Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 juin 2021, 22 septembre 2021 et 29 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées, Nature en Occitanie, Nature Comminges, France Nature Environnement, Comité écologique ariégeois et Groupe ornithologique du Roussillon demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 avril 2021 par laquelle la ministre de la transition écologique a refusé de prendre un arrêté suspendant la chasse du grand tétras sur l'ensemble du territoire métropolitain pour une durée de cinq ans ;
2°) d'enjoindre à la ministre de la transition écologique de prendre un arrêté suspendant la chasse du grand tétras sur l'ensemble du territoire métropolitain pour une durée de cinq ans, dans un délai d'un mois, assorti d'une astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté modifié du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Calothy, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Les associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées, Nature en Occitanie, Nature Comminges, France Nature Environnement, Comité écologique ariégeois et Groupe ornithologique du Roussillon demandent l'annulation pour excès de pouvoir du refus implicite opposé à leur demande tendant à ce que le ministre chargé de la chasse prenne, sur le fondement de l'article R. 424-14 du code de l'environnement, un arrêté suspendant la chasse du grand tétras sur le territoire métropolitain pour une durée de cinq ans.
2. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à cette demande réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de prendre un tel arrêté de suspension. Il s'ensuit que, lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation d'un tel refus, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier sa légalité au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.
Sur le cadre juridique :
3. Si, en vertu du 1 de l'article 7 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, les espèces énumérées dans la partie B de l'annexe II de cette directive peuvent faire l'objet d'actes de chasse dans le cadre des législations nationales, il appartient aux Etats membres de veiller à ce que la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution. Aux termes du 4 de l'article 7 de la directive : " Les États membres s'assurent que la pratique de la chasse, y compris le cas échéant la fauconnerie, telle qu'elle découle de l'application des mesures nationales en vigueur, respecte les principes d'une utilisation raisonnée et d'une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d'oiseaux concernées, et que cette pratique soit compatible, en ce qui concerne la population de ces espèces, notamment des espèces migratrices, avec les dispositions découlant de l'article 2 ". Selon l'article 2 de la directive, les Etats membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population des espèces d'oiseaux vivant à l'état sauvage " à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles ".
4. D'une part, en vertu de l'article L. 424-1 du code de l'environnement, le ministre chargé de la chasse prend des arrêtés pour " prévenir la destruction ou favoriser le repeuplement des oiseaux ou de toutes espèces de gibier ". Aux termes de l'article R. 424-1 de ce code : " Afin de favoriser la protection et le repeuplement du gibier, le préfet peut dans l'arrêté annuel prévu à l'article R. 424-6, pour une ou plusieurs espèces de gibier : 1° Interdire l'exercice de la chasse de ces espèces ou d'une catégorie de spécimen de ces espèces en vue de la reconstitution des populations ; (...) ". Aux termes de l'article R. 424-14 du même code : " Le ministre chargé de la chasse fixe la nomenclature du gibier d'eau et des oiseaux de passage autres que la caille. Il peut, par arrêté pris après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage, suspendre pendant une durée maximale de cinq ans la possibilité de chasser certaines espèces de gibier qui sont en mauvais état de conservation ".
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 425-16 du code de l'environnement : " La gestion adaptative des espèces consiste à ajuster régulièrement les prélèvements de ces espèces en fonction de l'état de conservation de leur population et de leur habitat, en s'appuyant sur les connaissances scientifiques relatives à ces populations. / La gestion adaptative repose sur un système de retour d'expérience régulier et contribue à l'amélioration constante des connaissances. Les modalités de cette gestion adaptative sont définies en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés. / Un décret détermine la liste des espèces soumises à gestion adaptative ". Il est précisé à l'article L. 425-17 du même code que " Le ministre chargé de l'environnement peut déterminer par arrêté le nombre maximal de spécimens des espèces mentionnées à l'article L. 425-16 à prélever annuellement ainsi que les conditions spécifiques de la chasse de ces espèces (...) ". Aux termes de l'article R. 425-20-2 du même code : " Les arrêtés mentionnés à l'article L. 425-17 sont pris après consultation du comité d'experts sur la gestion adaptative (...) ". Aux termes de l'article D. 421-51 de ce code : " Une instance d'expertise, dénommée "comité d'experts sur la gestion adaptative", fournit au ministre chargé de la chasse des recommandations en termes de prélèvements des espèces à partir des données, études et recherches portant sur ces espèces et leurs habitats. (...) / Le comité d'experts se fonde notamment sur les données d'inventaires et de prélèvements analysées par les établissements publics compétents ainsi que sur les travaux réalisés par les établissements de recherche et les organismes compétents en matière d'inventaire et de gestion de la faune sauvage ".
6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'il appartient au ministre chargé de la chasse, au vu, le cas échéant, des recommandations du comité d'experts sur la gestion adaptative, de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article R. 424-14 du code de l'environnement et de suspendre la possibilité de chasser une espèce d'oiseau vivant à l'état sauvage en mauvais état de conservation, lorsque les données scientifiques disponibles sur l'espèce et sa conservation ne permettent pas de s'assurer que la chasse est compatible avec le maintien de la population et respecte une régulation équilibrée de l'espèce du point de vue écologique.
Sur la légalité du refus litigieux :
7. S'il appartient aux seules autorités compétentes de déterminer, parmi l'ensemble des mesures qui sont susceptibles d'être prises, celles qui sont les mieux à même d'assurer le respect des obligations qui leur incombent et si le refus de prendre une mesure déterminée ne saurait en principe être regardé comme entaché d'illégalité au seul motif que la mise en œuvre de cette mesure serait susceptible de concourir au respect de ces obligations, le refus de prendre une mesure déterminée est illégal dans l'hypothèse où l'édiction de cette mesure se révèle nécessaire au respect des obligations qui s'imposent aux autorités compétentes et où l'abstention de la prendre fait obstacle à ce qu'elles puissent être respectées.
8. Il ressort des pièces du dossier que le grand tétras est un oiseau sédentaire qui figure parmi les espèces énumérées à la partie B de l'annexe II de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages et est mentionné dans l'arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée. En vertu de l'article D. 425-20-1 du code de l'environnement, le grand tétras est soumis, à compter de la saison cynégétique 2021-2022, au régime de la gestion adaptative défini par les dispositions citées au point 5. Il ressort toutefois des éléments versés au dossier, notamment de la stratégie nationale d'action en faveur du grand tétras (2012-2021), du rapport de l'observatoire des galliformes de montagne et du pré-rapport du comité d'experts sur la gestion adaptative, et il n'est pas contesté que le grand tétras se trouve en mauvais état de conservation sur l'ensemble du territoire métropolitain de la France et que sa population continue de décroître, en dépit des efforts entrepris, dans les départements dans lesquels l'espèce est susceptible d'être chassée.
9. Si, du fait de l'inscription du grand tétras parmi les espèces énumérées à la partie B de l'annexe II de la directive du 30 novembre 2009 et parmi celles mentionnées dans l'arrêté du 26 juin 1987, la chasse de cette espèce n'est pas interdite, il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'elle doit être réglementée de telle manière que le nombre d'oiseaux prélevés ne compromette pas les efforts de conservation de l'espèce dans son aire de distribution.
10. Or il ressort des éléments versés au dossier que la gravité de la situation de cette espèce en mauvais état de conservation impose, afin de respecter les obligations qui découlent des objectifs de la directive 2009/147/CE, de s'abstenir de tout prélèvement de grand tétras sur l'ensemble du territoire pendant une durée assez longue. S'il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de la gestion adaptative et pour la saison de chasse 2021-2022, la chasse du grand tétras n'a été autorisée dans aucun des six départements concernés par la chasse de cette espèce, du fait d'arrêtés préfectoraux fixant à zéro le quota des prélèvements autorisés, de tels arrêtés, par leur portée et leur durée, n'ont pas le même effet que la mesure de suspension susceptible d'être prise par le ministre chargé de la chasse sur le fondement de l'article R. 424-14 du code de l'environnement. A la date de la présente décision, compte tenu de la situation de l'espèce et dans l'attente d'éventuelles données nouvelles sur l'évolution de son état de conservation, il s'avère que la chasse du grand tétras n'est pas compatible avec le maintien de l'espèce et qu'il est nécessaire de la suspendre sur l'ensemble du territoire métropolitain de la France pendant une durée suffisante pour permettre la reconstitution de l'espèce dans les différents sites de son aire de distribution.
11. Il résulte de ce qui précède que les associations requérantes sont fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir du refus du ministre chargé de la chasse de prendre l'arrêté de suspension sollicité.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'exécution de la présente décision implique que le ministre chargé de la chasse prenne un arrêté de suspension de la chasse du grand tétras pour une durée de cinq ans. Une telle mesure pourra, le cas échéant, être abrogée avant son terme si de nouvelles données rendent compte d'une évolution suffisamment favorable de l'état de conservation du grand tétras. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au ministre de prendre un tel arrêté avant le 15 juillet 2022, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par les associations requérantes.
Sur les frais de l'instance :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros demandée par les associations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la ministre de la transition écologique du 12 avril 2021 est annulée.
Article 2: Il est enjoint au ministre chargé de la chasse de prendre avant le 15 juillet 2022 un arrêté suspendant la chasse du grand tétras sur l'ensemble du territoire métropolitain de la France pour une durée de cinq ans.
Article 3 : L'Etat versera la somme globale de 3 000 euros aux associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées, Nature en Occitanie, Nature Comminges, France Nature Environnement, Comité écologique ariégeois et Groupe ornithologique du Roussillon à FNE Midi-Pyrénées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association FNE Midi-Pyrénées, première dénommée pour l'ensemble des requérants, et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée à la section du rapport et des études.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 mai 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Denis Piveteau, Mme Isabelle de Silva, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, Mme Carine Chevrier, conseillers d'Etat et Mme Catherine Calothy, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 1er juin 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Calothy
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain