Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 octobre 2020 et 18 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1091 du 27 août 2020 relatif à la gestion adaptative des espèces ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
- la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'association One Voice et à la SCP Spinosi, avocat de la Fédération nationale des chasseurs ;
Considérant ce qui suit :
1. L'association One Voice demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 27 août 2020 relatif à la gestion adaptative des espèces, qui précise notamment la nature des informations recueillies par les chasseurs lors des prélèvements de spécimens d'espèces soumises à gestion adaptative et les modalités de leur transmission en application de l'article L. 425-20 du code de l'environnement.
2. La Fédération nationale des chasseurs justifie d'un intérêt suffisant au maintien du décret attaqué. Par suite, son intervention en défense est recevable.
Sur la légalité externe du décret attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / (...) / II. - Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (...). / Au plus tard à la date de la mise à disposition prévue au premier alinéa du présent II, le public est informé, par voie électronique, des modalités de consultation retenues. / (...) / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation. / (...) / Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision. / (...) ".
4. En premier lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier que la consultation du public sur le projet de décret, organisée du 4 au 26 décembre 2019, s'accompagnait d'une note de présentation comportant la définition et les objectifs de la gestion adaptative des espèces, mais aussi les modalités de mise en œuvre du dispositif, s'agissant notamment de la transmission des données de suivi des espèces concernées de façon dématérialisée au moyen d'une application mobile, dite " Chass'adapt ", et du contrôle des prélèvements au moyen d'une autre application, dite " Chass'control ". D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le document mis en ligne sur le site internet du ministère de la transition écologique le 1er septembre 2020 expose de façon suffisante les motifs ayant conduit à l'intervention du décret attaqué.
5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que, postérieurement à la consultation du public organisée du 4 au 26 décembre 2019, le projet de décret a été modifié pour préciser les caractéristiques du traitement des données collectées et introduire la possibilité de consigner ces données sur un carnet en papier. Contrairement à ce qui est allégué par l'association requérante, ces modifications n'ont pas eu pour effet de dénaturer le projet sur lequel ont été initialement recueillies les observations du public et n'exigeaient pas l'organisation d'une nouvelle consultation.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
6. Aux termes de l'article L. 425-16 du code de l'environnement, issu de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement : " La gestion adaptative des espèces consiste à ajuster régulièrement les prélèvements de ces espèces en fonction de l'état de conservation de leur population et de leur habitat, en s'appuyant sur les connaissances scientifiques relatives à ces populations. / La gestion adaptative repose sur un système de retour d'expérience régulier et contribue à l'amélioration constante des connaissances. Les modalités de cette gestion adaptative sont définies en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés. / Un décret détermine la liste des espèces soumises à gestion adaptative ". Aux termes de l'article L. 425-17 du même code issu de la même loi: " Le ministre chargé de l'environnement peut déterminer annuellement le nombre maximal de spécimens des espèces soumises à gestion adaptative à prélever annuellement ainsi que les conditions spécifiques de la chasse de ces espèces. / Il peut également déterminer, sur proposition de la Fédération nationale des chasseurs et après avis de l'Office français de la biodiversité, le nombre maximal de spécimens qu'un chasseur est autorisé à prélever pendant une période et sur un territoire déterminé ". L'article L. 425-18 de ce code issu de la même loi prévoit l'obligation pour tout chasseur de " transmettre au fur et à mesure à la fédération départementale des chasseurs dont il est membre les données de prélèvements des spécimens d'espèces soumises à gestion adaptative qu'il a réalisés ". Enfin, en vertu de l'article D. 421-51 du code de l'environnement : " Une instance d'expertise, dénommée "comité d'experts sur la gestion adaptative", fournit au ministre chargé de la chasse des recommandations en termes de prélèvements des espèces à partir des données, études et recherches portant sur ces espèces et leurs habitats. Lorsqu'elles concernent des oiseaux migrateurs, ces recommandations tiennent compte des populations dans l'ensemble de leur aire de répartition. / Le comité d'experts se fonde notamment sur les données d'inventaires et de prélèvements analysées par les établissements publics compétents ainsi que sur les travaux réalisés par les établissements de recherche et les organismes compétents en matière d'inventaire et de gestion de la faune sauvage ".
7. En premier lieu, l'association requérante soutient que les dispositions de l'article 2 du décret attaqué insérant un nouvel article R. 425-20-2 dans le code de l'environnement sont entachées d'illégalité en ce qu'elles prévoient un avis simple du comité d'experts sur la gestion adaptative sur les projets d'arrêtés pris par le ministre chargé de l'environnement sur le fondement de l'article L. 425-17, sans exiger un avis conforme de ce comité. Toutefois, aucun texte ni aucun principe n'imposait au pouvoir réglementaire de prévoir que ce comité, dont le rôle est d'éclairer le ministre sur l'état des connaissances scientifiques et de lui fournir des recommandations en termes de prélèvements des espèces devrait émettre un avis conforme sur les projets d'arrêtés pris par le ministre chargé de l'environnement sur le fondement de l'article L. 425-17 du code de l'environnement.
