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29/04/2022 | FRANCE | N°450885

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 29 avril 2022, 450885


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 21 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... L..., M. J... K..., Mme H... I..., Mme C... B..., Mme D... E... et l'association de soutien aux amoureux au ban public demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la circulaire n° 6245/SG du Premier ministre du 22 février 2021 relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en ce qu'elle ne prévoit pas de dérogation à l'interdiction d'entrée sur le territoire français pour les ressortissants

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Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 21 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... L..., M. J... K..., Mme H... I..., Mme C... B..., Mme D... E... et l'association de soutien aux amoureux au ban public demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la circulaire n° 6245/SG du Premier ministre du 22 février 2021 relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en ce qu'elle ne prévoit pas de dérogation à l'interdiction d'entrée sur le territoire français pour les ressortissants étrangers en vue de célébrer leur mariage en France avec un ressortissant français ;

2°) d'enjoindre aux ministres de prendre les mesures réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires liées à l'entrée en France des personnes étrangères en vue de se marier ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;

- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;

- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arno Klarsfeld, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de Mme A... L..., de M. J... K..., de Mme H... I..., de Mme C... B..., de Mme D... E... et de l'Association de soutien aux amoureux au ban public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. ". Aux termes de l'article L. 3131-13 du même code : " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé (...). " Aux termes de l'article L. 3131-15, dans sa version issue de la loi du 9 juillet 2020 : " I.- Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes (...) /; (...) III. Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".

2. La situation épidémiologique au cours des mois de septembre et d'octobre 2020 caractérisée par une accélération du rythme de l'épidémie de COVID-19, a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre 2020, sur le fondement de l'article L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. Le 29 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid 19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. L'état d'urgence sanitaire a été prorogé jusqu'au 16 février 2021 inclus, puis jusqu'au 1er juin 2021 inclus, respectivement par la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire et la loi du 15 février 2021 prorogeant l'état d'urgence sanitaire.

3. Aux termes de l'article 56-5 du décret du 29 octobre 2020, dans sa version en vigueur à la date à laquelle a été prise la circulaire contestée : " I. - Sont interdits, sauf s'ils sont fondés sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé, les déplacements de personnes : / 1° Entre le territoire métropolitain et un pays étranger autre que ceux de l'Union européenne, Andorre, l'Islande, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, Saint-Marin, le Saint-Siège ou la Suisse ; (...). " Les articles 6 et 11 du même décret prévoient notamment l'obligation pour les voyageurs à partir de l'âge de 11 ans de produire à l'embarquement le résultat négatif d'un examen biologique de dépistage virologique réalisé moins de 72 heures avant une traversée en transport maritime ou un vol depuis un pays étranger. L'article 24 encadre par ailleurs les mesures de mise en quarantaine ou de placement et de maintien en isolement à l'entrée sur le territoire national.

4. Le Premier ministre a déterminé, au point 2.1.2 de la circulaire n°6248/SG du 22 février 2021, les catégories de personnes qui, " arrivant aux frontières extérieures de l'espace européen, (...) sont autorisées à entrer sur le territoire métropolitain ". S'agissant de ressortissants de pays étrangers autres que ceux de l'Union européenne, Andorre, l'Islande, le Liechtenstein, Monaco, la Norvège, Saint-Marin, le Saint-Siège et la Suisse, et ne résidant pas à titre principal en France ou dans l'un de ces pays, les catégories suivantes sont mentionnées : " - ressortissant de pays tiers titulaire d'un visa de long séjour délivré au titre du regroupement familial ou de la réunification familiale des réfugiés, bénéficiaires de la protection subsidiaire et apatrides; / -professionnel de santé ou de recherche étranger concourant à la lutte contre la Covid-19 ou recruté en qualité de stagiaire associé; / - ressortissant de pays tiers disposant d'un VLS " Passeport Talent"; / -étudiant s'installant en France pour le second semestre universitaire dans le cadre d'un programme d'un établissement d'enseignement supérieur;/ - chercheur s'installant en France à l'invitation d'un laboratoire de recherche, pour des activités de recherche nécessitant impérativement une présence physique ". Hors ces dérogations " de droit ", la circulaire prévoit la possibilité de délivrance de laissez-passer pour les ressortissants étrangers devant se déplacer pour un motif impérieux.

5. Il ressort de ce qui précède que les ressortissants de pays tiers demandant à entrer en France en vue d'y célébrer leur mariage avec un Français, qu'ils disposent ou non d'un visa de court séjour, ne figurent pas parmi les dérogations précitées et doivent par conséquent solliciter l'octroi d'un laissez-passer pour entrer sur le territoire français.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

6. Si aucun principe, ni aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national, y compris pour se marier avec un Français, il appartient néanmoins à l'autorité administrative, dans le cadre normatif rappelé aux points 1 et 3, d'assurer la conciliation entre, d'une part, la préservation de la santé publique et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République, parmi lesquelles figurent la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789. En l'espèce, la situation sanitaire qui prévalait à la date d'adoption de la circulaire attaquée, marquée par le maintien d'une forte tension sur le système hospitalier et l'apparition de nouveaux variants plus contagieux du virus dans différentes zones géographiques, était de nature à justifier le maintien de restrictions d'entrée sur le territoire français, en particulier en provenance de pays à risque, y compris en ce qui concerne les personnes qui, en temps normal, pouvaient se voir délivrer un visa en vue de célébrer un mariage avec un ressortissant français en France. Elle ne pouvait toutefois justifier que, par principe, un refus soit systématiquement opposé à de telles demandes.

7. Il ressort des pièces du dossier que si la circulaire attaquée réserve la possibilité, pour les ressortissants d'un pays tiers ne figurant pas sur la liste fixée par l'article 56- 5 du décret du 29 octobre 2020, de justifier d'un motif impérieux pour entrer sur le territoire national, elle ne mentionne pas le mariage en France au titre des motifs susceptibles d'être pris en compte à ce titre et fait obstacle à ce qu'une demande de visa présentée à cette fin soit instruite. Dès lors, les requérants sont fondés à soutenir que la circulaire du Premier ministre porte une atteinte disproportionnée au droit au mariage et au respect de la vie privée et familiale. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, il y a lieu d'annuler la circulaire attaquée dans cette mesure.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

8. L'instruction n° 6248/SG du 22 février 2021 ayant été abrogée et remplacée par l'instruction n° 6268/SG du 19 mai 2021, elle-même abrogée et remplacée par l'instruction n° 6310/SG du 8 novembre 2021, laquelle prévoit explicitement que le mariage en France d'un ressortissant étranger, sur la base de la présentation d'un certificat de publication des bans et de non opposition, constitue un motif impérieux de nature à permettre l'instruction des demandes de délivrance d'un laissez-passer, les conclusions aux fins d'injonction présentées par les requérants sont devenues sans objet.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme L... et autres d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'instruction n° 6245/SG du Premier ministre du 22 février 2021 relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire est annulée en tant qu'elle ne mentionne pas le mariage en France avec un ressortissant français au titre des motifs impérieux susceptibles d'être pris en compte pour déroger à l'interdiction d'entrée sur le territoire français.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'injonction de la requête.

Article 3 : L'Etat versera une somme globale de 3 000 euros aux requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 5: La présente décision sera notifiée à Mme A... L..., premier requérant dénommé.

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'intérieur et au ministre des solidarités et de la santé

Délibéré à l'issue de la séance du 31 mars 2022 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Arno Klarsfeld, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 29 avril 2022.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. Arno Klarsfeld

La secrétaire :

Signé : Mme F... G...


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 450885
Date de la décision : 29/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 29 avr. 2022, n° 450885
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Arno Klarsfeld
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SCP MELKA-PRIGENT-DRUSCH

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:450885.20220429
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