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11/03/2022 | FRANCE | N°448818

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 11 mars 2022, 448818


Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Habitat 62/59 a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2007. Par un jugement n° 1407565 du 17 avril 2018, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18DA01233 du 19 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société Habitat des Hauts-de-France, venue aux droits de la société Habitat 62/59, contre ce jugement.
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Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Habitat 62/59 a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2007. Par un jugement n° 1407565 du 17 avril 2018, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18DA01233 du 19 novembre 2020, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société Habitat des Hauts-de-France, venue aux droits de la société Habitat 62/59, contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 janvier, 16 avril et 26 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Habitat des Hauts-de-France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Habitat des Hauts-de-France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Habitat 62/59, qui exerce une activité de bailleur social ainsi qu'une activité d'aménageur lotisseur, a cédé en 2006 à des personnes physiques, en vue de la construction par celles-ci d'immeubles à usage d'habitation, des terrains à bâtir issus de la division en lots de terrains qu'elle avait initialement acquis en vue d'y construire elle-même des immeubles neufs. La société a porté dans sa déclaration de taxe sur la valeur ajoutée de février 2007 la taxe afférente à ces cessions, déterminée selon le régime prévu au 6° de l'article 257 du code général des impôts. Estimant cependant que ces cessions bénéficiaient d'une exonération sur le fondement d'une tolérance administrative puis, à compter de leur entrée en vigueur, sur celui des dispositions du g) du 1° du 5. de l'article 261 du même code issues de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, la société s'est estimée titulaire d'un crédit de taxe d'un montant égal, qu'elle a porté dans sa déclaration de taxe sur la valeur ajoutée de mars 2007. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur la période du 1er janvier 2006 au 31 juillet 2009, l'administration a, par une proposition de rectification du 6 avril 2010, remis en cause le bénéfice de l'exonération pour les cessions de terrains réalisées entre les 1er janvier et 15 juillet 2006 et remis en conséquence à la charge de la société Habitat 62/59 la taxe correspondante. Après avoir vainement réclamé contre ces rappels, la société a demandé au tribunal administratif de Lille d'en prononcer la décharge. Par un jugement du 17 avril 2018, ce tribunal a rejeté sa demande. La société Habitat des Hauts-de-France, venant aux droits de la société Habitat 62/59, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 novembre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 257 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Sont également soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : (...) / 6° Sous réserve du 7° : / a) Les opérations qui portent sur des immeubles (...) et dont les résultats doivent être compris dans les bases de l'impôt sur le revenu au titre des bénéfices industriels et commerciaux ; / (...) 7° Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles. / Ces opérations sont imposables même lorsqu'elles revêtent un caractère civil. / 1. Sont notamment visés : / a) Les ventes (...) de terrains à bâtir, des biens assimilés à ces terrains par le A de l'article 1594-0 G ; (...). Ces dispositions ne sont pas applicables aux terrains acquis par des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectent à un usage d'habitation ". Aux termes de l'article 266 du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " 2. En ce qui concerne les opérations entrant dans le champ d'application du 7° de l'article 257, la taxe sur la valeur ajoutée est assise : / (...) b. Pour les mutations à titre onéreux ou les apports en société sur : / Le prix de la cession (...) ". Aux termes de l'article 268 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " En ce qui concerne les opérations visées au 6° de l'article 257, la base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par la différence entre : / a. D'une part, le prix exprimé et les charges qui viennent s'y ajouter, ou la valeur vénale du bien si elle est supérieure au prix majoré des charges ; / b. D'autre part, (...) les sommes que le cédant a versées, à quelque titre que ce soit, pour l'acquisition du bien (...) ".

3. Il résulte des dispositions du 7° de l'article 257 du code général des impôts que celles-ci n'étaient pas applicables aux cessions de terrains à bâtir acquis par des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectaient à un usage d'habitation. En conséquence, de telles opérations se trouvaient soumises à la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement des dispositions du 6° du même article, lorsqu'elles étaient réalisées par des personnes relevant de ces dernières. Dans cette hypothèse, la taxe était assise, en application des dispositions de l'article 268 du même code, non sur le prix de cession du terrain mais sur la marge réalisée par le cédant.

4. En deuxième lieu, en vertu du g) du 1° du 5. de l'article 261 du code général des impôts, dans sa version issue de l'article 41 de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, les livraisons d'immeubles réalisées par les organismes d'habitations à loyer modéré sont exonérées de taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elles n'entrent pas dans le champ d'application du 7° de l'article 257.

5. En troisième lieu, le paragraphe n°17 de la documentation administrative de base 8 A-4111, dans sa version à jour au 15 novembre 2001, énonçait que : " Par mesure de tempérament, les organismes d'HLM qui fonctionnent selon les règles prévues par la législation spéciale en la matière et qui réalisent des opérations de marchands de biens ou assimilées ne sont pas soumis aux taxes sur le chiffre d'affaires lorsque ces opérations n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 257-7° du code général des impôts ".

6. Au soutien de ses conclusions d'appel, qui tendaient à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des opérations de cession de terrains à bâtir qu'elle avait réalisées entre les 1er janvier et 15 juillet 2006 au profit de personnes physiques en vue de la construction par celle-ci d'immeubles affectés à un usage d'habitation, la société se prévalait, sur le fondement de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations citées au point 5.

7. La cour administrative d'appel a, en premier lieu et conformément à son office, avant d'examiner le bien-fondé de l'invocation par la contribuable du bénéfice de cette interprétation administrative, recherché si l'imposition en litige avait été légalement établie. A cet égard, pour juger que la société n'était pas en droit de prétendre au bénéfice d'une exonération sur le fondement de la loi, les dispositions du g) du 1° du 5. de l'article 261 du code général des impôts n'étant entrées en vigueur que postérieurement aux opérations en litige, la cour s'est fondée sur ce que les acquisitions des terrains dont étaient issus, après division et viabilisation, les lots cédés avaient été soumises à la taxe sur la valeur ajoutée en application des dispositions du 7° de l'article 257 du même code. En statuant ainsi, alors que cette circonstance était par elle-même sans incidence sur la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée des opérations de cession des lots par la société requérante, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

8. Pour écarter, en second lieu, le bénéfice de l'interprétation administrative que la société invoquait au soutien de l'exonération de ces mêmes opérations de cession, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que la société avait, dans ses propres déclarations, soumis les acquisitions des terrains initiaux à la taxe sur la valeur ajoutée en application des dispositions du 7° de l'article 257 du code général des impôts pour en déduire qu'elle n'entrait pas dans les prévisions de l'instruction, qui ne concernait que les opérations placées hors du champ de ces dispositions. En statuant ainsi alors que la condition de non soumission au 7° de l'article 257 à laquelle l'interprétation administrative subordonne son bénéfice portait sur les opérations de cession des terrains et non sur leur acquisition, la cour administrative d'appel a commis une autre erreur de droit.

9. La société Habitat des Hauts-de-France est, par suite, fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai qu'elle attaque.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la loi fiscale :

11. Il résulte des dispositions du code général des impôts citées ci-dessus aux points 2 à 4 qu'antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 41 de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, les ventes de terrains à bâtir par des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectent à un usage d'habitation, auxquelles les dispositions du 7° de l'article 257 du code général des impôts n'étaient pas applicables, étaient imposables à la taxe sur la valeur ajoutée selon le régime prévu au 6° de cet article, s'agissant d'une entreprise commerciale soumise à l'impôt sur les sociétés, à la condition qu'elles portent sur des éléments de stock, la circonstance que les bénéfices résultant de ces cessions soient exonérés d'impôt sur les sociétés en vertu des dispositions du 6° bis du 1 de l'article 207 du code général des impôts alors en vigueur étant dépourvue d'incidence à cet égard. En l'espèce, il résulte de l'instruction que la société requérante, qui avait initialement acquis les terrains en cause en vue de la production d'immeubles neufs, a ensuite rétrospectivement placé leur acquisition sous le régime de l'article 1115 du même code, qui exonère les acquisitions d'immeubles de droits et taxes de mutation lorsque l'acquéreur prend l'engagement de les revendre dans les cinq ans, de sorte qu'ils constituaient des éléments de stock. Au regard de la loi fiscale, c'est par suite à bon droit que l'administration a estimé que les cessions opérées entre les 1er janvier et 15 juillet 2006 devaient être soumises à la taxe sur la valeur ajoutée en vertu du 6° de l'article 257.

Sur l'interprétation de la loi fiscale par l'administration :

12. Aux termes du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au litige : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ".

13. L'administration fiscale soutient que la société requérante ne peut se prévaloir des énonciations du paragraphe n°17 de la documentation administrative de base 8 A-4111 citées au point 5 au motif qu'ayant porté la taxe sur la valeur ajoutée en litige dans sa déclaration de février 2007, elle ne peut être regardée comme ayant appliqué la loi fiscale selon l'interprétation qu'en donnait l'administration. Il résulte toutefois de l'instruction, ainsi qu'il a été dit, que la société, estimant qu'elle avait, compte tenu de ces énonciations, déclaré cette taxe sur la valeur ajoutée à tort et qu'elle était titulaire d'un crédit de taxe du même montant, a porté ce crédit dans sa déclaration de mars 2007. Il en résulte que le rehaussement en litige corrige une situation née d'une application de la loi fiscale par la contribuable conforme à l'interprétation qu'en avait donnée l'administration et qui n'avait pas été rapportée. Il en résulte que la société est fondée à invoquer le bénéfice de cette interprétation à l'appui de sa contestation des rappels en litige.

Sur la demande du ministre :

14. Le ministre demande que les impositions en litige soient maintenues par substitution des dispositions du 1 du I et du 1 du II de l'article 271 du code général des impôts à la base légale initialement retenue pour les fonder. Il soutient que l'absence de soumission à la taxe sur la valeur ajoutée des cessions en litige, fut-ce au bénéfice de la seule interprétation administrative de la loi, fait obstacle à ce que la société puisse bénéficier de l'imputation de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les travaux de viabilisation et d'aménagement des terrains à bâtir.

15. Toutefois, cette argumentation, qui vise à compenser la non-soumission à la taxe sur la valeur ajoutée des opérations de cession par la remise en cause du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des opérations distinctes d'achats de biens et services, a la nature non d'une demande de substitution de base légale mais d'une demande de compensation. Il résulte de l'instruction, et notamment d'une proposition de rectification adressée le 18 décembre 2009 par l'administration à la société avant que ne lui soit substituée celle du 6 avril 2010 mentionnée au point 1, que l'administration disposait, avant l'introduction par la contribuable de sa réclamation, de l'ensemble des éléments propres à lui permettre de remettre en cause l'imputation de la taxe ayant grevé les travaux de viabilisation et d'aménagement. Par suite, l'insuffisance de taxation en cause ne saurait être regardée comme ayant été " constatée dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande " au sens de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales. La demande de compensation du ministre ne peut, dès lors, qu'être rejetée.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 17 avril 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés à raison des opérations de cession réalisées du 1er janvier au 15 juillet 2006.

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser, pour l'ensemble de la procédure, à la société anonyme Habitat des Hauts-de-France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 19 novembre 2020 de la cour administrative d'appel de Douai et le jugement du 17 avril 2018 du tribunal administratif de Lille sont annulés.

Article 2 : La société Habitat des Hauts-de-France est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 15 juillet 2006.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 5 000 euros à la société. Habitat des Hauts-de-France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Habitat des Hauts-de-France et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 février 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. I... C..., M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. G... K..., M. D... J..., M. A... L..., M. H... F..., M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur-rapporteur.

Rendu le 11 mars 2022.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Charles-Emmanuel Airy

La secrétaire :

Signé : Mme B... E...


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 448818
Date de la décision : 11/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 11 mar. 2022, n° 448818
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Charles-Emmanuel Airy
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:448818.20220311
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