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22/07/2022 | FRANCE | N°448526

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 22 juillet 2022, 448526


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 8 janvier 2021 et 10 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Lactalis demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'avis de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, (DGCCRF) en date du 9 juillet 2020 relatif à la protection de la dénomination enregistrée en AOP "Camembert de Normandie", en tant qu'il pose une interdiction générale de la mise en exergue de la mention

"fabriqué en Normandie" sur un fromage ne répondant pas aux cahiers des char...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 8 janvier 2021 et 10 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Lactalis demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'avis de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, (DGCCRF) en date du 9 juillet 2020 relatif à la protection de la dénomination enregistrée en AOP "Camembert de Normandie", en tant qu'il pose une interdiction générale de la mise en exergue de la mention "fabriqué en Normandie" sur un fromage ne répondant pas aux cahiers des charges de l'AOP et, d'autre part, la décision de rejet née du silence gardé par la DGCCRF sur sa demande du 31 août 2020, reçue le 9 septembre 2020, tendant au retrait de cet avis ;

2°) à titre subsidiaire, de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 13, paragraphe 1, dernier alinéa, du règlement n°1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, s'agissant d'une appellation d'origine protégée complexe composée à la fois d'un nom de produit générique et d'une dénomination géographique et de la faculté d'utiliser cette dénomination géographique en relation avec des produits ne répondant pas au cahier des charges de l'appellation d'origine protégée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 ;

- le règlement (UE) n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 1209/2013 de la Commission européenne du 25 novembre 2013 ;

- le code de la propriété intellectuelle ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de la consommation ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 83-778 du 31 août 1983 ;

- le décret n° 86-1361 du 29 décembre 1986 ;

- le décret n° 2007-628 du 27 avril 2007 ;

- le décret n° 2008-984 du 18 septembre 2008;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliana Nahra, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Lactalis et à la SARL Didier-Pinet, avocat de l'Institut national de l'origine et de la qualité ;

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions à fin d'annulation :

1. Il ressort des pièces du dossier que par un avis aux opérateurs économiques sur la protection de la dénomination enregistrée en appellation d'origine protégée (AOP) " Camembert de Normandie ", publié le 9 juillet 2020 sur le site internet de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et au BOCCRF, l'administration a fait savoir que : " la mise en exergue de la mention "fabriqué en Normandie", n'est pas possible sur un fromage ne répondant pas au cahier des charges de l'AOP car elle est de nature à constituer une violation de l'article 13 du règlement 1151/2012 et (de) l'article L. 722 du code de la propriété intellectuelle. Cette règle est valable aussi bien pour les produits mis sur le marché dans l'UE que pour les produits exportés dans des pays disposant d'accord de réciprocité avec l'UE ". L'avis ajoute qu' " en tout état de cause, le contrôle de la légalité des étiquettes doit nécessairement être réalisé par les autorités compétentes au terme d'un examen approprié au cas par cas, sous contrôle le cas échéant du juge national. Ce contrôle se fonde sur l'analyse d'un faisceau de références graphiques ou textuelles utilisées, leur agencement, et les modalités concrètes d'apposition. Il s'agit ainsi de procéder à une évaluation globale permettant de confirmer ou d'infirmer l'existence d'une évocation répréhensible. ". L'avis accorde aux opérateurs concernés un délai expirant le 31 décembre 2020 pour mettre en conformité leur étiquetage, les invitant à " prendre l'attache de la Direction départementale (de la cohésion sociale) et de la protection des populations (DD(CS)PP) dont (ils) dépendent et apporter l'état des stocks d'étiquettes restantes ainsi que les factures d'achat des emballages ". Il précise que, passé ce délai, " les autorités en charge du contrôle et de la protection de ces dénominations (DGCCRF et INAO) actionneront toutes les voies de droit nécessaires à la pleine protection de la dénomination protégée "camembert de Normandie" ". La société Lactalis demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'avis de la DGCCRF du 9 juillet 2020 et du refus né du silence gardé par la DGCCRF à la suite de sa demande de retrait de cet avis.

Sur la légalité externe de l'avis attaqué :

2. En premier lieu, si aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, toute décision prise par l'administration comporte la signature de son auteur, l'article L. 212-3 du même code dispose que les décisions de l'administration peuvent faire l'objet d'une signature électronique. Il ressort des pièces du dossier que tel est le cas de l'avis contesté. Dès lors, le moyen tiré du défaut de signature de l'acte attaqué manque en fait.

