Vu la procédure suivante :
Le comité régional d'étude et de protection et de l'aménagement de la nature en Normandie, le groupement régional des associations de protection de l'environnement en Normandie, le groupe mammalogique normand, le groupe ornithologique normand et l'association Manche nature, d'une part, la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, l'association Vieilles Maisons Françaises, l'association Belle Normandie Environnement, l'association pour le développement durable de l'Ouest ornais et de ses environs, l'association Promotion et défense des sites dans le parc Normandie-Maine, M. et Mme J..., M. et Mme G..., M. A... et M. O..., d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 13 mai 2016 par lequel le préfet de la Manche a autorisé la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 à exploiter un parc éolien composé de six aérogénérateurs sur le territoire des communes de Ger et de Saint-Georges-de-Rouelley. Par un jugement nos 1601797 et 1601813 du 18 octobre 2018, le tribunal administratif a annulé cet arrêté.
Par un arrêt nos 18NT04495-18NT04522 du 19 juin 2020, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appels de la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 et du ministre de la transition écologique et solidaire, annulé ce jugement et rejeté les requêtes présentées par le comité régional d'étude et de protection et de l'aménagement de la nature en Normandie et autres et la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et autres.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 18 août et 10 novembre 2020, 4 janvier et 15 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association pour le développement durable de l'Ouest ornais et de ses environs, l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, l'association Vieilles Maisons Françaises, l'association Belle Normandie Environnement, l'association Promotion et défense des sites dans le parc Normandie-Maine, M. et Mme J..., M. et Mme G..., M. A..., M. O..., l'association Groupement régional des associations de protection de l'environnement (GRAPPE) et le groupe mammalogique normand demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 et du ministre de la transition écologique et solidaire ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;
- la directive 2011/92/UE du Parlement et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'environnement ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- l'arrêté du 26 août 2011 du ministre en charge de l'environnement relatif à la remise en état et à la constitution des garanties financières pour les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent ;
- l'arrêté du 5 décembre 2006 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association pour le développement durable de l'Ouest Ornais et de ses environs et autres et à la SARL Meier-Bourdeau, Lecuyer et associés, avocat de la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 mars 2022, présentée par la société Vents d'Oc Centrale d'énergie renouvelable 16.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 a demandé le 31 juillet 2012 au préfet de la Manche l'autorisation d'exploiter un parc éolien comprenant six aérogénérateurs sur le territoire des communes de Saint-Georges-de-Rouelley et de Ger. Par un jugement du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 13 mai 2016 par lequel le préfet a délivré l'autorisation demandée. L'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs et autres demandent au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 19 juin 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, à la demande de la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16, annulé ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 333-1 du code de l'environnement dans sa version applicable au litige : " I.- Les parcs naturels régionaux concourent à la politique de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire, de développement économique et social et d'éducation et de formation du public. (...) Ils constituent un cadre privilégié des actions menées par les collectivités publiques en faveur de la préservation des paysages et du patrimoine naturel et culturel. / II.- La charte du parc détermine pour le territoire du parc naturel régional les orientations de protection, de mise en valeur et de développement et les mesures permettant de les mettre en œuvre. Elle comporte un plan élaboré à partir d'un inventaire du patrimoine indiquant les différentes zones du parc et leur vocation. La charte détermine les orientations et les principes fondamentaux de protection des structures paysagères sur le territoire du parc. / (...) / IV. L'Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte appliquent les orientations et les mesures de la charte dans l'exercice de leurs compétences sur le territoire du parc. Ils assurent, en conséquence, la cohérence de leurs actions et des moyens qu'ils y consacrent ".
3. Il résulte de ces dispositions que la charte d'un parc naturel régional est un acte destiné à orienter l'action des pouvoirs publics dans un souci de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire, de développement économique et social et d'éducation et de formation du public sur le territoire du parc et à assurer la cohérence de cette action avec les objectifs qui y sont définis. Il appartient, dès lors, à l'Etat et aux différentes collectivités territoriales concernées de prendre les mesures et de mener les actions propres à assurer la réalisation des objectifs de la charte et de mettre en œuvre les compétences qu'ils tiennent des différentes législations, dès lors qu'elles leur confèrent un pouvoir d'appréciation, de façon cohérente avec les objectifs ainsi définis. Toutefois la charte d'un parc naturel régional ne peut légalement imposer par elle-même des obligations aux tiers, indépendamment de décisions administratives prises par les autorités publiques à leur égard. Elle ne peut davantage subordonner légalement les demandes d'autorisations d'installations classées pour la protection de l'environnement à des obligations de procédure autres que celles prévues par les différentes législations en vigueur. Si les orientations de protection, de mise en valeur et de développement que la charte détermine pour le territoire du parc naturel régional sont nécessairement générales, les mesures permettant de les mettre en œuvre peuvent cependant être précises et se traduire par des règles de fond avec lesquelles les décisions prises par l'Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte dans l'exercice de leurs compétences doivent être cohérentes, sous réserve que ces mesures ne méconnaissent pas les règles résultant des législations particulières régissant les activités qu'elles concernent.
4. Lorsque l'autorité administrative est saisie d'une demande d'autorisation d'implanter ou d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement au sein d'un parc naturel régional, elle doit s'assurer de la cohérence de la décision individuelle ainsi sollicitée avec les orientations et mesures fixées dans la charte de ce parc et dans les documents qui y sont annexés, eu égard notamment à l'implantation et à la nature des ouvrages pour lesquels l'autorisation est demandée, et aux nuisances associées à leur exploitation.
5. Saisie d'un moyen tiré de ce que le préfet de la Manche, en délivrant l'autorisation d'exploiter litigieuse à la société pétitionnaire, avait omis de tenir compte de la charte du parc naturel régional, laquelle distingue, dans la carte du parc, des " paysages identitaires " qui " constituent la référence paysagère, le " noyau dur " ou encore " la zone centrale " du Parc qui doit être préservée " et les autres secteurs nommés " paysages quotidiens " et comporte un objectif 23.4 intitulé " Favoriser le développement éolien raisonné " indiquant que " le parc cherche à optimiser la cohérence des implantations d'éoliennes et que, dans ce but, il s'appuie sur des enjeux paysagers tels que le respect des éléments identitaires du territoire ", la cour administrative d'appel l'a écarté comme inopérant en jugeant qu'une telle charte n'avait, en tout état de cause, pas pour objet de déterminer les prévisions et règles touchant à l'affectation et à l'occupation des sols et ne pouvait contenir des règles opposables aux tiers. En statuant ainsi, sans rechercher si l'autorisation d'exploitation litigieuse était cohérente avec les orientations fixées par cette charte et les documents qui y sont annexés, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs et autres sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge conjointe de l'Etat et de la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 la somme de 3 000 euros, à verser à l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs et autres au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs et autres.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 19 juin 2020 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'Etat et la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 verseront une somme de 3 000 euros à l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées à ce titre par la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs, première dénommée pour l'ensemble des requérants, à la ministre de la transition écologique et à la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 mars 2022 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. C... K..., M. Fabien Raynaud, présidents de chambre ; M. P... F..., Mme I... N..., M. H... L..., M. B... M..., Mme Bénédicte Fauvarque-Cosson, conseillers d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 21 avril 2022.
La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
La rapporteure :
Signé : Mme Catherine Moreau
La secrétaire :
Signé : Mme E... D...