Vu la procédure suivante :
Mme C... D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Orléans d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 13 septembre 2021 par laquelle le directeur général du centre hospitalier de l'agglomération montargoise l'a suspendue de ses fonctions et d'enjoindre à l'administration de lui verser les traitements dus. Par une ordonnance n° 2103788 du 15 novembre 2021, le juge des référés a fait droit à sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 30 novembre et 15 décembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier de l'agglomération montargoise demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire en référé, de rejeter la demande de Mme D... ;
3°) de mettre à la charge de Mme D... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique.
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier de l'agglomération montargoise et à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif d'Orléans que, par une décision du 13 septembre 2021 entrant en vigueur le 15 septembre suivant, le directeur général du centre hospitalier de l'agglomération montargoise a suspendu Mme D..., infirmière titulaire en fonction au sein de cet établissement de santé, jusqu'à ce qu'elle satisfasse à l'obligation de vaccination contre la covid-19 prévue par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Le centre hospitalier de l'agglomération montargoise se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 15 novembre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a ordonné la suspension de l'exécution de cette décision, sur le fondement des dispositions, citées ci-dessus, de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.
3. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.
4. Pour prononcer la suspension de la décision contestée, le juge des référés a seulement relevé qu'en privant Mme D... de sa rémunération, cette décision préjudiciait de manière grave et immédiate à sa situation, sans répondre au moyen en défense, non inopérant, de l'établissement hospitalier relatif aux conséquences qu'un retour de l'intéressée pouvait avoir sur la sécurité sanitaire des personnes hospitalisées. L'ordonnance attaquée est ainsi entachée d'une insuffisance de motivation et doit, dès lors, être annulée.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, le centre hospitalier de l'agglomération montargoise est fondé à demander l'annulation qu'il attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au titre de la procédure de référé.
Sur le droit applicable :
7. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière applicable au litige et désormais repris aux articles L. 822-1 et suivants du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire en activité à droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 42 ".
8. D'autre part, aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique (...) ", et aux termes du III de l'article 14 de la même loi : " Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit (...) ".
9. Il résulte de ces dispositions que si le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent en question.
Sur la décision contestée en ce qu'elle prononce une suspension :
10. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de ce que la décision de suspension a été prise alors que Mme D... se trouvait en congé de maladie n'est pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.
11. Si Mme D... soutient également que cette décision est signée par une autorité qui n'avait pas compétence pour la prendre, qu'elle revêt le caractère d'une sanction sans que les garanties de la procédure disciplinaire aient été respectées, qu'elle méconnait le droit à la vie privée et familiale et le droit de propriété protégés par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel, aucun de ces autres moyens n'est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité en ce qu'elle prononce une suspension.
Sur la date d'entrée en vigueur de la décision contestée :
12. D'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 9 que le moyen tiré de ce que la décision prononçant la suspension de Mme D... a pris effet à compter du 15 septembre 2021, alors qu'elle était en congé de maladie depuis le 8 septembre précédent est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'entrée en vigueur de cette décision, en tant qu'elle précède la fin du congé de maladie.
13. D'autre part, il résulte de l'instruction que la décision litigieuse a pour effet de priver Mme D... de toute rémunération, préjudiciant ainsi de manière grave et immédiate à sa situation financière. Si le centre hospitalier soutient que le retour de l'intéressée est de nature à porter atteinte à l'intérêt général qui s'attache à la protection de la santé des personnes hospitalisées, cette circonstance n'est, compte tenu de ce que le congé de maladie de Mme D... a pour effet de l'éloigner de son lieu de travail, pas de nature à caractériser la nécessité d'exécuter immédiatement la décision contestée tant que l'intéressée est en congé de maladie. Par suite, la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie tant que Mme D... est en congé de maladie.
14. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 13 septembre 2021 suspendant Mme D... de ses fonctions jusqu'au terme de son congé de maladie débuté le 8 septembre 2021, ou de tout autre congé qui lui aurait été immédiatement consécutif.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme D... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de l'agglomération montargoise la somme de 1 000 euros à verser à Mme D..., au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 15 novembre 2021 du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans est annulée.
Article 2 : L'exécution de la décision du 13 septembre 2021 du directeur général du centre hospitalier de l'agglomération montargoise est suspendue jusqu'au terme du congé de maladie de Mme D... débuté le 8 septembre 2021, ou de tout autre congé qui lui aurait été immédiatement consécutif.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif d'Orléans est rejeté.
Article 4 : Le centre hospitalier de l'agglomération montargoise versera à Mme D... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de l'agglomération montargoise au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier de l'agglomération montargoise et à Mme C... D....
Copie en sera adressée au ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré à l'issue de la séance du 30 mars 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Denis Piveteau, M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, Mme Suzanne von Coester, Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Ségolène Cavaliere, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 11 mai 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Ségolène Cavaliere
La secrétaire :
Signé : Mme Anne-Lise Calvaire