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24/02/2022 | FRANCE | N°446128

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 24 février 2022, 446128


Vu la procédure suivante :

La société Magellan Développement International a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la réduction des droits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er décembre 2010 au 31 octobre 2013, des majorations correspondantes et de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts au titre des années 2011 et 2012. Par un jugement n° 1607464 du 27 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge des droits de t

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Vu la procédure suivante :

La société Magellan Développement International a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la réduction des droits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er décembre 2010 au 31 octobre 2013, des majorations correspondantes et de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts au titre des années 2011 et 2012. Par un jugement n° 1607464 du 27 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge des droits de taxe sur la valeur ajoutée établis à raison des prestations de fourniture de logement au titre de la période du 15 mars 2013 au 31 octobre 2013 ainsi que des majorations pour manquement délibéré appliquées aux droits de taxe comptabilisée et non déclarée au titre de la période du 1er décembre 2012 au 31 octobre 2013, et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 19LY00796 du 7 septembre 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Magellan Développement International contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 novembre 2020, 9 février 2021 et 8 septembre 2021, la société M010, nouvelle dénomination de la société Magellan Développement International, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société M010 ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Magellan Développement International, devenue la société M010, avait pour activité la recherche, la réservation et la mise à disposition de logements et de véhicules pour les besoins de salariés en provenance de Pologne et du Portugal détachés en France auprès de sociétés de travail temporaire françaises, polonaises et portugaises, appartenant au même groupe, auxquelles elle refacturait ces prestations assorties d'une commission. La société Magellan Développement International a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er décembre 2010 au 30 octobre 2013 à l'issue de laquelle l'administration lui a réclamé des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée résultant d'un rappel de taxe comptabilisée et non déclarée au titre de la période du 1er décembre 2012 au 30 octobre 2013 et de la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée de l'intégralité des prestations fournies à ses clients français, polonais et portugais sur la période du 1er décembre 2010 au 30 octobre 2013. Ces rappels ont été assortis de majorations pour manquement délibéré et de l'amende prévue par l'article 1736 du code général des impôts au titre des années 2011 et 2012. Par un jugement du 27 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble lui a accordé la décharge, d'une part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assignés à raison de la refacturation aux clients français, portugais et polonais des locations de logements meublés postérieures au 15 mars 2013 et, d'autre part, des majorations pour manquement délibéré dont ont été assortis les rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à la taxe comptabilisée mais non déclarée au titre de la période du 1er décembre 2012 au 30 octobre 2013 et a rejeté le surplus de la demande de la société. La société M010 se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 7 septembre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté son appel contre ce jugement en tant qu'il avait rejeté le surplus de sa demande.

Sur la taxe sur la valeur ajoutée :

2. L'article 261 D du code général des impôts dispose que " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 4° Les locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d'habitation. ".

3. Il résulte des dispositions de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que, lorsqu'une opération économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par un faisceau d'éléments et d'actes, il y a lieu de prendre en compte toutes les circonstances dans lesquelles elle se déroule aux fins de déterminer si l'on se trouve en présence de plusieurs prestations ou livraisons distinctes ou d'une prestation ou d'une livraison complexe unique. Chaque prestation ou livraison doit en principe être regardée comme distincte et indépendante. Toutefois, l'opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la taxe sur la valeur ajoutée. De même, dans certaines circonstances, plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être fournies et taxées séparément, doivent être regardées comme une opération unique lorsqu'elles ne sont pas indépendantes. Tel est le cas lorsque, au sein des éléments caractéristiques de l'opération en cause, certains éléments constituent la prestation principale, tandis que les autres, dès lors qu'ils ne constituent pas pour les clients, compte-tenu notamment de la valeur respective de chacune des prestations composant l'opération, une fin en soi mais le moyen de bénéficier dans de meilleures conditions de la prestation principale, doivent être regardés comme des prestations accessoires partageant le sort fiscal de celle-ci. Tel est le cas, également, lorsque plusieurs éléments fournis par l'assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule opération économique indissociable, le sort fiscal de celle-ci étant alors déterminé par celui de la prestation prédominante au sein de cette opération.

