La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/02/2022 | FRANCE | N°449360

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 23 février 2022, 449360


Vu la procédure suivante :

Mme C... E..., veuve B..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 28 septembre 2018 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation en qualité d'ayant droit d'une victime des essais nucléaires, d'autre part, de condamner l'Etat à réparer ses préjudices. Par un jugement n° 1807367 du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 28 septembre 2018 du président du CIVEN puis, avant de statuer sur la d

emande d'indemnisation de Mme F..., a ordonné une expertise aux fins...

Vu la procédure suivante :

Mme C... E..., veuve B..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision du 28 septembre 2018 par laquelle le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation en qualité d'ayant droit d'une victime des essais nucléaires, d'autre part, de condamner l'Etat à réparer ses préjudices. Par un jugement n° 1807367 du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 28 septembre 2018 du président du CIVEN puis, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de Mme F..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue de ses préjudices, en sa qualité d'ayant droit de M. B..., décédé.

Par un arrêt n° 19NC02216 du 1er décembre 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté la requête d'appel du CIVEN.

Par un pourvoi, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 et 9 février et le 23 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CIVEN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-955 QPC du 10 décembre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme Mme E..., veuve B... ;

Considérant ce qui suit :

1 Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., né le 28 mars 1949 a été affecté au bâtiment-base Médoc à Mururoa en qualité de commis de cuisine entre le 15 septembre 1967 et 1er mars 1969, période au cours de laquelle cinq essais nucléaires aériens ont été réalisés. M. B..., qui a contracté un cancer du rein à l'âge de trente-sept ans, est décédé en 2009. Son épouse, en sa qualité d'ayant-droit, a déposé une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Par une décision du 28 septembre 2018, le CIVEN a rejeté sa demande. Par un jugement du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé cette décision puis, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de Mme F..., veuve B..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue des préjudices de ce dernier. Le CIVEN se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 1er décembre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête.

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " I. Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. / II. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : / 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ; / 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. / (...) ". Aux termes du I de l'article 4 de la même loi : " Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...) ".

3. En vertu du V du même article 4, dans sa rédaction résultant des dispositions du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dont les dispositions sont applicables aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur, soit le lendemain de la publication de la loi au Journal officiel de la République française : " V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité (...) ".

4. Aux termes du premier alinéa du V du même article, dans sa rédaction issue du 2° du I de l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : " Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique ". Aux termes du I de l'article R. 1333-11 du code de la santé publique : " Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12 ". En modifiant les dispositions du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 issues de l'article 113 de la loi du 28 février 2017, l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 élargit la possibilité, pour l'administration, de combattre la présomption de causalité dont bénéficient les personnes qui demandent une indemnisation lorsque les conditions de celle-ci sont réunies. Il doit être regardé, en l'absence de dispositions transitoires, comme ne s'appliquant qu'aux demandes qui ont été déposées après son entrée en vigueur, intervenue le lendemain de la publication de la loi du 28 décembre 2018 au Journal officiel de la République française.

5. Enfin, aux termes de l'article 57 de la loi du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, le b du 2° du I de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 est applicable aux demandes déposées devant le comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 précitée ".

6. Par une décision n° 2021-955 QPC du 10 décembre 2021, le Conseil constitutionnel a toutefois déclaré les dispositions de l'article 57 de la loi du 17 juin 2020, mentionnées au point 6, non-conformes à la Constitution. Par suite, en fondant son arrêt sur ces dispositions, la cour administrative d'appel de Nancy a méconnu le champ d'application de la loi. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi, l'arrêt attaqué doit être annulé.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte des dispositions du I de l'article 13 de la loi du 28 février 2017 citées au point 3, qu'en supprimant les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010, le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements.

9. Il résulte de l'instruction que M. B... a séjourné dans des lieux et pendant une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. La pathologie dont il est décédé figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficiait donc d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.

10. Il résulte de l'instruction que cinq essais nucléaires aériens ont été réalisés pendant la période où M. B... a séjourné en Polynésie. Si le CIVEN se prévaut des doses nulles relevées par les dosimètres individuels qu'il portait de mars 1968 à janvier 1969, des dosimètres d'ambiance du bâtiment-base Medoc au cours de la même période et, en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne, de la circonstance que l'alimentation des personnels de ce navire était contrôlée, il admet ne pas être en mesure de démontrer que la pathologie dont l'intéressé est décédé résultait exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires.

11. Il résulte de ce qui précède que le CIVEN n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé sa décision du 28 septembre 2018 puis, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de Mme F..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue de ses préjudices, en sa qualité d'ayant droit de M. B..., décédé.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros à verser à Mme F..., veuve B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la procédure devant la cour administrative d'appel et le Conseil d'Etat.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 1er décembre 2020 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.

Article 2 : La requête d'appel du CIVEN est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 4 500 euros à Mme F..., veuve B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 4 : La présente décision sera notifiée au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, à Mme C... F..., veuve B..., et à la ministre des armées.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 février 2022 où siégeaient : M. Gilles Pellissier, assesseur, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et M. François Lelièvre, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 23 février 2022.

Le président :

Signé : M. Gilles Pellissier

Le rapporteur :

Signé : M. François Lelièvre

La secrétaire :

Signé : Mme D... A...


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 449360
Date de la décision : 23/02/2022
Type d'affaire : Administrative

Publications
Proposition de citation : CE, 23 fév. 2022, n° 449360
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François Lelièvre
Rapporteur public ?: Mme Mireille Le Corre
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:449360.20220223
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award