3. En deuxième lieu, en énonçant d'une part que la dénomination " Camembert de Normandie " bénéficie au niveau européen et au niveau national d'une protection en application du règlement n° 1151/2012 et de l'article L. 722-1 du code de la propriété intellectuelle, et en indiquant d'autre part que la " mise en exergue " de la mention " fabriqué en Normandie " était de nature à constituer une violation de l'article 13 du même règlement, sans édicter de prescription générale dispensant d'un examen au cas par cas, l'avis précisant que les services chargés du contrôle de la légalité des étiquettes doivent tenir compte de la composition de l'étiquette, de la typographie et du graphisme utilisés pour déterminer si la mention litigieuse est " mise en exergue " dans des conditions portant atteinte à l'AOP, l'auteur de l'avis attaqué n'a ni outrepassé ses compétences, ni méconnu, en tout état de cause, l'exigence d'impartialité dans la mise en œuvre des pouvoirs de réglementation et de contrôle exercés en la matière par l'administration ou le principe d'indépendance des juridictions sous le contrôle desquelles s'exercent ces pouvoirs.

Sur la légalité interne de l'avis attaqué :

En ce qui concerne la protection qui s'attache à la dénomination " Camembert de Normandie " et les exigences d'étiquetage imposées par la réglementation européenne :

4. En premier lieu, aux termes de l'article 5 du règlement n°1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, l'appellation d'origine est une dénomination qui définit un produit : " comme étant a) originaire d'un lieu déterminé, d'une région, ou, dans des cas exceptionnels, d'un pays ; b) dont la qualité ou les caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains ; et c) dont toutes les étapes de production ont lieu dans l'aire géographique délimitée ". Aux termes de l'article 13 du même règlement : " 1. Les dénominations enregistrées sont protégées contre : / a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte d'une dénomination enregistrée à l'égard des produits non couverts par l'enregistrement, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients ; / b) toute usurpation, imitation ou évocation, même si l'origine véritable des produits ou des services est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d'une expression telle que " genre ", " type ", " méthode ", " façon ", " imitation ", ou d'une expression similaire, y compris quand ces produits sont utilisés en tant qu'ingrédients ; / c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l'origine, la nature ou les qualités essentielles du produit qui figure sur le conditionnement ou l'emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l'utilisation pour le conditionnement d'un récipient de nature à créer une impression erronée sur l'origine du produit ; / d) toute autre pratique susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit. / Lorsqu'une appellation d'origine protégée ou une indication géographique protégée contient en elle-même le nom d'un produit considéré comme générique, l'utilisation de ce nom générique n'est pas considérée comme contraire au premier alinéa, point a) ou b). / 2. Les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées ne peuvent pas devenir génériques. / 3. Les États membres prennent les mesures administratives ou judiciaires appropriées pour prévenir ou arrêter l'utilisation illégale visée au paragraphe 1 d'appellations d'origine protégées ou d'indications géographiques protégées qui sont produites ou commercialisées sur leur territoire. (...) ". Aux termes du 6) de l'article 3 du même règlement, les mentions génériques sont définies comme les dénominations de produits qui, bien que se rapportant au lieu, à la région ou au pays de production ou de commercialisation initiale, sont devenues la dénomination commune d'un produit dans l'Union. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 643-2 du code rural : " L'utilisation d'indication d'origine ou de provenance ne doit pas être susceptible d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques du produit, de détourner ou d'affaiblir la notoriété d'une dénomination reconnue comme appellation d'origine ou enregistrée comme indication géographique ou comme spécialité traditionnelle garantie, ou, de façon plus générale, de porter atteinte, notamment par l'utilisation abusive d'une mention géographique dans une dénomination de vente, au caractère spécifique de la protection réservée aux appellations d'origine, aux indications géographiques et aux spécialités traditionnelles garanties ".

5. La dénomination " camembert de Normandie " constitue, ainsi qu'il a été rappelé précédemment, une appellation d'origine protégée au sens du titre II du règlement (UE) n° 1151/2012. Elle bénéficie, par suite, de la protection résultant des dispositions citées au point 4. Si tout fromage répondant aux prescriptions du décret du 27 avril 2007 concernant le produit dénommé " camembert " peut, conformément au dernier alinéa du paragraphe 1 de l'article 13 de ce même règlement, utiliser la dénomination " camembert ", dont il est constant qu'elle présente un caractère générique, il résulte de ces dispositions qu'il ne peut le faire que dans des conditions qui ne sont pas de nature à porter atteinte à la protection attachée à la dénomination " camembert de Normandie ". En particulier, il ne saurait être fait mention, en association avec le terme générique " camembert ", de l'origine " Normandie ", laquelle ne constitue pas un terme générique, d'une manière telle que cette association de termes, en reprenant l'essentiel de la dénomination protégée, conduise le consommateur à avoir directement à l'esprit, à la lecture de cette mention, le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine. Par suite, contrairement à ce que soutient la société requérante, c'est sans méconnaître l'article 13 du règlement (UE) n°1151/2012 que l'avis litigieux, qui n'a pas édicté une interdiction générale et absolue dispensant d'un examen au cas par cas, a énoncé que la " mise en exergue " de la mention " fabriqué en Normandie " sur l'étiquette de fromages ne répondant pas au cahier des charges de l'AOP " Camembert de Normandie " était susceptible de porter atteinte à la protection accordée à cette AOP, et a enjoint aux opérateurs concernés, sous le contrôle de l'administration et le cas échéant du juge, de proscrire l'usage de cette mention dans des conditions qui, par son agencement ou ses modalités concrètes d'apposition, conduiraient à constituer une évocation répréhensible de la dénomination protégée.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 26 du règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011, " l'indication du pays d'origine ou du lieu de provenance est obligatoire a) dans les cas où son omission serait susceptible d'induire en erreur les consommateurs sur le pays d'origine ou le lieu de provenance réel de la denrée alimentaire ". D'une part, aux termes du même article, cette disposition s'applique sans préjudice des exigences d'étiquetage prévues dans des dispositions particulières de l'Union, notamment le règlement (CE) n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, devenu aujourd'hui le règlement n°1151/2012 précité. D'autre part, l'interdiction, dans les conditions décrites ci-dessus, de la mention " fabriqué en Normandie " n'empêche aucunement les producteurs concernés de mentionner, selon des modalités appropriées, le nom et l'adresse de l'entreprise de fabrication. Par conséquent, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'avis contesté méconnaît les obligations d'information du consommateur sur la provenance d'une denrée alimentaire.

7. Elle n'est pas davantage fondée à soutenir que cette prohibition conduirait à méconnaître les exigences des articles L. 121-2 et L. 121-3 du code de la consommation prohibant l'omission d'informations substantielles, au rang desquelles figure l'origine du bien vendu.

En ce qui concerne l'atteinte portée aux droits acquis des fabricants normands de camembert hors AOP :

8. En premier lieu, la société requérante se prévaut, d'une part, de ce que, conformément à l'accord ayant présidé à la reconnaissance de cette appellation d'origine, tant le décret n° 83-778 du 31 août 1983 relatif à l'appellation d'origine " Camembert de Normandie" que le décret n° 86-1361 du 29 décembre 1986 qui l'a abrogé et remplacé disposaient, au second alinéa de leur article 7, que : " Sous réserve des dispositions qui précèdent, l'emploi de la mention "Fabriqué en Normandie" est autorisé pour l'indication du lieu de fabrication prévu par la réglementation relative aux fromages, sur l'étiquetage des camemberts ne bénéficiant pas de l'appellation d'origine. " et, d'autre part, de ce que la pratique administrative a toujours laissé coexister sur le marché les fromages répondant au cahier des charges de l'AOP, qui exige l'emploi de lait cru, le moulage à la louche ainsi qu'une durée de pâturage de six mois pour des vaches devant provenir à 50 % de race normande, seuls autorisés à porter la mention " camembert de Normandie ", et des fromages portant la dénomination " camembert " et conformes à la définition de ce produit résultant du décret du 27 avril 2007 relatif aux fromages et spécialités fromagères, mais qui étant à base de lait pasteurisé ou thermisé ne peuvent bénéficier de l'AOP, comportant néanmoins sur leur étiquette la mention " fabriqué en Normandie ".

9. Toutefois, d'une part, l'article 7 du décret du 29 décembre 1986 a été abrogé par l'article 3 du décret n° 2008-984 du 18 septembre 2008 relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Camembert de Normandie ". Le règlement d'exécution (UE) n° 1209/2013 de la Commission européenne du 25 novembre 2013, qui a approuvé en dernier lieu le cahier des charges de l'appellation d'origine protégée " Camembert de Normandie ", ne contient aucune prescription relative à l'emploi de la mention " fabriqué en Normandie ", pas davantage qu'aucune disposition législative ou réglementaire du droit de l'Union ou du droit interne. Nul n'ayant de droit acquis au maintien d'une règlementation, la société requérante ne saurait soutenir que la suppression de la dérogation initialement admise porterait atteinte aux droits des fabricants concernés. D'autre part, s'il ressort des pièces du dossier que, durant plusieurs années, postérieurement à l'intervention du décret du 18 septembre 2008, l'administration, tout en avisant les producteurs concernés que l'apposition de mentions non réglementaires était libre à condition de ne pas être de nature à induire le consommateur en erreur ou à détourner la notoriété d'une appellation d'origine, n'a pris aucune mesure à l'égard des camemberts étiquetés " fabriqué en Normandie ", afin de laisser à l'ensemble des producteurs concernés la possibilité de s'entendre sur un aménagement du cahier des charges de l'AOP, cette circonstance ne saurait avoir créé, au profit des producteurs de camembert hors AOP, un droit à porter atteinte à la protection attachée à l'AOP. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que l'avis qu'elle conteste porterait atteinte aux droits acquis des fabricants de camembert hors AOP.

10. En deuxième lieu, la société requérante soutient que les conditions d'enregistrement de l'AOP " Camembert de Normandie " par la Commission européenne, selon la procédure simplifiée prévue à l'article 17 du règlement (CEE) n°2081/92 du 14 juillet 1992, tel qu'effectué par le règlement (CE) n°1107/96 de la Commission du 12 juin 1996, aurait constitué une validation de la coexistence des deux dénominations. Elle se prévaut à cet égard d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 mars 1999, Danemark e. a. c/ Commission (aff. C-289/96, 293/96 et 199-96) selon lequel un tel enregistrement, y compris dans le cadre de la procédure simplifiée, ne devait pas, conformément aux dispositions du paragraphe 4 de l'article 7 du règlement (CEE) n°2081/92, porter " préjudice à l'existence d'une dénomination totalement ou partiellement homonyme ou d'une marque ou l'existence de produits qui se trouvent légalement sur le marché depuis au moins les cinq années précédant la date de publication ". Elle soutient que tel était le cas de la dénomination " fabriqué en Normandie ", qui en 1996 se trouvait légalement sur le marché depuis plus de cinq ans, et que par conséquent l'AOP n'a pu être régulièrement enregistrée, à cette date, qu'au bénéfice de la dérogation prévue au second alinéa de l'article 7 du décret du 29 décembre 1986 alors en vigueur, autorisant l'emploi de la mention " fabriqué en Normandie " sur l'étiquetage de fromages ne bénéficiant pas de l'appellation d'origine.

11. Toutefois, d'une part la société requérante ne saurait utilement se prévaloir des conditions de l'enregistrement opéré en 1996 alors que le dernier enregistrement de l'AOP " Camembert de Normandie " par la Commission européenne, résultant du règlement (UE) n°1209/2013 de la Commission du 25 novembre 2013, a été effectué sur la base du cahier des charges de l'AOP tel qu'approuvé par le décret n°2008-984 du 18 septembre 2008, lequel n'autorisait plus l'emploi de la mention " fabriqué en Normandie ". D'autre part, et en tout état de cause, il ressort de l'arrêt de la CJUE invoqué que la condition dont se prévaut la société requérante ne concerne que des produits légalement commercialisés sous la dénomination dont l'enregistrement est demandé dans des Etats membres autres que l'Etat d'origine demandeur de l'enregistrement.

En ce qui concerne le principe d'égalité :

12. L'interdiction, dans les conditions décrites ci-dessus, de la mention " fabriqué en Normandie ", est inhérente à la protection prévue en faveur de l'appellation d'origine protégée. La société requérante ne saurait donc utilement soutenir qu'elle serait contraire au principe d'égalité au motif qu'elle empêcherait les fabricants normands, à la différence des fabricants qui élaborent leur produit dans une autre région, de mentionner la région de fabrication de leurs produits.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'avis qu'elle attaque.

Sur les conclusions tendant à la transmission d'une question préjudicielle :

14. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, et en l'absence de doute sérieux quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne invoqué, il n'y a pas lieu de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne.

Sur les conclusions au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

15. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. D'autre part, l'INAO n'a pas la qualité de défendeur dans la présente instance et sa présence en qualité d'observateur ne lui confère pas davantage la qualité de partie, dès lors qu'il n'aurait pas eu qualité pour faire tierce-opposition à la présente décision. Par suite, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Lactalis à ce titre.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société Lactalis, ainsi que les conclusions présentées par l'INAO au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Lactalis, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à l'Institut national de l'origine et de la qualité.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 juillet 2022 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat ; M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes et Mme Juliana Nahra, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 22 juillet 2022.

Le président :

Signé : M. Guillaume Goulard

La rapporteure :

Signé : Mme Juliana Nahra

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 448526
Date de la décision : 22/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 jui. 2022, n° 448526
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Juliana Nahra
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SARL DIDIER-PINET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:448526.20220722
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