4. Pour juger que la société Magellan Développement International devait être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de l'ensemble de son activité, la cour administrative d'appel a retenu qu'elle n'avait pas, en méconnaissance de l'article 37 de l'annexe IV du code général des impôts, comptabilisé distinctement les recettes provenant de la fourniture de chaussures et de vêtements professionnels destinés aux salariés détachés et de la réservation de billets pour des trajets effectués par ces salariés entre la France et le Portugal, alors que ces prestations n'étaient pas, selon la cour, rattachables aux prestations d'hébergement et devaient par conséquent être soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En statuant ainsi alors que l'administration ne s'était prévalue ni en première instance ni en appel du caractère non rattachable aux prestations d'hébergement des prestations de fourniture de chaussures et vêtements de travail et de réservation de transports entre la France et le Portugal, la cour a retenu un motif dont les parties n'avaient pas débattu sans les avoir mises à même de présenter leurs observations sur ce point. La société M010 est par suite fondée à soutenir que la cour a méconnu les exigences de la procédure contradictoire.

Sur l'amende :

5. Aux termes de l'article 240 du code général des impôts dans sa rédaction applicable en 2011 et 2012 : " 1. Les personnes physiques qui, à l'occasion de l'exercice de leur profession versent à des tiers des commissions, courtages, ristournes commerciales ou autres, vacations, honoraires occasionnels ou non, gratifications et autres rémunérations, doivent déclarer ces sommes dans les conditions prévues aux articles 87,87 A et 89 ". Aux termes de l'article 1736 du même code : " 1. Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % des sommes non déclarées le fait de ne pas se conformer aux obligations prévues à l'article 240 et au 1 de l'article 242 ter et à l'article 242 ter B. L'amende n'est pas applicable, en cas de première infraction commise au cours de l'année civile en cours et des trois années précédentes, lorsque les intéressés ont réparé leur omission, soit spontanément, soit à la première demande de l'administration, avant la fin de l'année au cours de laquelle la déclaration devait être souscrite (...) ".

6. Il ressort du mémoire en réplique présenté le 29 juin 2020 par la société Magellan Développement International devant la cour, qu'elle contestait l'inclusion, par l'administration fiscale, de redevances de marque dans l'assiette des versements à des tiers qu'elle aurait dû déclarer en application de l'article 240 du code général des impôts et sur la base desquelles a été calculé le montant de l'amende qui lui a été infligée en application de l'article 1736 du même code. En ne répondant pas à ce moyen qui n'était pas inopérant, la cour a entaché son arrêt d'irrégularité.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société M010 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 9 septembre 2020 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la société M010 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société M010 et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 janvier 2022 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. G... F..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme I... B..., Mme A... K..., M. D... E..., M. J... C..., M. Alain Seban, conseillers d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 24 février 2022.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. David Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme H... L...


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 446128
Date de la décision : 24/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES ET UNION EUROPÉENNE - RÈGLES APPLICABLES - FISCALITÉ - TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE - PRESTATIONS DE SERVICES – IDENTIFICATION DES PRESTATIONS – CRITÈRES DÉFINIS PAR LA CJUE POUR SAVOIR SI UNE OPÉRATION ÉCONOMIQUE ASSUJETTIE À LA TVA CONSTITUE UNE SEULE PRESTATION OU PEUT ÊTRE DIVISÉE EN PRESTATIONS DISTINCTES [RJ1] – APPRÉCIATION DES PRESTATIONS REVÊTANT UN CARACTÈRE ACCESSOIRE – PRISE EN COMPTE DE LA VALEUR RESPECTIVE DE CHACUNE DES PRESTATIONS COMPOSANT L’OPÉRATION – EXISTENCE [RJ2].

15-05-11-01 Il résulte de la directive 2006/112/CE, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), que, lorsqu’une opération économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est constituée par un faisceau d’éléments et d’actes, il y a lieu de prendre en compte toutes les circonstances dans lesquelles elle se déroule aux fins de déterminer si l’on se trouve en présence de plusieurs prestations ou livraisons distinctes ou d’une prestation ou d’une livraison complexe unique. Chaque prestation ou livraison doit en principe être regardée comme distincte et indépendante. Toutefois, l’opération constituée d’une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA. De même, dans certaines circonstances, plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être fournies et taxées séparément, doivent être regardées comme une opération unique lorsqu’elles ne sont pas indépendantes. Tel est le cas lorsque, au sein des éléments caractéristiques de l’opération en cause, certains éléments constituent la prestation principale, tandis que les autres, dès lors qu’ils ne constituent pas pour les clients, compte-tenu notamment de la valeur respective de chacune des prestations composant l’opération, une fin en soi mais le moyen de bénéficier dans de meilleures conditions de la prestation principale, doivent être regardés comme des prestations accessoires partageant le sort fiscal de celle-ci. Tel est le cas, également, lorsque plusieurs éléments fournis par l'assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule opération économique indissociable, le sort fiscal de celle-ci étant alors déterminé par celui de la prestation prédominante au sein de cette opération.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - TAXES SUR LE CHIFFRE D'AFFAIRES ET ASSIMILÉES - TAXE SUR LA VALEUR AJOUTÉE - PERSONNES ET OPÉRATIONS TAXABLES - OPÉRATIONS TAXABLES - PRESTATIONS DE SERVICES – IDENTIFICATION DES PRESTATIONS – CRITÈRES DÉFINIS PAR LA CJUE POUR SAVOIR SI UNE OPÉRATION ÉCONOMIQUE ASSUJETTIE À LA TVA CONSTITUE UNE SEULE PRESTATION OU PEUT ÊTRE DIVISÉE EN PRESTATIONS DISTINCTES [RJ1] – APPRÉCIATION DES PRESTATIONS REVÊTANT UN CARACTÈRE ACCESSOIRE – PRISE EN COMPTE DE LA VALEUR RESPECTIVE DE CHACUNE DES PRESTATIONS COMPOSANT L’OPÉRATION – EXISTENCE [RJ2].

19-06-02-01-01 Il résulte de la directive 2006/112/CE, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), que, lorsqu’une opération économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est constituée par un faisceau d’éléments et d’actes, il y a lieu de prendre en compte toutes les circonstances dans lesquelles elle se déroule aux fins de déterminer si l’on se trouve en présence de plusieurs prestations ou livraisons distinctes ou d’une prestation ou d’une livraison complexe unique. Chaque prestation ou livraison doit en principe être regardée comme distincte et indépendante. Toutefois, l’opération constituée d’une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la taxe sur la valeur ajoutée. De même, dans certaines circonstances, plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être fournies et taxées séparément, doivent être regardées comme une opération unique lorsqu’elles ne sont pas indépendantes. Tel est le cas lorsque, au sein des éléments caractéristiques de l’opération en cause, certains éléments constituent la prestation principale, tandis que les autres, dès lors qu’ils ne constituent pas pour les clients, compte-tenu notamment de la valeur respective de chacune des prestations composant l’opération, une fin en soi mais le moyen de bénéficier dans de meilleures conditions de la prestation principale, doivent être regardés comme des prestations accessoires partageant le sort fiscal de celle-ci. Tel est le cas, également, lorsque plusieurs éléments fournis par l'assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule opération économique indissociable, le sort fiscal de celle-ci étant alors déterminé par celui de la prestation prédominante au sein de cette opération.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 24 avril 2019, Corsica Ferries France, n° 418912, T. pp. 627-715 ;

CE, 24 avril 2019, Société Xerox, n° 411007, 411013, T. pp. 628-716. ...

[RJ2]

Rappr. CJUE, 24 mars 2021, Frenetikexito, aff. C-581/19.


Publications
Proposition de citation : CE, 24 fév. 2022, n° 446128
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Moreau
Rapporteur public ?: Mme Esther de Moustier
Avocat(s) : SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:446128.20220224
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