Vu la procédure suivante :
La société par actions simplifiée à associé unique Control Union Inspection France a demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2007 à 2009, la réduction des cotisations de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2008 et 2009, la décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2007 à 2009, ainsi que la décharge des pénalités correspondantes. Par deux jugements n° 1300278 et n° 1300280 du 21 mai 2015, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à ses demandes.
Par un arrêt nos 15DA01008, 15DA01022 du 6 juin 2017, la cour administrative d'appel de Douai, sur appel du ministre des finances et des comptes publics, a annulé ces jugements et remis à la charge de la société Control Union Inspection France les impositions et pénalités en litige.
Par une décision n° 413129 du 24 avril 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur le pourvoi de la société Control Union Inspection France, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la même cour.
Par un arrêt n° 19DA01040 du 4 juin 2020, la cour a remis à la charge de la société Control Union Inspection France les impositions en litige, à l'exclusion des pénalités, a réformé les jugements attaqués en ce qu'ils avaient de contraire à l'arrêt et a rejeté le surplus des conclusions du ministre.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 août et 28 octobre 2020 et le 25 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Control Union Inspection France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il fait partiellement droit aux conclusions d'appel présentées par le ministre ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions d'appel du ministre ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix - Gury - Maître, avocat de la société Control Union Inspections France (CUIF) ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration a remis en cause, sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts et du 1 de l'article 39 du même code, la déductibilité de sommes versées par la société Control Union Inspection France (CUIF), de 2007 à 2009, à la société Control Union Western Hemisphere (CUWH) NV, filiale du même groupe, en rémunération de la garantie des risques liés à l'exécution du contrat signé le 11 juillet 2006 avec l'Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) par lequel celui-ci lui a confié l'inspection et le contrôle des cargaisons de céréales qu'il importe par voie maritime. La société a été assujettie, par voie de conséquence, en premier lieu, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de chacun des exercices vérifiés, assorties de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, en deuxième lieu, à des retenues à la source au titre des mêmes exercices, en application de l'article 119 bis de ce code, également assorties de la majoration pour manquement délibéré, dès lors que les sommes en cause ont été regardées comme des revenus réputés distribués au sens du 1 du 1° de l'article 109 du même code, et, en troisième lieu, à des cotisations minimales de taxe professionnelle au titre des années 2008 et 2009, faute pour les sommes versées à la société CUWH NV de pouvoir être déduites de la valeur ajoutée de la société CUIF. Par deux jugements du 21 mai 2015, le tribunal administratif de Rouen a fait droit aux demandes de la société CUIF tendant à la décharge de ces impositions et pénalités. Par un arrêt du 6 juin 2017, la cour administrative d'appel de Douai, faisant droit aux appels du ministre, a annulé ces jugements et remis à sa charge les impositions et pénalités en litige. Par une décision du 24 avril 2019, le Conseil d'Etat a, sur le pourvoi de la société CUIF, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la même cour. Par un arrêt du 4 juin 2020, la cour administrative d'appel de Douai a remis à la charge de la société CUIF les impositions en litige, à l'exclusion des pénalités, annulé ces jugements en ce qu'ils étaient contraires à son arrêt et rejeté le surplus des conclusions d'appel du ministre. Cette dernière société se pourvoit contre cet arrêt en tant qu'il a fait partiellement droit aux conclusions d'appel du ministre.
Sur le pourvoi :
2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
3. La cour a retenu que, pour justifier de la réalité des charges dont la déductibilité était remise en cause par l'administration pour les exercices clos de 2007 à 2009, la société CUIF avait produit un contrat d'assurance, conclu le 11 juillet 2006 avec la société CUIWH, dont l'objet était de garantir la bonne exécution du contrat conclu le même jour avec l'Office algérien interprofessionnel des céréales, ainsi que les factures correspondantes.
