La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/02/2022 | FRANCE | N°449357

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 23 février 2022, 449357


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision implicite et la décision du 7 mai 2018 par lesquelles le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation en qualité de victime des essais nucléaires, d'autre part, de condamner l'Etat à réparer ses préjudices. Par un jugement nos 1706710, 1804427 du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision implicite et la décision du

7 mai 2018 du président du CIVEN puis, avant de statuer sur la demande d'ind...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, d'une part, d'annuler la décision implicite et la décision du 7 mai 2018 par lesquelles le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) a rejeté sa demande d'indemnisation en qualité de victime des essais nucléaires, d'autre part, de condamner l'Etat à réparer ses préjudices. Par un jugement nos 1706710, 1804427 du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision implicite et la décision du 7 mai 2018 du président du CIVEN puis, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de M. D..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue de ses préjudices.

Par une ordonnance n° 19NC01950 du 3 juillet 2019, le président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par le CIVEN contre ce jugement.

Par une décision n° 432536 du 8 janvier 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, sur pourvoi du CIVEN, annulé l'ordonnance du 3 juillet 2019 du président de la 3ème chambre de la cour administrative d'appel de Nancy et renvoyé l'affaire à la cour.

Par un arrêt n° 20NC00066 du 1er décembre 2020, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté la requête d'appel du CIVEN.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 février et 23 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le CIVEN demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-955 QPC du 10 décembre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. D... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. D..., né le 9 septembre 1947, alors appelé du contingent, a été affecté au centre d'expérimentations du Pacifique, à Hao, en qualité de responsable de bar pendant la période du 15 avril 1967 au 1er mars 1968, au cours de laquelle trois essais nucléaires aériens ont été réalisés. M. D..., qui a contracté une leucémie à l'âge de 51 ans, a déposé une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Le ministre de la défense a rejeté cette demande par une décision du 19 décembre 2013, après avis du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), qui a estimé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de l'intéressé pouvait être considéré comme négligeable. M. D... a présenté une nouvelle demande d'indemnisation sur le fondement de ces mêmes dispositions le 7 mars 2017, qui a été implicitement puis explicitement rejetée par le CIVEN par une décision du 7 mai 2018. Par un jugement du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces deux décisions puis, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de M. D..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue des préjudices de ce dernier. La cour administrative d'appel de Nancy a, par une ordonnance du 3 juillet 2019, rejeté la requête formée par le CIVEN contre ce jugement. Par une décision du 8 janvier 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cette ordonnance et renvoyé l'affaire devant la cour. Le CIVEN se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 1er décembre 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête.

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " I. Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. / II. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit (...) ". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné : / 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ; / 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française. / (...) ". Aux termes du I de l'article 4 de la même loi : " Les demandes individuelles d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...) ".

3. En vertu du V du même article 4, dans sa rédaction résultant des dispositions du I l'article 113 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dont les dispositions sont applicables aux instances en cours à la date de son entrée en vigueur, soit le lendemain de la publication de la loi au Journal officiel de la République française : " V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité (...) ".

4. Aux termes du premier alinéa du V du même article, dans sa rédaction issue du 2° du I de l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : " Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique ". Aux termes du I de l'article R. 1333-11 du code de la santé publique : " Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12 ". En modifiant les dispositions du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 issues de l'article 113 de la loi du 28 février 2017, l'article 232 de la loi du 28 décembre 2018 élargit la possibilité, pour l'administration, de combattre la présomption de causalité dont bénéficient les personnes qui demandent une indemnisation lorsque les conditions de celle-ci sont réunies. Il doit être regardé, en l'absence de dispositions transitoires, comme ne s'appliquant qu'aux demandes qui ont été déposées après son entrée en vigueur, intervenue le lendemain de la publication de la loi du 28 décembre 2018 au Journal officiel de la République française.

5. Enfin, aux termes de l'article 57 de la loi du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, le b du 2° du I de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 est applicable aux demandes déposées devant le comité d'indemnisation des victimes d'essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 précitée ".

6. Par une décision n° 2021-955 QPC du 10 décembre 2021, le Conseil constitutionnel a toutefois déclaré les dispositions de l'article 57 de la loi du 17 juin 2020, mentionnées au point 5, non-conformes à la Constitution. Par suite, en fondant son arrêt sur ces dispositions, la cour administrative d'appel de Nancy a méconnu le champ d'application de la loi. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi, l'arrêt attaqué doit être annulé.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte des dispositions du I de l'article 13 de la loi du 28 février 2017 citées au point 3, qu'en supprimant les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010, le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie. Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements.

9. Il résulte de l'instruction que M. D... a séjourné dans des lieux et pendant une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. La pathologie dont il souffre figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficie donc d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenue de sa maladie.

10. Il résulte de l'instruction que trois essais nucléaires aériens ont été réalisés pendant la période où M. D... a séjourné en Polynésie sur l'atoll d'Hao. Si le CIVEN se prévaut des tables de " doses efficaces engagées ", telles qu'établies par une étude du Commissariat à l'énergie atomique de 2006 dont la méthodologie a été approuvée par l'agence internationale de l'énergie atomique dans son rapport de 2009-2010 relatif à l'exposition du public aux radiations en Polynésie française suite aux essais atmosphériques nucléaires français, et qui prennent en compte tant l'exposition externe que la contamination interne, pour estimer que son niveau d'exposition s'est avéré inférieur à la dose réglementaire visée au point 4, il admet toutefois ne pas être en mesure de démontrer que la pathologie dont l'intéressé souffre résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, dès lors que les tables de doses efficaces engagées relevées sur la base d'Hao pour les années 1967 et 1968 ne font pas état de résultats nuls. Dans ces conditions, les circonstances que M. D... n'ait pas eu accès aux zones de décontamination des avions situées sur la base et que l'atoll d'Hao soit situé à une certaine distance du site d'expérimentations de Mururoa n'étaient pas davantage de nature à établir qu'il n'a subi aucune exposition à des rayonnements ionisants due aux essais nucléaires durant son séjour en Polynésie.

11. Il résulte de ce qui précède que le CIVEN n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué du 15 mai 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé sa décision implicite et sa décision du 7 mai 2018 puis, avant de statuer sur la demande d'indemnisation de M. D..., a ordonné une expertise aux fins de déterminer l'étendue de ses préjudices.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros à verser à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de la procédure devant la cour administrative d'appel et le Conseil d'Etat.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 1er décembre 2020 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.

Article 2 : La requête d'appel du CIVEN est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 4 500 euros à M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 4 : La présente décision sera notifiée au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires, à M. B... D... et à la ministre des armées.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 février 2022 où siégeaient : M. Gilles Pellissier, assesseur, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et M. François Lelièvre, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 23 février 2022.

Le président :

Signé : M. Gilles Pellissier

Le rapporteur :

Signé : M. François Lelièvre

La secrétaire :

Signé : Mme C... A...


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 449357
Date de la décision : 23/02/2022
Type d'affaire : Administrative

Publications
Proposition de citation : CE, 23 fév. 2022, n° 449357
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François Lelièvre
Rapporteur public ?: Mme Mireille Le Corre
Avocat(s) : SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY

Origine de la décision
Date de l'import : 01/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:449357.20220223
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award