La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/07/2022 | FRANCE | N°457993

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 07 juillet 2022, 457993


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 octobre 2021, 25 avril et 4 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée Centre spécialités pharmaceutiques et la société Proveca Pharma Limited demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 septembre 2021 du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'économie, des finances et de la relance rejetant la demande d'inscription de la spécialité pharmaceut

ique Sialanar 320 mcg/ml, solution buvable, sur la liste des spécialités pharmace...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 octobre 2021, 25 avril et 4 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée Centre spécialités pharmaceutiques et la société Proveca Pharma Limited demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 6 septembre 2021 du ministre des solidarités et de la santé et du ministre de l'économie, des finances et de la relance rejetant la demande d'inscription de la spécialité pharmaceutique Sialanar 320 mcg/ml, solution buvable, sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale ;

2°) d'enjoindre aux ministres compétents d'inscrire cette spécialité sur la liste mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, au prix fabricant hors taxes de 315 euros par flacon, dans un délai de sept jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 2021-869 du 30 juin 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,

- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Centre spécialités pharmaceutiques et de la société Proveca Pharma Limited ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les spécialités pharmaceutiques ne peuvent être prises en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'elles sont dispensées en officine, que si elles figurent sur une liste établie, selon l'article R. 163-2 du même code, par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale.

2. Il ressort des pièces du dossier que la société Centre spécialités pharmaceutiques commercialise en France, pour le compte de la société Proveca Pharma Limited, titulaire de l'autorisation de mise sur le marché obtenue par une procédure européenne centralisée spécifique en vue d'un usage pédiatrique exclusif, la spécialité pharmaceutique Sialanar, 320 mcg / ml, solution buvable. La société Alloga France, qui commercialisait alors cette spécialité en France, a demandé l'inscription de cette spécialité sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables prévue à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques prévue à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, dans l'indication du traitement symptomatique de la sialorrhée sévère (salivation pathologique chronique) chez les enfants âgés de 3 ans et plus et les adolescents atteints de troubles neurologiques chroniques. Dans un avis du 3 octobre 2018, la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé a reconnu, d'une part, un service médical rendu modéré à la spécialité Sialanar dans l'indication, restreinte par rapport à celle de son autorisation de mise sur le marché, d'un traitement de deuxième intention après échec de la rééducation et, d'autre part, une absence d'amélioration du service médical rendu dans la prise en charge de la sialorrhée sévère de l'enfant à partir de 3 ans et de l'adolescent. Par une décision du 29 octobre 2019, les ministres ont inscrit la spécialité, dans l'indication préconisée par la commission de la transparence, sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques, mais non sur celle des spécialités pharmaceutiques remboursables. Par une décision n° 440246 du 7 juillet 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé la décision du 29 octobre 2019 et le rejet du recours gracieux formé à son encontre et enjoint aux ministres de réexaminer dans un délai de deux mois la demande d'inscription sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables. Par une décision du 6 septembre 2021, les ministres ont à nouveau refusé l'inscription de la spécialité Sialanar. Les sociétés Centre spécialités pharmaceutiques et Proveca Pharma Limited demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette nouvelle décision.

3. Il résulte des mentions de la décision attaquée que les ministres ont refusé l'inscription de la spécialité Sialanar au motif que le prix fabriquant hors taxe proposé par la société, de 315 euros, n'était pas justifié au regard des critères prévus aux I et II de l'article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale auxquels renvoie le 4° de l'article R. 163-5 du code de la sécurité, dès lors que la spécialité n'apportait pas d'amélioration du service médical rendu et que " le prix revendiqué (...) représenterait, a minima, un surcoût de 54 % par rapport à l'utilisation du comparateur ", à savoir les patchs de scopolamine commercialisés sous la dénomination de Scopoderm.

4. Aux termes du I de l'article R. 163-5 du code de la sécurité sociale : " Ne peuvent être inscrits sur [cette liste], le cas échéant pour certaines de leurs indications seulement : / (...) 4° Les médicaments dont le prix proposé par l'entreprise ne serait pas justifié eu égard aux critères prévus au I et au II de l'article L. 162-16-4 ". Le I de ce dernier article prévoit que : " (...) La fixation de ce prix tient compte principalement de l'amélioration du service médical rendu par le médicament, le cas échéant des résultats de l'évaluation médico-économique, des prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente prévus ou constatés ainsi que des conditions prévisibles et réelles d'utilisation du médicament ". Il précise que ce prix comprend les marges prévues par la décision mentionnée à l'article L. 162-38, les taxes en vigueur et, le cas échéant, les honoraires de dispensation définis par la convention régissant les rapports entre les organismes d'assurance maladie et l'ensemble des pharmaciens titulaires d'officine. Le II de cet article prévoit que le prix de vente mentionné au I peut être fixé à un niveau inférieur ou baissé, par convention ou, à défaut, par décision du Comité économique des produits de santé, au regard d'au moins l'un des critères qu'il énumère.

5. En premier lieu, à la suite d'une annulation d'une décision prise sur une demande d'inscription sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables, il appartient aux ministres de se prononcer à nouveau, dans le respect de la chose jugée, sur la demande d'inscription au regard des circonstances de droit et de fait applicables à la date de leur nouvelle décision. Il leur revient, à cette fin, en cas de changement de circonstances de droit ou de fait, les conduisant à devoir procéder à une nouvelle instruction de la demande, de permettre à la société pétitionnaire de mettre préalablement à jour le dossier de sa demande.

6. En l'espèce, les ministres ont visé dans leur décision le 4° de l'article R. 163-5 du code de la sécurité sociale dans la rédaction résultant du décret du 30 juin 2021 relatif aux autorisations d'accès précoce et compassionnel de certains médicaments, qui renvoie tant au I qu'au II de l'article L. 162-16-4 du même code, alors qu'à la date de la demande de la société Centre spécialités pharmaceutiques et de la première décision prise par les ministres, il était uniquement renvoyé au I de cet article. Si les ministres n'ont pas proposé à la société de compléter le dossier de sa demande alors qu'ils étaient susceptibles de faire application d'un article dont la portée avait été modifiée, il ressort cependant des pièces du dossier qu'ils ne se sont, en l'espèce, pas fondés sur les critères du II du L. 162-16-4. Par suite, les sociétés requérantes ne peuvent utilement soutenir que la décision qu'elles attaquent aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière.

7. En second lieu, toutefois, il ressort des pièces du dossier que les patchs de scopolamine commercialisés sous le nom de Scopoderm sont utilisés en pratique courante, en-dehors des indications de leur autorisation de mise sur le marché, dans la prise en charge de la sialorrhée sévère de l'enfant à partir de 3 ans et de l'adolescent après échec de la rééducation et occupent ainsi la même place dans la stratégie thérapeutique que la spécialité Sialanar. Les ministres pouvaient dès lors la retenir comme un comparateur pertinent au sens de l'article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale. Il leur appartenait toutefois, pour apprécier le caractère justifié du prix proposé par la société requérante par rapport aux prix du médicament à même visée thérapeutique retenu, de déterminer, sur la base de critères objectifs et vérifiables, la méthode de comparaison des prix la plus adaptée aux caractéristiques de la spécialité en cause.

8. A ce titre, d'une part, pour déterminer le coût du traitement annuel de la spécialité Scopoderm, il ressort des pièces du dossier que les ministres ont retenu un prix de 21,15 euros pour une boîte de 5 patchs. Il n'est pas contesté que ce prix ne correspond pas à celui de la spécialité Scopoderm bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché en France, dont le titulaire est la société Glaxosmithkline, et qui représente plus de 99,92 % des boîtes de Scopoderm commercialisées sur le marché français, mais au prix fabricant hors taxe de cette spécialité telle qu'elle a été autorisée par les autorités sanitaires norvégiennes et n'est commercialisée en France que de manière résiduelle en vertu d'une autorisation d'importation parallèle. En opérant un tel choix, qui conduit à retenir un coût du traitement annuel retenu comme comparateur de 514,65 euros, au lieu de 604 euros dans l'autre cas, les ministres ne peuvent être regardés comme ayant retenu un critère de nature à leur permettre d'adopter la méthode de comparaison des prix la plus adaptée.

9. D'autre part, pour déterminer le coût du traitement annuel de Sialanar sur la base du prix proposé par la société Centre spécialités pharmaceutiques, les ministres ont retenu une durée de traitement de huit semaines, un poids moyen de 30 kg et une posologie moyenne de 0,12 mg de bromure de glycopyrronium / kg. Outre que les ministres ne justifient pas des raisons les ayant conduit à retenir cette posologie moyenne qui correspond, non à celle prévue par le résumé des caractéristiques du produit accompagnant l'autorisation de mise sur le marché, mais à celle, susceptible d'être plus élevée, observée dans le cadre d'un essai clinique sans lien avec les conditions prévisibles et réelles d'utilisation du médicament, il ressort des pièces du dossier que les ministres ont multiplié cette posologie, exprimée en milligrammes de bromure de glycopyrronium / kg, non par le prix d'un milligramme de bromure de glycopyrronium, soit 3,94 euros, mais par le prix d'un milligramme de glycopyrronium, soit 3,15 euros. Ce faisant, les ministres ne peuvent davantage être regardés comme ayant retenu des critères de nature à leur permettre d'adopter la méthode de comparaison des prix la plus adaptée.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les ministres ont entaché leur décision d'illégalité en se fondant, pour refuser à nouveau l'inscription de la spécialité Sialanar sur la liste des médicaments des spécialités pharmaceutiques remboursables, sur le 4° de l'article R. 163-5 du code de la sécurité sociale. Les sociétés requérantes sont ainsi fondées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur requête, à demander l'annulation de la décision qu'elles attaquent.

11. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de la santé et de la prévention et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de réexaminer, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, la demande d'inscription de la spécialité Sialanar, dans l'indication du traitement symptomatique de la sialorrhée sévère chez les enfants âgés de 3 ans et plus et les adolescents atteints de troubles neurologiques chroniques, sur la liste des spécialités pharmaceutiques mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 3 000 euros à verser à la société Centre spécialités pharmaceutiques et à la société Proveca Pharma Limited au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La décision du 6 septembre 2021 des ministres des solidarités et de la santé et de l'économie, des finances et de la relance est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de la santé et de la prévention et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de réexaminer, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, la demande d'inscription de la spécialité Sialanar, dans l'indication du traitement symptomatique de la sialorrhée sévère chez les enfants âgés de 3 ans et plus et les adolescents atteints de troubles neurologiques chroniques, sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale.

Article 3 : L'Etat versera une somme globale de 3 000 euros à la société Centre spécialités pharmaceutiques et à la société Proveca Pharma Limited au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Centre spécialités pharmaceutiques, première dénommée pour les deux sociétés requérantes, au ministre de la santé et de la prévention et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la section du rapport et des études.

Délibéré à l'issue de la séance du 22 juin 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; Mme Carine Soulay, Mme Sophie-Justine Lieber, M. Yves Doutriaux, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, conseillers d'Etat et Mme Manon Chonavel, auditrice-rapporteure.

Rendu le 7 juillet 2022.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :

Signé : Mme Manon Chonavel

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 457993
Date de la décision : 07/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 jui. 2022, n° 457993
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Manon Chonavel
Rapporteur public ?: M. Arnaud Skzryerbak
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:457993.20220707
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award