Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 17 juin 2020, 24 septembre 2021 et 13 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur sa demande tendant, d'une part, à ce que soient abrogées les dispositions des notes de service n° DGAL/SDSPA/SDSSA/N2012-8056 du 13 mars 2012 du directeur général de l'alimentation et n° DGAL/SDSSA/SDSPA/N2012-8191 du 26 septembre 2012 du directeur général adjoint de l'alimentation, chef du service de la coordination des actions sanitaires, en tant qu'elles ne prévoient pas la traçabilité parfaite des viandes issues d'abattages réalisés sans étourdissement et, d'autre part, à ce que soient adoptées des mesures réglementaires en vue d'assurer cette traçabilité ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation de procéder à cette abrogation et à cette adoption ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 9 ;
- le règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) n° 2092/91 ;
- le règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort ;
- le règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires, modifiant les règlements (CE) n° 1924/2006 et (CE) n° 925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) n° 08/2004 de la Commission ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2011-2006 du 28 décembre 2011 ;
- l'arrêté du 28 décembre 2011 relatif aux conditions d'autorisation des établissements d'abattage à déroger à l'obligation d'étourdissement des animaux ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 26 février 2019, Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA), n° C-497/17 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent-Xavier Simonel, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de l'association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article 1er du décret du 28 décembre 2011 fixant les conditions d'autorisation des établissements d'abattage à déroger à l'obligation d'étourdissement des animaux a complété l'article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime par un III fixant les conditions relatives au matériel, au personnel, aux procédures et au système d'enregistrements devant être remplies, à partir du 1er juillet 2012, pour l'obtention de l'autorisation préalable dont doivent disposer les abattoirs au sein desquels sont effectuées, par dérogation en vue de la pratique de l'abattage rituel, des opérations d'abattage sans étourdissement. Les modalités d'application de ces dispositions ainsi que de celles de l'arrêté du 28 décembre 2011 relatif aux mêmes conditions d'autorisation dérogatoire ont été présentées par la note de service n° DGAL/SDSPA/SDSSA/N2012-8056 du 13 mars 2012 (ordre de service d'inspection) du directeur général de l'alimentation. Ces modalités ont fait l'objet, également, de la note de service n° DGAL/SDSSA/SDSPA/N2012-8191 du 26 septembre 2012 (ordre de méthode) du directeur général adjoint de l'alimentation, chef du service de la coordination des actions sanitaires, publiant un tableau de questions et de réponses, dont celle figurant sous le n° 57 précise : " A partir du moment où l'abattage rituel de l'animal peut être justifié par la commande ou la vente d'une partie de la carcasse (carcasse, demi carcasse, quartier ou abats) sur le marché rituel, l'utilisation du reste de la carcasse est autorisée dans le circuit conventionnel. Il ne s'agit pas d'identifier le mode d'abattage sur les documents de vente (ce n'est pas un étiquetage). De même, les carcasses abattues sans étourdissement mais non-acceptées lors de l'examen rituel peuvent être destinées au marché conventionnel ".
2. L'association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur sa demande en date du 19 février 2020 tendant, d'une part, à l'adoption des mesures réglementaires assurant la traçabilité, à l'intention du consommateur final, des viandes issues d'abattages réalisés sans étourdissement et, d'autre part, à l'abrogation des notes de service mentionnées au point précédent en tant qu'elles ne prévoient pas cette traçabilité. Au vu des moyens que soulève l'association requérante, ses conclusions doivent être regardées comme dirigées contre le refus, d'une part, d'abroger le E du II et l'annexe I de la note de service du 13 mars 2012 ainsi que les points n° 51 à n° 54, n° 56, n° 57 et n° 59 de la note de service du 26 septembre 2012, en tant que ces dispositions divisibles n'imposent pas que le système d'enregistrements applicable à l'abattage rituel soit assorti d'un processus de traçabilité assurant l'information du consommateur final sur les viandes issues des abattages à finalité rituelle initiale, pratiqués à ce titre sans étourdissement, qui sont finalement distribuées sur le marché non-rituel et, d'autre part, d'adopter les mesures réglementaires prescrivant un tel processus de traçabilité.
3. Aux termes de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. / 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Aux termes de l'article 4 du règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort : " 1. Les animaux sont mis à mort uniquement après étourdissement selon les méthodes et les prescriptions spécifiques relatives à leur application exposée à l'annexe I. (...) / (...) / 4. Pour les animaux faisant l'objet de méthodes particulières d'abattage prescrites par des rites religieux, les prescriptions visées au paragraphe 1 ne sont pas d'application pour autant que l'abattage ait lieu dans un abattoir ". Aux termes de l'article R. 214-64 du code rural et de la pêche maritime : " I.- Au sens de la présente section et des textes pris pour son application, on entend par : (...) / 5° " Etourdissement " : tout procédé qui, appliqué à un animal, le plonge immédiatement dans un état d'inconscience. Lorsque ce procédé permet un état d'inconscience réversible, la mise à mort de l'animal doit intervenir pendant l'inconscience de celui-ci ; / 6° " Mise à mort " : tout procédé qui cause la mort d'un animal ; / 7° " Abattage " : le fait de mettre à mort un animal par saignée. / (...) ". Aux termes de l'article R. 214-70 du même code : " I. - L'étourdissement des animaux est obligatoire avant l'abattage ou la mise à mort, à l'exception des cas suivants : / 1° Si cet étourdissement n'est pas compatible avec la pratique de l'abattage rituel ; / (...). / III. - Un abattoir ne peut mettre en œuvre la dérogation prévue au 1° du I que s'il y est préalablement autorisé. / L'autorisation est accordée aux abattoirs qui justifient de la présence d'un matériel adapté et d'un personnel dûment formé, de procédures garantissant des cadences et un niveau d'hygiène adaptés à cette technique d'abattage ainsi que d'un système d'enregistrements permettant de vérifier que l'usage de la dérogation correspond à des commandes commerciales qui le nécessitent. / (...) ".
5. En premier lieu, les dispositions du code rural et de la pêche maritime citées au point 4 ont été édictées, conformément aux dispositions de l'article 4 du règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 citées au même point, dans le but de concilier, dans le respect du principe de laïcité qui impose que la République garantisse le libre exercice des cultes, les objectifs de police sanitaire et l'égal respect des croyances et traditions religieuses, en vue d'assurer, en autorisant à titre dérogatoire la pratique de l'abattage rituel par mise à mort de l'animal sans étourdissement, le respect effectif de la liberté de religion garantie par les stipulations de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, eu égard à l'objectif qu'elles poursuivent, ces stipulations n'imposent pas à l'Etat de rendre obligatoires des mesures de traçabilité, notamment par étiquetage, en vue de garantir à certains consommateurs finals qu'ils ne consomment pas des viandes ou des produits carnés issus d'abattages pratiqués sans étourdissement et, par suite, l'association OABA ne peut pas les invoquer pour demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.
6. En second lieu, l'association OABA, qui ne se prévaut d'aucune conviction religieuse reposant sur la prohibition de la consommation des viandes ou des produits carnés issus d'abattages pratiqués sans étourdissement, ne peut pas utilement invoquer le principe de laïcité pour demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.
7. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, que la requête de l'association OABA ne peut qu'être rejetée, ensemble ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs (OABA) et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et à l'association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes.
Délibéré à l'issue de la séance du 8 juin 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Guillaume Goulard, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. Stéphane Verclytte, M. Christian Fournier, M. Mathieu Herondart, ; M. Hervé Cassagnabère, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat ; M. Laurent-Xavier Simonel, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 1er juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Laurent-Xavier Simonel
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin