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25/02/2022 | FRANCE | N°431834

France | France, Conseil d'État, 5ème chambre, 25 février 2022, 431834


Vu la procédure suivante :

La société Kerry a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la saisie à tiers détenteur du 6 janvier 2016 portant sur une somme de 1 313 537,11 euros ainsi que la décision du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris du 11 mars 2016 portant rejet de son recours préalable, et d'autre part, de la décharger de l'obligation de payer cette somme. Par un jugement n° 1603280/4-3 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17PA02569 du 24 avr

il 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé pa...

Vu la procédure suivante :

La société Kerry a demandé au tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la saisie à tiers détenteur du 6 janvier 2016 portant sur une somme de 1 313 537,11 euros ainsi que la décision du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris du 11 mars 2016 portant rejet de son recours préalable, et d'autre part, de la décharger de l'obligation de payer cette somme. Par un jugement n° 1603280/4-3 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17PA02569 du 24 avril 2019, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Kerry contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 20 juin et 20 septembre 2019 et les 12 février et 3 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Kerry demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 ;

- la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pearl Nguyên Duy, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Kerry.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Kerry, propriétaire d'un immeuble situé rue du Faubourg Poissonnière à Paris, a vainement requis le concours de la force publique pour faire exécuter une ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 6 mai 1999 ordonnant l'expulsion des occupants sans titre de cet immeuble. La société ayant sollicité l'indemnisation des préjudices en résultant au titre de la période écoulée entre le 26 juin 2000 et le 24 janvier 2003, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, par une décision n° 281330 du 21 septembre 2007, ramené de 1458 785 euros à 158 135,33 euros le montant de l'indemnité que l'Etat avait été condamné à lui verser par un jugement du tribunal administratif de Paris du 29 mars 2005. Par un jugement du 31 mai 2011, ce même tribunal a de nouveau condamné l'Etat à lui verser une somme de 195 228,36 euros en réparation de divers préjudices liés au refus de concours de la force publique pour la période du 25 janvier 2003 au 12 septembre 2005. Parallèlement, des titres de perception ont été émis à l'encontre de la société, d'une part, par le ministre de l'intérieur en vue du recouvrement du trop-versé en exécution du jugement du tribunal administratif de Paris du 29 mars 2005, et d'autre part, par le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris afin d'obtenir le remboursement du montant des travaux exécutés d'office afin d'assurer la protection des occupants sans titre contre le risque d'intoxication au plomb ainsi que des frais d'hébergement des intéressés pendant l'exécution des travaux. En l'absence d'acquittement par la requérante des sommes mises à sa charge, le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France a, par une notification de saisie à tiers détenteur du 6 janvier 2016, informé la société Kerry qu'il avait ordonné à sa banque de lui verser la somme de 1 313 537,11 euros correspondant au montant total de la créance de l'Etat. Par un jugement du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté le recours engagé par la société Kerry contre cette saisie à tiers détenteur. Par un arrêt du 24 avril 2019, contre lequel la société Kerry se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Kerry contre ce jugement.

Sur la contestation de la saisie à tiers détenteur en tant qu'elle porte sur le recouvrement par l'Etat du trop-versé à la société au titre de l'indemnisation du refus de concours de la force publique entre le 26 juin 2000 et le 24 janvier 2003 :

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Kerry invoquait devant eux la méconnaissance tant du paragraphe 1er de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que de l'article 1er de son premier protocole additionnel pour contester la légalité des décisions de refus de concours de la force publique qui lui ont été opposées. En jugeant que de tels moyens étaient inopérants à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la saisie à tiers détenteur dont elle fait l'objet en tant qu'elle porte sur le recouvrement par l'Etat du trop-versé à la société en application de décisions de justice devenues définitives, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

Sur la contestation de la saisie à tiers détenteur en tant qu'elle porte sur le coût des travaux réalisés d'office par le préfet et les frais de relogement des occupants :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1334-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable : " Le médecin qui dépiste un cas de saturnisme chez une personne mineure doit, après information de la personne exerçant l'autorité parentale, le porter à la connaissance, sous pli confidentiel, du médecin du service de l'Etat dans le département compétent en matière sanitaire et sociale qui en informe le médecin responsable du service départemental de la protection maternelle et infantile. (...) ". Aux termes de L. 1334-2 de ce code : " Dans le cas où le diagnostic auquel il a été procédé dans les conditions mentionnées à l'article L. 1334-1 se révèle positif, ou dans celui où on dispose d'un diagnostic de même portée, préalablement établi en une autre circonstance dans les mêmes conditions que précédemment, le représentant de l'Etat dans le département (...) notifie (...) au propriétaire ou au syndicat des copropriétaires son intention de faire exécuter sur l'immeuble incriminé, à leurs frais, pour supprimer le risque constaté, les travaux nécessaires, dont il précise la nature, après avis des services ou de l'opérateur mentionné à l'article L. 1334-1. / (...) / A défaut soit de contestation, soit d'engagement du propriétaire ou du syndicat des copropriétaires dans un délai de dix jours à compter de la notification, le représentant de l'Etat dans le département fait exécuter les travaux nécessaires à leurs frais ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 1334-4 de ce code : " Si la réalisation des travaux mentionnés aux articles L. 1334-2 et L. 1334-3 nécessite la libération temporaire des locaux, le représentant de l'Etat dans le département prend les dispositions nécessaires pour assurer l'hébergement provisoire des occupants./ Le coût de réalisation des travaux et, le cas échéant, le coût de l'hébergement provisoire des occupants sont mis à la charge du propriétaire. La créance est recouvrée comme en matière de contributions directes ".

4. Aux termes du quatrième alinéa de cet article L. 1334-4, dans sa rédaction issue de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique : " Lorsque les locaux sont occupés par des personnes entrées par voie de fait ayant fait l'objet d'un jugement d'expulsion devenu définitif et que le propriétaire ou l'exploitant du local d'hébergement s'est vu refuser le concours de la force publique pour que ce jugement soit mis à exécution, le propriétaire ou l'exploitant du local d'hébergement peut demander au tribunal administratif que tout ou partie de la créance dont il est redevable soit mise à la charge de l'Etat ; cette somme vient en déduction de l'indemnité à laquelle peut prétendre le propriétaire en application de l'article 16 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution. ". Eu égard à leur objet et en l'absence de dispositions prévoyant une application différée, les dispositions de ce quatrième alinéa, entrées en vigueur le 26 avril 2006, sont d'application immédiate, y compris aux instances en cours n'ayant pas fait l'objet d'une décision passée en force de chose jugée, et notamment aux procédures en cours relatives à des créances émises antérieurement à la loi.

5. Il résulte des termes de l'arrêt attaqué que, pour confirmer le bien-fondé de la créance qui était opposée à la société, y compris des sommes qui lui étaient réclamées au titre du coût des travaux réalisés d'office par le préfet pour supprimer le risque de saturnisme et des frais de relogement des occupants pendant la période des travaux, la cour administrative d'appel a jugé, par adoption des motifs des premiers juges, que, d'une part, la société avait déjà été indemnisée du préjudice résultant pour elle du refus de concours de la force publique par la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 21 septembre 2007, qui comprend une indemnisation pour les sommes mises à sa charge en raison des travaux ordonnés d'office et des frais de relogement des occupants sans titre, et que, d'autre part, les dispositions citées ci-dessus du 4ème alinéa de l'article L. 1334-4 du code de la construction et de l'habitation n'imposaient pas en l'espèce qu'elle soit déchargée des sommes correspondantes.

6. En statuant ainsi, elle n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 1334-4 du code de la construction et de l'habitation, dès lors que ces dispositions n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de faire supporter par l'Etat les sommes mises à la charge du propriétaire ou de l'exploitant d'un immeuble au titre de travaux exécutés d'office et de frais de relogement des occupants lorsque celui-ci en a obtenu l'indemnisation au titre des préjudices résultant pour lui du refus de concours de la force publique ou lorsqu'un lien direct n'est pas établi avec le retard dans l'expulsion des occupants sans titre.

7. La cour, qui ne s'est pas méprise sur la portée des écritures dont elle était saisie, n'a pas davantage méconnu l'autorité de chose jugée dont est revêtue la décision du Conseil d'Etat du 21 septembre 2007 qui juge que les travaux prescrits par l'Etat pour supprimer les risques sanitaires encourus par les occupants sans droit ni titre ainsi que les frais de relogement des intéressés devaient en l'espèce être laissés à la charge de celui-ci.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société Kerry doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Kerry est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Kerry, au ministre de l'économie, des finances et de la relance, au ministre de l'intérieur et au ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 431834
Date de la décision : 25/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 25 fév. 2022, n° 431834
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pearl Nguyên Duy
Rapporteur public ?: Mme Cécile Barrois de Sarigny
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 01/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:431834.20220225
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