Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux autres mémoires, enregistrés les 31 août 2020, 4 août 2021 et 13 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Groupe Consultant en Gestion Financière Internationale (CGFI) et M. B... A... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 3 juillet 2020 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à leur encontre, chacun, une sanction pécuniaire de 50 000 euros et une interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers d'une durée de 5 ans, ordonné la publication de la décision sur le site Internet de l'Autorité des marchés financiers et fixé à 5 ans à compter de la date de la décision la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer cette décision en annulant l'interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers pendant cinq années prononcée à leur encontre ou en en réduisant la durée ;
3°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code monétaire et financier ;
- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la société Groupe CGFI et autre et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du I de l'article L. 541-1 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits reprochés : " Les conseillers en investissements financiers sont les personnes exerçant à titre de profession habituelle les activités suivantes : 1° Le conseil en investissement mentionné au 5 de l'article L. 321-1. (...) ". Le 2° de l'article L. 541-8-1 du même code dispose que les conseillers en investissements financiers doivent : " Exercer leur activité, dans les limites autorisées par leur statut, avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent aux mieux des intérêts de leurs clients ". Le 4° de l'article L. 541-8-1 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la même date, dispose que les conseillers en investissement doivent " s'enquérir auprès de leurs clients ou de leurs clients potentiels, avant de formuler un conseil mentionné au I de l'article L. 541-1, de leurs connaissances et de leur expérience en matière d'investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs d'investissement, de manière à pouvoir leur recommander les opérations, instruments et services adaptés à leur situation... ". Le 5° de l'article L. 541-8-1 prévoit que : " Les conseillers en investissements financiers doivent : / Communiquer aux clients d'une manière appropriée (...) les informations utiles à la prise de décision par ces clients ainsi que celles concernant les modalités de leur rémunération, notamment la tarification de leurs prestations. " L'article L. 541-6 énonce que : " Un conseiller en investissements financiers ne peut [...] recevoir [de ses clients] d'autres fonds que ceux destinés à rémunérer son activité ". Aux termes de l'article 325-5 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, dans sa version en vigueur : " Toutes les informations, y compris à caractère promotionnel, adressées par un conseiller en investissements financiers, présentent un caractère exact, clair et non trompeur. ". Enfin, en vertu de l'article 143-3 du même règlement général, dans sa rédaction en vigueur : " Les personnes contrôlées apportent leur concours avec diligence et loyauté. "
2. Il résulte de l'instruction que la société CGFI, société par actions simplifiée créée en 1995 et dirigée par son président et associé unique, M. A..., exerçant l'activité de conseil en investissements financiers, a fait l'objet d'un contrôle ouvert par le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) le 17 octobre 2017, sur le fondement de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier, et que le collège de l'Autorité des marchés financiers a, au terme de cette enquête, décidé de notifier des griefs à la société et à son président. Par une décision du 3 juillet 2020, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a retenu que la société CGFI avait commis plusieurs manquements aux obligations applicables aux conseillers en investissements financiers résultant des articles L. 541-1 et suivants précités du code monétaire et financier et du règlement général de l'AMF, dans leur rédaction alors applicable, et manqué à son obligation de diligence et de loyauté à l'égard des contrôleurs de l'AMF, et estimé que l'ensemble des manquements retenus à l'encontre de la société CGFI étaient imputables à son président, M. B... A.... Elle a prononcé à leur encontre, chacun, une sanction pécuniaire de 50 000 euros et une interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers d'une durée de cinq ans, et a ordonné la publication de sa décision sur le site Internet de l'AMF et fixé à cinq ans la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme. La société CGFI et M. A... demandent au Conseil d'Etat l'annulation de cette décision, le président de l'Autorité des marchés financiers demandant, par un recours incident, que la sanction pécuniaire infligée à M. A... soit portée à 100 000 euros.
Sur la régularité de la décision attaquée :
3. Aux termes du troisième alinéa du I de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier : " Un membre du collège est convoqué à l'audience. Il y assiste sans voix délibérative. Il peut être assisté ou représenté par les services de l'Autorité des marchés financiers. Il peut présenter des observations au soutien des griefs notifiés et proposer une sanction ".
4. Il en résulte que la faculté ainsi ouverte à un membre du collège ayant pris part à la phase d'instruction préalable à l'instance disciplinaire de présenter des observations et de proposer une sanction doit être regardée comme celle d'émettre un avis, qui ne lie la commission des sanctions ni quant au principe même du prononcé d'une sanction, ni quant au quantum de celle-ci. Eu égard au caractère et aux modalités de la procédure suivie devant la commission des sanctions, et notamment, d'une part, aux dispositions de l'article R.621-39 du code monétaire et financier, qui prévoient que le rapport établi par le rapporteur désigné par le président de la commission des sanctions est communiqué à la personne mise en cause, qui dispose d'un délai de quinze jours francs à partir de la réception de sa convocation par la commission des sanctions pour faire connaître ses observations par écrit sur ce rapport, et d'autre part, à la possibilité offerte aux personnes poursuivies de s'exprimer en dernier lieu, ni le caractère contradictoire de la procédure ni le principe des droits de la défense rappelés par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'impliquent, contrairement à ce qui est soutenu, que la proposition de sanction formulée lors de l'audience par le membre du collège fasse l'objet d'un rapport et soit communiquée préalablement aux personnes poursuivies. Il suit de là que moyen tiré de ce que la procédure aurait été irrégulière faute de communication aux requérants préalablement à l'audience, des observations du membre du collège, doit être écarté.
Sur le bien-fondé de la décision attaquée :
5. Aux termes du III de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable aux sanctions en litige : " Les sanctions applicables sont : / a) Pour les personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12°, 15° à 17° du II de l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis, la radiation du registre mentionné à l'article L. 546-1 ; la commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au fonds de garantie auquel est affiliée la personne sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public. / b) Pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° à 17° du II de l'article L. 621-9, ou exerçant des fonctions dirigeantes, au sens de l'article L. 533-25, au sein de l'une de ces personnes, l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou définitif de la carte professionnelle, l'interdiction temporaire de négocier pour leur compte propre, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des activités ou de l'exercice des fonctions de gestion au sein d'une personne mentionnée aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° à 17° du II de l'article L. 621-9. La commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 15 millions d'euros ou au décuple du montant de l'avantage retiré du manquement si ce montant peut être déterminé, en cas de pratiques mentionnées au II du présent article. Les sommes sont versées au fonds de garantie auquel est affiliée la personne morale sous l'autorité ou pour le compte de qui agit la personne sanctionnée ou, à défaut, au Trésor public ". Aux termes de l'article L. 621-15, III ter du code monétaire et financier, applicable aux sanctions en litige : " Dans la mise en œuvre des sanctions mentionnées au III (...), il est tenu compte notamment : de la gravité et de la durée du manquement ; / de la qualité et du degré d'implication de la personne en cause ; / de la situation et de la capacité financières de la personne en cause, au vu notamment de son patrimoine et, s'agissant d'une personne physique de ses revenus annuels, s'agissant d'une personne morale de son chiffre d'affaires total ; / de l'importance soit des gains ou avantages obtenus, soit des pertes ou coûts évités par la personne en cause, dans la mesure où ils peuvent être déterminés ; / des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées ; / du degré de coopération avec l'Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l'avantage retiré par cette personne ; / des manquements commis précédemment par la personne en cause ; / de toute circonstance propre à la personne en cause, notamment des mesures prises par elle pour remédier aux dysfonctionnements constatés, provoqués par le manquement qui lui est imputable et le cas échéant pour réparer les préjudices causés aux tiers, ainsi que pour éviter toute réitération du manquement ".
6. La commission des sanctions a retenu d'une part, que la société CGFI et M. A..., son président, s'étaient affranchis de leur obligation de respecter les règles de bonne conduite des conseillers en investissements financiers, en conseillant entre le 1er janvier 2015 et le 31 mars 2018 à la Congrégation des sœurs de la charité de Nevers, des investissements très spéculatifs inadaptés tant aux connaissances de la Congrégation qu'à sa situation financière et à ses objectifs d'investissement, en méconnaissance des dispositions du 4° de l'article L. 541-8-1 précitées, d'autre part, qu'en ne remettant pas à la Congrégation, ni à la Société coopérative agricole d'élevage du sud-ouest dès le début des relations avec ces deux clientes, divers documents d'information, ils ont méconnu les dispositions de l'article 325-3 du règlement général de l'AMF et qu'en n'informant pas ces mêmes clientes des modalités et du montant des commissions perçues sur les investissements effectués, ils ont méconnu les dispositions précitées du 5° de l'article L. 541-8-5. Il est également reproché à la société et à son président, la méconnaissance de l'obligation de diffuser des informations exactes, claires et non trompeuses dans leurs relations avec plusieurs autres clients, en violation de l'article 325-5 du règlement général de l'AMF précité. La commission des sanctions a également retenu la violation des dispositions de l'article L. 541-6 et celles du 2° de l'article L. 541-8-1 précitées, par l'encaissement des fonds de six clients pour un montant de 660 000 euros, qui ne rémunéraient pas leur activité. Enfin, la commission des sanctions a retenu un manquement aux dispositions de l'article 143-3 du règlement général de l'AMF précité en raison d'un manque de diligence et de loyauté à l'égard des contrôleurs auxquels, ont été remis des documents antidatés. Ces faits, qui ne sont pas contestés, constituent des manquements répétés aux obligations inhérentes à l'exercice de l'activité de conseiller en investissements financiers, sur une durée de plus trois ans. Eu égard à la nature de ces manquements, et à la gravité de certains d'entre eux, le moyen tiré de ce que la sanction prononcée serait excessive et non proportionnée, notamment s'agissant de l'interdiction d'exercice de cinq années qui, au vu de l'âge de M. A..., a pour effet de lui faire cesser définitivement l'activité en cause, doit être écarté.
Sur les conclusions du recours incident présenté par le président de l'Autorité des marchés financiers :
7. En prononçant, eu égard à ce qui a été dit au point 6 et et compte tenu des gains financiers limités tirés de ces manquements, de l'absence de pertes pour les tiers et de la situation et la capacité financières de M. A..., appréciées au regard de son revenu imposable pour 2019 de 52 382 euros et des éléments patrimoniaux présents dans sa fiche de renseignement de solvabilité, une sanction pécuniaire de 50 000 euros à l'encontre de M. A..., la commission des sanctions de l'AMF n'a pas commis d'erreur d'appréciation ni infligé à M. A... une sanction insuffisamment sévère, la circonstance que M. A... dispose d'actifs liquides d'un montant de 157 596 euros, mentionnés dans sa fiche de renseignement de solvabilité mais non cités par la commission, ne suffisant pas à remettre en cause cette appréciation. Il en résulte que les conclusions présentées par le président de l'Autorité des marchés financiers doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Autorité des marchés financiers qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société CGFI et de M. A... une somme de 1 000 euros à verser, chacun, à l'Autorité des marchés financiers, au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société CGFI et de M. A..., ainsi que le recours incident du président de l'Autorité des marchés financiers, sont rejetés.
Article 2 : La société CGFI et M. A... verseront à l'Autorité des marchés financiers, chacun la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à la SAS Groupe Consultant en Gestion Financière Internationale (CGFI) et à l'Autorité des marchés financiers.
Copie en sera transmise au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 mai 2022 où siégeaient : M. Cyril Roger-Lacan, assesseur, présidant ; Mme Suzanne von Coester, conseillère d'Etat et Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 17 juin 2022.
Le président :
Signé : M. Cyril Roger-Lacan
La rapporteure :
Signé : Mme Carine Chevrier
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse