Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 8 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association LPO France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre de la transition écologique et solidaire du 31 juillet 2019 relatif à la chasse du courlis cendré en France métropolitaine pour la saison 2019-2020 ;
2°) d'enjoindre à la ministre de la transition écologique et solidaire de suspendre la chasse au courlis cendré dans l'attente de nouvelles informations concernant la dynamique des populations de courlis cendré hivernant en France et l'impact des prélèvements cynégétiques ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie conclu le 15 août 1996 ;
- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme B... A..., maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la fédération nationale des chasseurs ;
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 31 juillet 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire a autorisé la chasse du courlis cendré sur l'ensemble du territoire pendant la saison 2019-2020, différé au 15 septembre l'ouverture de la chasse de cette espèce en dehors d'une partie du domaine public maritime, fixé à 6 000 courlis cendrés le total des prélèvements autorisés et organisé un suivi des prélèvements, notamment par l'enregistrement de tout prélèvement en temps réel et par la fourniture d'une aile de l'oiseau prélevé sur un échantillon d'au moins 10 % des prélèvements. La LPO demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.
Sur l'intervention de la fédération nationale de la chasse :
2. La fédération nationale de la chasse justifie, eu égard à la nature et l'objet du litige, d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêté attaqué. Ainsi, son intervention est recevable.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué :
3. En vertu de l'article L. 424-1 du code de l'environnement, le ministre chargé de la chasse prend des arrêtés pour " prévenir la destruction ou favoriser le repeuplement des oiseaux ou de toutes espèces de gibier ". Aux termes de l'article R. 424-14 du même code : " Le ministre chargé de la chasse (...) peut, par arrêté pris après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage, suspendre pendant une durée maximale de cinq ans la possibilité de chasser certaines espèces de gibier qui sont en mauvais état de conservation ".
4. Si, en vertu du 1 de l'article 7 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, les espèces énumérées à l'annexe II de cette directive peuvent faire l'objet d'actes de chasse dans le cadre des législations nationales, il appartient aux Etats membres de veiller à ce que la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution. Les espèces énumérées dans la partie B de l'annexe II ne peuvent être chassées que dans les Etats membres pour lesquels elles sont mentionnées dans cette annexe. Aux termes du 4 de l'article 7 de la directive, " Les États membres s'assurent que la pratique de la chasse, y compris le cas échéant la fauconnerie, telle qu'elle découle de l'application des mesures nationales en vigueur, respecte les principes d'une utilisation raisonnée et d'une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d'oiseaux concernées, et que cette pratique soit compatible, en ce qui concerne la population de ces espèces, notamment des espèces migratrices, avec les dispositions découlant de l'article 2 ". Selon l'article 2 de la directive, les Etats membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population des espèces d'oiseaux vivant à l'état sauvage " à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles ".
5. Aux termes de l'article D. 421-51 du code de l'environnement, issu du décret du 5 mars 2019 relatif au comité d'experts sur la gestion adaptative : " Une instance d'expertise, dénommée "comité d'experts sur la gestion adaptative", fournit au ministre chargé de la chasse des recommandations en termes de prélèvements des espèces à partir des données, études et recherches portant sur ces espèces et leurs habitats. Lorsqu'elles concernent des oiseaux migrateurs, ces recommandations tiennent compte des populations dans l'ensemble de leur aire de répartition. / Le comité d'experts se fonde notamment sur les données d'inventaires et de prélèvements analysées par les établissements publics compétents ainsi que sur les travaux réalisés par les établissements de recherche et les organismes compétents en matière d'inventaire et de gestion de la faune sauvage. "
6. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'il appartient au ministre chargé de la chasse, au vu des recommandations du comité d'experts sur la gestion adaptative, de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article R. 424-14 du code de l'environnement et de suspendre la possibilité de chasser une espèce d'oiseau vivant à l'état sauvage en mauvais état de conservation, lorsque les données scientifiques disponibles sur l'espèce et sa conservation ne permettent pas de s'assurer que la chasse est compatible avec le maintien de la population et respecte une régulation équilibrée de l'espèce du point de vue écologique.
7. Il ressort des pièces du dossier que le courlis cendré (numenius arquata) figure parmi les espèces, énumérées à la partie B de l'annexe II à la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages. La chasse de cette espèce est interdite ou suspendue dans les autres Etats membres de l'Union européenne et avait été suspendue, en France, entre 2008 et 2012, avant d'y être à nouveau pratiquée après 2012 sur le domaine public maritime où vivent l'essentiel des populations de cet oiseau. Le courlis cendré est une espèce en mauvais état de conservation, classée dans la catégorie vulnérable au niveau européen sur la liste établie par l'union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
8. Par son avis du 13 mai 2019, le comité d'experts sur la gestion adaptative institué par les dispositions des articles D. 421-51 et suivants du code de l'environnement résultant du décret du 5 mars 2019, a souligné le mauvais état de conservation de l'espèce et fait état des lacunes importantes des connaissances et des carences des données scientifiques sur la démographie et la répartition spatiale de l'espèce, faisant obstacle à l'évaluation d'un niveau de prélèvement soutenable du courlis cendré en France.
9. Aucun élément scientifique sur l'espèce et sa conservation n'a été produit au dossier par le ministre pour établir que la chasse du courlis cendré, à la date de l'arrêté attaqué, aurait été compatible avec le maintien de la population et qu'elle aurait permis de respecter une régulation équilibrée de l'espèce du point de vue écologique. Si la fédération intervenante a produit une étude, réalisée en 2018, sur l'évaluation du moratoire de la chasse du courlis cendré, cette étude, dont disposait le comité d'experts sur la gestion adaptative, ne permet pas de répondre aux carences importantes dans les connaissances scientifiques sur l'espèce qui avaient été relevées par le comité.
10. Dans ces conditions, l'association LPO France est fondée à soutenir qu'en autorisant la chasse du courlis cendré, l'arrêté du 31 juillet 2019 qu'elle attaque méconnaît les dispositions précédemment citées du code de l'environnement et les objectifs de la directive du 30 novembre 2009 et à demander, pour ce motif et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, son annulation pour excès de pouvoir.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 911-1 du code de justice administrative :
11. Par un arrêté du 27 juillet 2020, le ministre de la transition écologique a suspendu, jusqu'au 30 juillet 2021, la chasse du courlis cendré sur l'ensemble du territoire métropolitain. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par l'association requérante.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la fédération nationale de la chasse est admise.
Article 2 : L'arrêté du ministre de la transition écologique et solidaire du 31 juillet 2019 est annulé.
Article 3 : Il n'y pas lieu de statuer sur les conclusions présentées par la requérante au titre de l'article L.911-1 du code de justice administrative.
Article 4 : L'Etat versera à l'association LPO France une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association LPO France, à la ministre de la transition écologique et à la fédération nationale des chasseurs.