8. En deuxième lieu, il résulte des dispositions citées au point 6 que la gestion adaptative vise à améliorer le recueil de données relatives aux espèces concernées en vue de renforcer les connaissances scientifiques sur leur état de conservation, leur habitat et leur population et, le cas échéant, d'ajuster leurs prélèvements. Si elles supposent la collecte fiable de données sur les espèces et les prélèvements et si l'article L. 425-18 fait obligation à tout chasseur de transmettre au fur et à mesure les informations sur les prélèvements qu'il a réalisés, ces dispositions n'imposent pas d'organiser une remontée d'informations en temps réel.
9. Si l'association One Voice soutient que l'article R. 425-20-3 issu de l'article 2 du décret attaqué méconnaîtrait les dispositions des articles L. 425-16 et L. 425-17 du code de l'environnement, faute de garantir de façon suffisamment fiable un suivi en temps réel des prélèvements effectués par les chasseurs, tant en raison des limites de l'application mobile que de la possibilité, laissée aux chasseurs par les dispositions contestées, d'enregistrer les prélèvements sur un carnet, il ressort des pièces du dossier que l'obligation déclarative faite aux chasseurs ainsi que l'obligation d'information des chasseurs en cas de suspension des prélèvements, notamment dans l'hypothèse où les plafonds sont atteints, donnent lieu, du fait notamment de l'application mobile dédiée à laquelle fait référence le décret attaqué, à des échanges d'informations qualifiés de " techniquement fonctionnels " par le comité d'experts sur la gestion adaptative dans son avis du 11 mars 2021 et que la possibilité laissée aux chasseurs qui ne disposent pas d'un téléphone permettant l'utilisation de l'application mobile dédiée de recourir à un carnet de prélèvements, qui leur est fourni par la fédération départementale en début de saison, est assortie de l'obligation de faire enregistrer les données dans l'application par l'intermédiaire de la fédération départementale, dans les 24 heures suivant leur saisie. Les modalités ainsi retenues par le décret attaqué pour organiser une collecte fiable d'informations sur les prélèvements des espèces soumises à gestion adaptative ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation. Par ailleurs, les modalités d'utilisation de l'application mobile, qui ne résultent pas du décret attaqué, et la circonstance que le décret ne comporte pas de disposition relative à son cahier des charges ne sauraient avoir d'incidence sur la légalité de ce décret.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 421-14 du code de l'environnement : " (...) / Dans l'exercice des missions qui lui sont attribuées par le présent code, la Fédération nationale des chasseurs collecte ou produit des données pour le compte du ministre chargé de l'environnement. Ces données sont transmises gratuitement à l'Office français de la biodiversité à sa demande et sans délai (...) ". Aux termes de l'article L. 421-5 du même code : " (...) / Dans l'exercice des missions qui leur sont attribuées par le présent code, les fédérations départementales des chasseurs collectent ou produisent des données pour le compte du ministre chargé de l'environnement. Ces données sont transmises gratuitement à l'Office français de la biodiversité à sa demande et sans délai. Elles collectent les données de prélèvements mentionnées à l'article L. 425-18 / (...) / Les fédérations peuvent recruter, pour l'exercice de leurs missions, des agents de développement mandatés à cet effet. Ceux-ci veillent notamment au respect du schéma départemental de gestion cynégétique sur tous les territoires où celui-ci est applicable. Dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, leurs constats font foi jusqu'à preuve contraire ". L'article L. 428-21 du code de l'environnement, tel que modifié par la loi du 24 juillet 2019 dispose que : " (...) / Par ailleurs, les agents de développement mentionnés au dernier alinéa de l'article L. 421-5 constatent par procès-verbaux, dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas du présent article, les infractions relatives au schéma départemental de gestion cynégétique, au plan de chasse et au permis de chasser, sur tous les territoires du département dont les propriétaires et détenteurs du droit de chasse sont adhérents d'une fédération, sauf opposition préalablement formée par ces derniers ". Il résulte de ces dispositions que le législateur a confié à la Fédération nationale des chasseurs et aux fédérations départementales des chasseurs, ainsi qu'à leurs agents mandatés à cet effet, la mission de collecter les données relatives aux prélèvements des espèces soumises à la gestion adaptative, ainsi que le contrôle de ces prélèvements. Le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait entaché d'illégalité le décret contesté en désignant ces fédérations et leurs agents pour exercer ces missions ne peut donc qu'être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la Fédération nationale des chasseurs, que l'association One Voice n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'elle attaque. Par suite, sa requête, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale des chasseurs est admise.
Article 2 : La requête de l'association One Voice est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association One Voice, à la Fédération nationale des chasseurs, à la Première ministre et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 mai 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Denis Piveteau, Mme Isabelle de Silva, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 1er juin 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Carine Chevrier
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain