Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 octobre 2020 et 18 février 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2020-1092 du 27 août 2020 relatif à la liste des espèces soumises à gestion adaptative ;
2°) d'enjoindre à la ministre de la transition écologique, à titre principal, de désinscrire la barge à queue noire, le courlis cendré, le grand-tétras et la tourterelle des bois de l'arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée et de les inscrire sur la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire prévue par l'arrêté du 29 octobre 2009 et, à titre subsidiaire, de prendre sur le fondement de l'article R. 424-14 du code de l'environnement des arrêtés suspendant la chasse de la barge à queue noire, du courlis cendré, du grand-tétras et de la tourterelle des bois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 ;
- l'arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée ;
- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l'association One Voice et à la SCP Spinosi, avocat de la Fédération nationale des chasseurs ;
Considérant ce qui suit :
1. L'association One Voice demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 27 août 2020 relatif à la liste des espèces soumises à gestion adaptative, qui insère au chapitre V du titre II du livre IV du code de l'environnement, après l'article R. 425-20, un nouvel article D. 425-20-1 fixant la liste des espèces soumises à gestion adaptative et mentionnant le grand-tétras, à compter de la saison cynégétique 2021-2022, la barge à queue noire, le courlis cendré et la tourterelle des bois.
2. La Fédération nationale des chasseurs justifie d'un intérêt suffisant au maintien du décret attaqué. Par suite, son intervention en défense est recevable.
Sur la légalité externe du décret attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. / (...) / II. - Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (...). / Au plus tard à la date de la mise à disposition prévue au premier alinéa du présent II, le public est informé, par voie électronique, des modalités de consultation retenues. / (...) / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation. / (...) / Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision. / (...) ".
4. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la consultation du public sur le projet de décret, organisée du 11 février au 3 mars 2020, s'accompagnait d'une note de présentation comportant la définition et les objectifs de la gestion adaptative des espèces, mais aussi les motifs du choix d'y soumettre le grand tétras, la barge à queue noire, le courlis cendré et la tourterelle des bois, qui sont des espèces susceptibles d'être chassées en France, inscrites en tant qu'espèces vulnérables et menacées sur les listes rouges de l'union internationale pour la conservation de la nature et soumises à des plans de gestion internationaux.
5. D'autre part, le défaut de publication de la synthèse des observations du public ainsi que des motifs du décret attaqué est sans incidence sur la légalité de ce décret.
6. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ne peut qu'être écarté.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
7. D'une part, si en vertu du 1 de l'article 7 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, les espèces énumérées dans la partie B de l'annexe II de cette directive peuvent faire l'objet d'actes de chasse dans le cadre des législations nationales, il appartient aux Etats membres de veiller à ce que la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution. Aux termes du 4 de l'article 7 de la directive : " Les États membres s'assurent que la pratique de la chasse, y compris le cas échéant la fauconnerie, telle qu'elle découle de l'application des mesures nationales en vigueur, respecte les principes d'une utilisation raisonnée et d'une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d'oiseaux concernées, et que cette pratique soit compatible, en ce qui concerne la population de ces espèces, notamment des espèces migratrices, avec les dispositions découlant de l'article 2 ". Selon l'article 2 de la directive, les Etats membres doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population des espèces d'oiseaux vivant à l'état sauvage " à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles ". Aux termes de l'article L. 420-1 du code de l'environnement : " La gestion durable du patrimoine faunique et de ses habitats est d'intérêt général. La pratique de la chasse, activité à caractère environnemental, culturel, social et économique, participe à cette gestion et contribue à l'équilibre entre le gibier, les milieux et les activités humaines en assurant un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique / (...) ".
8. D'autre part, aux termes de l'article L. 425-16 du code de l'environnement, issu de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement : " La gestion adaptative des espèces consiste à ajuster régulièrement les prélèvements de ces espèces en fonction de l'état de conservation de leur population et de leur habitat, en s'appuyant sur les connaissances scientifiques relatives à ces populations. / La gestion adaptative repose sur un système de retour d'expérience régulier et contribue à l'amélioration constante des connaissances. Les modalités de cette gestion adaptative sont définies en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés. / Un décret détermine la liste des espèces soumises à gestion adaptative ". Il est précisé à l'article L. 425-17 du même code, issu de la même loi, que : " Le ministre chargé de l'environnement peut déterminer annuellement le nombre maximal de spécimens des espèces soumises à gestion adaptative à prélever annuellement ainsi que les conditions spécifiques de la chasse de ces espèces. (...) ". Aux termes de l'article R. 425-20-2 du même code : " Les arrêtés mentionnés à l'article L. 425-17 sont pris après consultation du comité d'experts sur la gestion adaptative. (...) ". Aux termes de l'article D. 421-51 de ce code : " Une instance d'expertise, dénommée "comité d'experts sur la gestion adaptative", fournit au ministre chargé de la chasse des recommandations en termes de prélèvements des espèces à partir des données, études et recherches portant sur ces espèces et leurs habitats. Lorsqu'elles concernent des oiseaux migrateurs, ces recommandations tiennent compte des populations dans l'ensemble de leur aire de répartition. / Le comité d'experts se fonde notamment sur les données d'inventaires et de prélèvements analysées par les établissements publics compétents ainsi que sur les travaux réalisés par les établissements de recherche et les organismes compétents en matière d'inventaire et de gestion de la faune sauvage ".
9. Il ressort des pièces du dossier que le courlis cendré (Numenius arquata), la barge à queue noire (Limosa limosa), la tourterelle des bois (Streptopelia turtur) et le grand-tétras (Tetrao urogallus) figurent parmi les espèces énumérées en partie B de l'annexe II de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages et sont mentionnées à l'article 1er de l'arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée sur le territoire européen de la France et dans sa zone maritime. Il en résulte que leur chasse, qui n'est pas interdite, doit être réglementée de manière à ce que le nombre maximal d'oiseaux prélevés ne compromette pas les efforts de conservation de ces espèces dans leur aire de distribution.
10. En premier lieu, en soumettant au régime de la gestion adaptative le grand-tétras, la barge à queue noire, le courlis cendré et la tourterelle des bois, dont il n'est pas contesté qu'elles sont des espèces pour lesquelles les données scientifiques sont lacunaires, l'auteur du décret attaqué, dans le cadre du pouvoir d'appréciation dont il dispose pour déterminer les espèces soumises à ce régime cynégétique, a visé à améliorer le recueil de données les concernant, en vue de renforcer les connaissances scientifiques sur leur état de conservation, leur habitat et leur population et, le cas échéant, d'ajuster leurs prélèvements, et n'a pas méconnu l'article L. 425-16 du code de l'environnement.
11. En deuxième lieu, s'il n'est pas contesté qu'en l'état des connaissances scientifiques, ces quatre espèces sont en mauvais état de conservation, le décret attaqué n'a ni pour objet ni pour effet, par lui-même, d'autoriser d'éventuels prélèvements, une telle autorisation ne pouvant résulter, le cas échéant, que des arrêtés mentionnés aux articles L. 425-17 et R. 424-1 du code de l'environnement, lesquels peuvent fixer le niveau des prélèvements autorisés à zéro.
12. Il appartient en outre au ministre chargé de la chasse, au vu, le cas échéant, des recommandations du comité d'experts sur la gestion adaptative, de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article R. 424-14 du code de l'environnement et de suspendre la possibilité de chasser une espèce d'oiseau vivant à l'état sauvage en mauvais état de conservation, lorsque les données scientifiques disponibles sur l'espèce et sa conservation ne permettent pas de s'assurer que la chasse est compatible avec le maintien de la population et respecte une régulation équilibrée de l'espèce du point de vue écologique.
13. Par suite, les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait entaché d'une erreur d'appréciation et méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 420-1 du code de l'environnement et les objectifs fixés par les articles 2 et 7 de la directive du 30 novembre 2009 ne peuvent qu'être écartés.
14. Enfin, si l'association One Voice invoque les principes de précaution et de conciliation mentionnés aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement ainsi qu'à l'article 6 de la Charte de l'environnement, il résulte de ce qui a été dit précédemment que le décret attaqué, par lui-même, n'a ni pour objet ni pour effet de nuire à l'état de conservation des quatre espèces soumises à gestion adaptative. Par suite, les moyens soulevés doivent être écartés.
15. Il résulte de tout ce qui précède que l'association One Voice n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'elle attaque. Il s'ensuit que sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale des chasseurs est admise.
Article 2 : La requête de l'association One Voice est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association One Voice, à la Fédération nationale des chasseurs, à la Première ministre et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 mai 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Denis Piveteau, Mme Isabelle de Silva, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 1er juin 2022.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Carine Chevrier
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain