces épreuves orales, par le décret du 10 juillet 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé et qu'il était néanmoins loisible au requérant de demander aux membres du jury de porter un masque, comme le lui avait suggéré l'ENM, ce dernier, qui a refusé de se présenter à l'épreuve orale, n'est dès lors pas fondé à soutenir que ces épreuves se seraient déroulées dans des conditions irrégulières.

19. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du jury le déclarant inapte à l'exercice des fonctions judiciaires et, par voie de conséquence, de la délibération par laquelle ce jury a établi la liste de classement des auditeurs de justice de la promotion 2018 de l'Ecole nationale de la magistrature.

Sur l'arrêté du 8 juillet 2020 mettant fin à ses fonctions d'auditeur de justice et le décret du 10 août 2020 du Président de la République portant nomination d'auditeurs de justice dans la magistrature :

20. En premier lieu, si le requérant soutient que l'arrêté du 8 juillet 2020 mettant fin à ses fonctions d'auditeur de justice est entaché d'incompétence, il ressort de l'arrêté attaqué qu'il a été signé par le directeur des services judiciaires du ministère de la justice, lequel bénéficiait d'une délégation de signature au nom du garde des sceaux, ministre de la justice. Par suite, le moyen doit être rejeté.

21. En second lieu, en mettant fin aux fonctions d'auditeur de justice de M. D... à compter du 22 mai 2020 et en ne le faisant pas figurer parmi les auditeurs de justice de sa promotion nommés dans des fonctions juridictionnelles à l'issue de leur scolarité à l'Ecole nationale de la magistrature, le ministre de la justice et le Président de la République n'ont fait que tirer les conséquences de la décision du 22 mai 2020 par laquelle le jury l'a déclaré inapte à l'exercice de fonctions judiciaires. Dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, cette dernière décision n'est pas entachée d'illégalité, les moyens dirigés contre l'arrêté du 8 juillet 2020 et le décret du 10 août 2020 en tant que M. D... n'y figure pas ne peuvent qu'être écartés.

21. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de M. D... doivent être rejetées, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de M. D... sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. E... D..., à la Première ministre, au garde des sceaux, ministre de la justice et à l'Ecole nationale de la magistrature.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 juillet 2022 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Cécile Vaullerin, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 19 août 2022.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

La rapporteure :

Signé : Mme Cécile Vaullerin

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 441001
Date de la décision : 19/08/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 aoû. 2022, n° 441001
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Vaullerin
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:441001.20220819
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