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27/07/2022 | FRANCE | N°459385

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 27 juillet 2022, 459385


Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée Distribution Casino France a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 19 février 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Auvergne Rhône-Alpes lui a infligé une amende d'un montant total de 26 600 euros sur le fondement de l'article L. 8115-1 du code du travail pour des manquements à la durée légale du travail hebdomadaire ou, à défaut, d'en réduire le montant. Par un jugement n° 1903072 du 16 juin 2020

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Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée Distribution Casino France a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 19 février 2019 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Auvergne Rhône-Alpes lui a infligé une amende d'un montant total de 26 600 euros sur le fondement de l'article L. 8115-1 du code du travail pour des manquements à la durée légale du travail hebdomadaire ou, à défaut, d'en réduire le montant. Par un jugement n° 1903072 du 16 juin 2020, le tribunal administratif de Lyon a réduit le montant de l'amende à 19 000 euros et rejeté le surplus des conclusions de la société.

Par un arrêt n° 20LY12271 du 14 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Distribution Casino France contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés le 13 décembre 2021 et les 21 janvier, 27 juin et 28 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Distribution Casino France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 ;

- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de la société Distribution Casino France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un contrôle effectué par l'inspection du travail dans l'établissement de la société Distribution Casino France situé à Sathonay-Camp, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Auvergne Rhône-Alpes a prononcé, par une décision du 19 février 2019, à l'encontre de cette société, des amendes d'un montant global de 26 600 euros en application de l'article L. 8115-1 du code du travail pour avoir plusieurs fois méconnu, pendant la période du 22 mai au 31 décembre 2017, s'agissant de six salariés, les dispositions régissant la durée hebdomadaire du travail. Saisi par cette société d'une demande tendant à l'annulation ou, à titre subsidiaire, à la minoration de ces amendes, le tribunal administratif de Lyon a, par un jugement du 16 juin 2020, ramené à 19 000 euros le montant des amendes et rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société. Celle-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 octobre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté son appel.

2. Aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : / 1° Aux dispositions relatives aux durées maximales du travail fixées aux articles L. 3121-18 à L. 3121-25 et aux mesures réglementaires prises pour leur application (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 8115-3 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2018, antérieure à celle résultant de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel : " Le montant maximal de l'amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement. / Le plafond de l'amende est porté au double en cas de nouveau manquement constaté dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de l'amende concernant un précédent manquement de même nature. / Il est majoré de 50 % en cas de nouveau manquement constaté dans un délai d'un an à compter du jour de la notification d'un avertissement concernant un précédent manquement de même nature. "

4. Aux termes de l'article L. 8115-4 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 10 août 2018 : " Pour déterminer si elle prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges ".

5. Il appartient au juge administratif, statuant comme juge de plein contentieux sur une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, de faire application, le cas échéant, d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue.

6. En l'espèce et à ce titre, d'une part, l'article 18 de la loi du 10 août 2018, entré en vigueur postérieurement à la date à laquelle les manquements reprochés ont été commis, a ajouté à la possibilité de sanctionner un manquement de l'employeur par une amende, seule ouverte jusque-là par les articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail, la possibilité, alternative, de prononcer à son encontre un simple avertissement qui constitue, par rapport à l'amende, une sanction plus douce. Il a également prévu que le plafond de l'amende encourue serait porté au double en cas de nouveau manquement constaté dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de l'amende concernant un précédent manquement de même nature ou, en cas de notification d'un avertissement dans la même hypothèse, majoré de 50 %. Si cette sanction est également plus douce par rapport à la législation antérieure, qui prévoyait seulement que le plafond de l'amende était porté au double en cas de nouveau manquement constaté dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de l'amende concernant un précédent manquement, le bénéfice de la moindre augmentation du plafond lorsque le manquement de même nature déjà sanctionné n'a donné lieu qu'à un avertissement n'est susceptible de s'appliquer qu'à des manquements postérieurs au prononcé d'un tel avertissement, soit à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 10 août 2018.

7. D'autre part, en revanche, les dispositions de l'article 95 de la loi du 5 septembre 2018, qui ont modifié l'article L. 8115-3 en rehaussant le montant maximal de l'amende encourue de 2 000 à 4 000 euros par travailleur concerné et l'article L. 8115-3 en allongeant à deux ans la durée pendant laquelle le plafond de l'amende encourue est doublé en cas d'amende précédente concernant un manquement de même nature, présentent le caractère de dispositions répressives plus sévères qui ne peuvent être appliquées à des manquements commis antérieurement à leur entrée en vigueur. Il s'ensuit que sont applicables en l'espèce les dispositions des articles L. 8115-1, L. 8115-3 et L. 8115-4 du code du travail, telles que citées aux points 2 à 4 ci-dessus dans leur rédaction résultant de la loi du 10 août 2018.

8. Il résulte de tout ce qui précède qu'en jugeant qu'étaient applicables au litige dont elle était saisie les dispositions des articles L. 8115-1, L. 8115-3 et L. 8115-4 du code du travail dans leur rédaction antérieure à la loi du 10 août 2018, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la société Distribution Casino France est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Distribution Casino France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 14 octobre 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : L'Etat versera à la société Distribution Casino France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Distribution Casino France et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré à l'issue de la séance du 30 juin 2022 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 27 juillet 2022.

La présidente :

Signé : Mme Gaëlle Dumortier

Le rapporteur :

Signé : M. Eric Buge

La secrétaire :

Signé : Mme Sinem Varis


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 459385
Date de la décision : 27/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 jui. 2022, n° 459385
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Eric Buge
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL

Origine de la décision
Date de l'import : 24/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:459385.20220727
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