Vu la procédure suivante :
La Fédération des entreprises de boulangerie (FEB) a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a rejeté sa demande d'abrogation de l'arrêté du 15 mai 2001 ordonnant dans ce département un jour par semaine de fermeture au public des établissements, parties d'établissements et dépôts, fixes ou ambulants, dans lesquels s'effectue la vente au détail ou la distribution de pain frais, emballé ou non, et de lui enjoindre de réexaminer sa demande d'abrogation dans le délai d'un mois, sous astreinte. Par un jugement n° 1803514 du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 19NT03210 du 18 mai 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la Fédération des entreprises de boulangerie contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 juillet et 15 octobre 2021 et le 14 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des entreprises de boulangerie demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la Fédération des entreprises de boulangerie ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de la conclusion, le 14 mai 2001, d'un accord entre des organisations patronales et salariales de Maine-et-Loire concernées par la fabrication, la vente et la distribution de pain et de viennoiseries, le préfet de Maine-et-Loire a, par un arrêté du 15 mai 2001, imposé la fermeture au public un jour par semaine au choix des intéressés les établissements, parties d'établissements, dépôts, fabricants artisanaux ou industriels, fixes ou ambulants, dans lesquels s'effectue à titre principal ou accessoire la vente au détail ou la distribution de pain frais, emballé ou non. Par un courrier du 27 octobre 2017, la Fédération des entreprises de boulangerie a demandé au préfet de Maine-et-Loire d'abroger cet arrêté. Par un jugement du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de la Fédération des entreprises de boulangerie tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite du préfet de Maine-et-Loire rejetant cette demande. La Fédération des entreprises de boulangerie se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 mai 2021 de la cour administrative d'appel de Nantes rejetant son appel contre ce jugement.
2. D'une part, l'article L. 3132-29 du code du travail dispose que : " Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. / À la demande des organisations syndicales représentatives des salariés ou des organisations représentatives des employeurs de la zone géographique concernée exprimant la volonté de la majorité des membres de la profession de cette zone géographique, le préfet abroge l'arrêté mentionné au premier alinéa, sans que cette abrogation puisse prendre effet avant un délai de trois mois ". D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. "
3. Pour l'application des dispositions du code du travail citées au point précédent, la fermeture au public des établissements d'une profession ne peut légalement être ordonnée sur la base d'un accord syndical que dans la mesure où cet accord correspond pour la profession à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire dans la zone géographique considérée et dont l'établissement ou une partie de celui-ci est susceptible d'être fermé. L'existence de cette majorité est vérifiée lorsque les entreprises adhérentes à la ou aux organisations d'employeurs qui ont signé l'accord ou s'y sont déclarées expressément favorables exploitent la majorité des établissements intéressés ou que la consultation de l'ensemble des entreprises concernées a montré que l'accord recueillait l'assentiment d'un nombre d'entreprises correspondant à la majorité des établissements intéressés.
4. Pour juger en l'espèce que l'accord conclu en 2001 reflétait toujours la majorité indiscutable des professionnels du secteur, la cour administrative d'appel a pris en compte la majorité des avis exprimés par les établissements concernés du département de Maine-et-Loire lors de la consultation diligentée en 2019 par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et non, compte tenu du nombre des établissements qui n'avaient pas répondu à cette enquête et dont il appartenait à la cour de rechercher s'il leur avait été indiqué lors de la consultation qu'une opinion par défaut leur serait imputée en l'absence de réponse, la majorité de ceux qui exerçaient la profession dans le département. Elle a, ce faisant, commis une erreur de droit.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la Fédération des entreprises de boulangerie est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la Fédération des entreprises de boulangerie, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 18 mai 2021 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'Etat versera à la Fédération des entreprises de boulangerie une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération des entreprises de boulangerie et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Copie en sera adressée à la Fédération professionnelle de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie de Maine-et-Loire.
Délibéré à l'issue de la séance du 30 juin 2022 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Damien Botteghi, conseiller d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 27 juillet 2022.
La présidente :
Signé : Mme Gaëlle Dumortier
Le rapporteur :
Signé : M. Eric Buge
La secrétaire :
Signé : Mme Sinem Varis