4. Elle a relevé qu'en vertu de ce contrat, la société CUIF devait assurer le contrôle à l'embarquement du poids, de la qualité et du conditionnement des produits, l'inspection des cales et des équipements du navire, la surveillance des opérations de chargement du produit, ainsi que le contrôle de la fumigation du produit chargé, pour un prix de 0,95 dollar américain par tonne de marchandise et que la responsabilité de la société était engagée en cas de manquements ou différences de poids, qualité et autres constatés lors du contrôle au débarquement et qu'en garantie de la bonne exécution de ses obligations, elle était tenue de déposer une caution bancaire d'un montant d'un million de dollars américains.
5. La cour a ensuite jugé que la société établissait, notamment par la production du rapport, précis et détaillé, d'une expertise réalisée à son initiative, que le transport maritime de céréales comportait de nombreux risques, tant quantitatifs que qualitatifs, qu'un contrôle effectué dans les règles de l'art ne pouvait lever que partiellement et qu'elle faisait valoir que l'obligation contractuelle de déposer une caution bancaire d'un montant d'un million de dollars américains avait seulement pour objet de garantir le paiement des sommes dues par la société à son client en exécution de la clause de responsabilité et non de supprimer, ni même de réduire, les risques qu'elle encourait du fait de cette responsabilité, laquelle était susceptible d'être engagée à hauteur de la valeur intégrale de chaque cargaison, soit en moyenne huit millions de dollars, ce que l'administration ne contestait pas. Elle en a conclu que la société CUIF justifiait de son intérêt à souscrire une police d'assurance en vue de couvrir ces risques, alors même que la souscription d'une telle police d'assurance n'était pas imposée par les stipulations du contrat conclu avec l'Office algérien interprofessionnel des céréales.
6. La cour a ajouté que la société faisait valoir que le refus de couvrir ces risques opposé, en raison de leur importance, par les courtiers en assurance et les assureurs qu'elle avait sollicités, l'avait conduite à conclure le 11 juillet 2006 un contrat d'assurance avec la société CUWH, qui avait accepté de garantir les risques afférents aux différences qualitatives et quantitatives constatées entre le chargement du navire et le débarquement et de mettre en place la garantie de bonne exécution prévue par les stipulations du contrat avec l'Office algérien interprofessionnel des céréales.
7. Pour refuser la déduction des charges en cause au motif que la réalité et la valeur des contreparties retirées par la société CUIF de ces prestations ne pouvaient être regardées comme établies, la cour a relevé, d'une part, que l'administration contestait l'exercice habituel par la société CUWH de la profession d'assureur et que la société CUIF n'apportait aucune justification de la capacité juridique et financière de cette société à lui fournir effectivement les prestations d'assurance prévues par le contrat et dont la rémunération, à hauteur de 0,30 dollar par tonne de céréales transportée, n'avait fait l'objet, d'ailleurs, d'aucun calcul fondé sur une évaluation du risque lors de sa conclusion et n'avait pas été révisée en fonction de la sinistralité constatée, d'autre part, que la circonstance que la société CUIF avait refacturé à la société CUWH les réfactions de prix mises à sa charge par l'OAIC en exécution de la convention qui les liait, et que cette dernière société s'en était acquittée, pour un montant très sensiblement inférieur au montant des primes reçues, n'était pas davantage de nature à établir la réalité de la prestation d'assurance et enfin, que s'il n'était pas contesté que la société CUWH avait garanti, à hauteur d'un million de dollars, la bonne exécution par la société CUIF de ses obligations contractées envers l'OAIC, la société CUIF n'apportait aucun élément de nature à établir la part revenant à la contrepartie ainsi retirée des sommes versées, qui correspondaient indistinctement à cette garantie et à l'assurance, et qui représentaient, à elles seules, comme l'administration le faisait valoir, plus de 30 % de la rémunération versée par l'Office algérien interprofessionnel des céréales.
8. En se déterminant de la sorte, alors que la société CUWH s'était effectivement acquittée de ses obligations contractuelles, qu'il n'était pas démontré que le montant des primes d'assurance était excessif au regard des conditions du marché et qu'il n'y avait aucune raison de rémunérer séparément le coût de la garantie, qui n'est qu'une modalité d'exécution de la responsabilité contractuelle de la société CUIF, couverte par le contrat d'assurance qu'elle avait conclu avec la société CUWH, la cour a dénaturé les pièces du dossier.
9. Il s'ensuit, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la société CUIF est fondée à demander l'annulation des articles 1er à 4 de l'arrêt attaqué.
Sur le règlement de l'affaire au fond :
10. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond.
11. Les requêtes d'appel du ministre présentent à juger des questions identiques. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une même décision.
12. En premier lieu, aux termes de l'article 238 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " (...) les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. / Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies. (...) ".
13 Pour l'application de ces dispositions, la charge de la preuve de ce que le bénéficiaire des rémunérations en cause est soumis à un régime fiscal privilégié incombe à l'administration. Il lui appartient à cet égard d'apporter tous éléments circonstanciés non seulement sur le taux d'imposition, mais sur l'ensemble des modalités selon lesquelles des activités du type de celles qu'exerce ce bénéficiaire sont imposées dans le pays où il est domicilié ou établi. Le contribuable peut, de son côté, faire valoir, en réponse à l'administration, tous éléments propres à la situation du bénéficiaire en cause. Dans le cas où l'administration doit être regardée, au vu de l'ensemble des éléments ainsi produits par les parties, comme ayant établi que le bénéficiaire n'est pas imposable ou est assujetti à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont il aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, il appartient au contribuable d'apporter la preuve que les dépenses en cause correspondent à des opérations réelles et ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.
14. Si le ministre fait valoir que la société CUWH serait soumise en France, si elle y exerçait son activité, à une imposition au taux de 33,33 % sur les sommes versées par la société CUIF après déduction des charges exposées, alors qu'elle ne serait passible sur le territoire des Antilles néerlandaises où elle est établie, que d'un taux d'imposition variant entre 2,4 % et 6 % à raison de cette même activité, il n'apporte aucun élément circonstancié de nature à déterminer les modalités d'imposition, et en particulier d'assiette, applicables dans les Antilles néerlandaises à l'activité de la société CUWH. L'administration ne peut par suite être regardée comme rapportant la preuve, qui lui incombe, que la société CUWH serait soumise à un régime fiscal privilégié au sens des dispositions de l'article 238 A du code général des impôts. Il s'ensuit que les réintégrations de charges en litige ne pouvaient être fondées sur les dispositions de l'article 238 A du code général des impôts.
15. En deuxième lieu, le ministre fait valoir que l'administration était en droit de réintégrer les charges en litige dans le résultat de la société CUIF dans les conditions de droit commun du 1 de l'article 39 du même code.
16. Cependant, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 8 que la société CUIF produit des éléments suffisants quant à l'existence et la valeur de la contrepartie qu'elle a retirée des prestations assurées par la société CUWH et que l'administration n'apporte pas la preuve que ces charges seraient dépourvues de contrepartie pour le contribuable, qu'elles auraient une contrepartie dépourvue d'intérêt pour lui ou que la rémunération de cette contrepartie serait excessive et, dès lors, que ces charges ne seraient pas déductibles.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements qu'il conteste, le tribunal administratif de Rouen a fait droit aux demandes de la société CUIF.
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la société CUIF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er à 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 4 juin 2020 sont annulés.
Article 2 : Les requêtes présentées par le ministre des finances et des comptes publics devant la cour administrative d'appel de Douai sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera à la société Control Union Inspection France une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Control Union Inspection France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Délibéré à l'issue de la séance du 30 juin 2022 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Christian Fournier, conseiller d'Etat et M. Mathieu Le Coq, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 20 juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Mathieu Le Coq
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova