La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/07/2022 | FRANCE | N°446965

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 21 juillet 2022, 446965


Vu la procédure suivante :

M. A... C..., M. D... C... et Mme B... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, d'ordonner une expertise en vue d'évaluer le préjudice professionnel, le besoin d'assistance par une tierce personne et le préjudice sexuel que M. A... C... estime avoir subis du fait des fautes commises par le centre hospitalier de Voiron lors de sa naissance. Par une ordonnance n° 1906643 du 22 juin 2020, le juge des référés du tribunal administratif n'a que p

artiellement fait droit à leur demande, en ordonnant une expertis...

Vu la procédure suivante :

M. A... C..., M. D... C... et Mme B... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, d'ordonner une expertise en vue d'évaluer le préjudice professionnel, le besoin d'assistance par une tierce personne et le préjudice sexuel que M. A... C... estime avoir subis du fait des fautes commises par le centre hospitalier de Voiron lors de sa naissance. Par une ordonnance n° 1906643 du 22 juin 2020, le juge des référés du tribunal administratif n'a que partiellement fait droit à leur demande, en ordonnant une expertise aux fins d'évaluer le besoin d'assistance par une tierce personne.

Par une ordonnance n° 20LY01746 du 12 novembre 2020, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de M. C... et autres, réformé l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble et étendu l'expertise à l'évaluation des préjudices professionnel et sexuel allégués.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 novembre et 14 décembre 2020 et le 31 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier de Voiron et la société hospitalière d'assurances mutuelles demandent au Conseil d'Etat d'annuler cette ordonnance.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pearl Nguyên Duy, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier de Voiron et de la société hospitalière d'assurances mutuelles et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de MM. C..., et Mme C... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. A... C... est atteint de troubles cognitifs, psychologiques et physiques dus à sa prise en charge au centre hospitalier de Voiron, lors de sa naissance en 1994. Après avoir, par un jugement avant-dire droit du 21 octobre 2011, jugé que la responsabilité pour faute de l'établissement était engagée et prescrit la réalisation d'une expertise aux fins d'évaluation des préjudices subis, le tribunal administratif de Grenoble a, par un jugement du 15 décembre 2015, condamné le centre hospitalier de Voiron et la société hospitalière d'assurances mutuelles à verser à M. C... une somme de 531 549 euros au titre des divers préjudices dont il demandait réparation, à la seule réserve des frais d'assistance par une tierce personne au-delà des quatre ans suivant la consolidation de son état de santé. En 2019, la victime et ses parents ont demandé au juge des référés du même tribunal d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, une nouvelle expertise en vue d'évaluer non seulement ce besoin d'assistance par une tierce personne, mais également le préjudice professionnel et le préjudice sexuel de M. C... au motif que l'expertise réalisée en 2015 ne s'était pas prononcée sur ces préjudices et qu'ils n'en avaient pas demandé réparation dans l'instance ayant conduit au jugement du 15 décembre 2015. Par ordonnance du 22 juin 2020, le juge des référés du tribunal administratif n'a que partiellement fait droit à leur demande, en prescrivant une expertise aux seules fins d'évaluer le besoin d'assistance par une tierce personne. Le centre hospitalier de Voiron se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 12 novembre 2020 par laquelle le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel de M. C... et de ses parents, réformé l'ordonnance du 22 juin 2020 et étendu la mission de l'expert à l'évaluation des préjudices professionnel et sexuel allégués.

2. En premier lieu, l'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui sont irrecevables.

3. En second lieu, la décision par laquelle une personne publique rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation. En revanche, si, après l'expiration de ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable. Il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur. Il n'est fait exception à ce qui précède que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation.

4. Pour juger que la demande d'expertise relative aux préjudices professionnel et sexuel de M. C... présentait un caractère utile, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon a estimé que l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal administratif de Grenoble du 15 décembre 2015 ayant condamné le centre hospitalier de Voiron à indemniser M. C... ne pouvait pas être opposée à une demande postérieure tendant à l'indemnisation de ces deux chefs de préjudices, faute d'identité d'objet. En se fondant, pour regarder la nouvelle demande indemnitaire comme recevable, sur la seule circonstance qu'elle portait sur des chefs de préjudice invoqués pour la première fois, alors que, ainsi qu'il a été dit au point 4, la victime n'est recevable à demander, après l'expiration du délai de recours contre le rejet de sa réclamation préalable, l'indemnisation de nouveaux dommages nés du même fait générateur, que s'ils sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation, le juge des référés de la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Le centre hospitalier de Voiron et la société hospitalière d'assurances mutuelles sont par suite fondés à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée (en tant qu'elle a étendu la demande d'expertise à l'évaluation du préjudice sexuel et du préjudice professionnel de M. C...).

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. En l'état de l'instruction, il ressort des écritures des parties et des termes du rapport d'expertise remis en 2015, que le préjudice professionnel et le préjudice sexuel invoqués par M. C... et ses parents à l'appui de leur nouvelle demande d'indemnisation en 2019, alors que l'intéressé était âgé de 21 ans, ne pouvaient être regardés comme ayant été révélés dans toute leur ampleur à la date à laquelle M. C... avait déposé sa première réclamation préalable dans l'instance qui a conduit au jugement avant dire droit du 21 octobre 2011 et au jugement du 15 décembre 2015 du tribunal administratif de Grenoble. La demande d'expertise portant sur ces chefs de préjudice revêt dès lors, en l'état de l'instruction, un caractère utile. Par suite, M. A... C... et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande d'expertise portant sur l'évaluation du préjudice sexuel et du préjudice professionnel de M. C.... Il y a lieu, par suite, de réformer l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'elle n'a pas fait porter la mission d'expertise sur ces deux chefs de préjudice.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge M. C... et autres qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Voiron et de la société hospitalière d'assurances mutuelles la somme de 1 000 euros chacun à verser à M. A... C..., M. D... C... et Mme B... C..., au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 1er de l'ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Lyon du 12 novembre 2020 est annulé.

Article 2 : Il est inséré avant le 3°) de l'article 1er de l'ordonnance du 22 juin 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble un nouveau 3°) ainsi rédigé : " 3°) de dire si M. A... C... a subi un préjudice sexuel et un préjudice professionnel et, dans l'affirmative, d'évaluer ces préjudices " et le 3°) devient 4°).

Article 3 : Le centre hospitalier de Voiron et la société hospitalière d'assurances mutuelles verseront à M. A... C..., M. D... C... et Mme B... C... la somme de 1 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier de Voiron et à M. A... C..., premier défendeur dénommé.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Pearl Nguyên Duy, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 21 juillet 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Pearl Nguyên Duy

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 446965
Date de la décision : 21/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 jui. 2022, n° 446965
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pearl Nguyên Duy
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SARL LE PRADO – GILBERT ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:446965.20220721
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award