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23/02/2022 | FRANCE | N°445290

France | France, Conseil d'État, 7ème chambre, 23 février 2022, 445290


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 1er février 2019, Mme D... B..., épouse E..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 21 septembre 2018 par laquelle la rectrice de l'académie de Strasbourg a refusé de lui reconnaître quinze ans de services actifs en qualité d'institutrice, à compter du 25 octobre 1990, lui permettant de bénéficier des dispositions du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, d'enjoindre à la rectrice de l'académie de Strasbourg de revoir sa décision en qualif

iant la période de services du 25 octobre 1990 au 1er septembre 1993 e...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 1er février 2019, Mme D... B..., épouse E..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 21 septembre 2018 par laquelle la rectrice de l'académie de Strasbourg a refusé de lui reconnaître quinze ans de services actifs en qualité d'institutrice, à compter du 25 octobre 1990, lui permettant de bénéficier des dispositions du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, d'enjoindre à la rectrice de l'académie de Strasbourg de revoir sa décision en qualifiant la période de services du 25 octobre 1990 au 1er septembre 1993 en services " actifs " à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et de condamner l'Etat à lui verser 5 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi du fait de cette décision. Par un jugement n° 1900821 du 23 juillet 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la requête de Mme E....

Par une ordonnance n° 20NC02765 du 13 octobre 2020, la présidente de la cour administrative d'appel de Nancy a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi de Mme E....

Par un pourvoi et deux nouveaux mémoires enregistrés le 13 octobre 2020, les 2 septembre et 15 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 54-832 du 13 août 1954 ;

- le décret n° 90-712 du 1er août 1990 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François Lelièvre, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Buk Lament - Robillot, avocat de Mme E... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme E... a été admise au concours de recrutement des instituteurs le 25 octobre 1990. Agent de l'Office national interprofessionnel des céréales, elle a été détachée par un arrêté du ministre de l'agriculture à partir de cette date et jusqu'au 1er septembre 1993, période de sa formation en tant qu'élève-institutrice, auprès du ministère de l'éducation nationale. Elle a ensuite été titularisée dans le corps des instituteurs le 1er septembre 1993. En 2007, elle a réussi le concours de professeur des écoles et a intégré ce corps. L'intéressée a sollicité la rectrice de l'académie de Strasbourg sur les années comptabilisées pour sa carrière au titre d'un service en catégorie " active " et a demandé à la rectrice de prendre en compte la date du 25 octobre 1990, début de son détachement en tant qu'élève-institutrice, et non pas le 1er septembre 1993, date de sa titularisation comme point de départ de ses services en catégorie active. Par une lettre du 21 septembre 2018, la rectrice a rejeté cette demande. Mme E... a formé un recours hiérarchique auprès du ministre de l'éducation nationale contre cette décision le 12 octobre 2018. Ce recours ayant fait l'objet d'une décision implicite de rejet, Mme E... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 21 septembre 2018 et de condamner l'Etat à l'indemniser au titre du préjudice moral subi. Mme E... se pourvoit en cassation contre le jugement du 23 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.

Sur le rejet des conclusions aux fins d'annulation de la décision du 21 septembre 2018 :

2. Aux termes de l'article 45 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son corps d'origine mais continuant à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l'avancement et à la retraite. (...) / Le fonctionnaire détaché est soumis aux règles régissant la fonction qu'il exerce par l'effet de son détachement (...) ".

3. D'une part, aux termes de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, applicable au présent litige : " I. - La liquidation de la pension intervient : / 1° Lorsque le fonctionnaire civil est radié des cadres par limite d'âge, ou s'il a atteint, à la date de l'admission à la retraite, l'âge mentionné à l'article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale, ou de cinquante-sept ans s'il a accompli au moins quinze ans de services dans des emplois classés dans la catégorie active. / Sont classés dans la catégorie active les emplois présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles. La nomenclature en est établie par décret en Conseil d'Etat ; / (...) ".

4. D'autre part, aux termes du second alinéa de l'article L. 73 de ce même code : " Les avantages spéciaux attachés à l'accomplissement de services dans des emplois classés dans la catégorie active, définie à l'article L. 24, sont maintenus en faveur des fonctionnaires détachés dans un emploi classé dans cette catégorie pour exercer des fonctions de même nature que celles assumées dans le cadre d'origine ainsi qu'en faveur des fonctionnaires détachés pour exercer des fonctions de membre du Gouvernement, un mandat électif ou syndical, qui n'ont pas changé de catégorie durant leur position de détachement. Ces mêmes avantages sont maintenus en faveur des fonctionnaires détachés hors d'Europe, soit dans les administrations des territoires d'outre-mer, soit auprès d'un service français de coopération technique ou culturelle, soit auprès d'Etats étrangers ou d'organisations internationales ". Ces dispositions se bornent à régir le maintien des avantages attachés à l'accomplissement des services dans un emploi classé dans la catégorie active lorsqu'un agent qui exerce celui-ci est détaché dans d'autres emplois.

5. Les dispositions de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite citées au point 3 ont pour objet, en accordant une possibilité de liquidation anticipée de la pension en cas d'accomplissement de quinze années de services dans des emplois classés dans la catégorie active, de tenir compte du risque particulier ou des fatigues exceptionnelles que présentent certains emplois. Par suite, les services accomplis par un fonctionnaire en détachement dans un emploi classé dans la catégorie active qui exerce effectivement des fonctions correspondant à cet emploi doivent être pris en compte au titre de cet article, quelles que soient les fonctions qu'il exerçait ou qu'il avait vocation à exercer dans son corps d'origine.

6. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que la rectrice de l'académie de Strasbourg avait pu refuser de prendre en compte, au titre de la catégorie active pour le calcul des droits à pension, la durée des services effectués par Mme E... durant la période précédant sa titularisation comme institutrice pendant laquelle elle était en détachement, dès lors que son emploi dans son corps d'origine ne relevait pas de la catégorie active et ne correspondait pas à des fonctions de même nature et alors même que les deux années accomplies en qualité d'élève institutrice comportaient l'exercice effectif de ces fonctions, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

Sur le rejet des conclusions indemnitaires :

7. Si Mme E... soutient que la décision du 21 septembre 2018 de la rectrice de l'académie de Strasbourg lui cause un préjudice, dès lors que le refus qui a été opposé à sa demande de départ à la retraite a eu d'importantes répercussions sur sa santé, il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'elle n'a pas formé de demande indemnitaire préalable auprès des services de la rectrice de l'académie de Strasbourg. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg, faisant droit à la fin de non-recevoir opposée en défense contre ses conclusions indemnitaires, a rejeté ses conclusions.

8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, le jugement du tribunal administratif de Strasbourg doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme E... tendant à l'annulation de la décision de la rectrice de l'Académie de Strasbourg du 21 septembre 2018.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. Il ressort des pièces du dossier que, pendant la période du 25 octobre 1990 au 1er septembre 1993, Mme E... a été placée en position de détachement en tant qu'élève-institutrice et il n'est pas contesté qu'elle a effectivement exercé, pendant cette période, les fonctions d'institutrice, emploi classé dans la catégorie active pour l'application des dispositions de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

11. Il résulte de ce qui précède que la rectrice de l'académie de Strasbourg ne pouvait limiter à la seule durée des services accomplis par Mme E... comme institutrice titulaire, la durée retenue au titre des services effectués dans la catégorie active sans prendre en compte la durée des services effectués dans ces mêmes fonctions, en position de détachement en qualité d'institutrice stagiaire. Par suite, Mme E... est fondée à demander l'annulation de sa décision et à ce qu'il soit enjoint à la rectrice de l'académie de Strasbourg de procéder à la révision de sa pension en intégrant la période du 25 septembre 1990 au 31 août 1993 dans le calcul de la durée des services dans un emploi classé dans la catégorie active prévue à l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme E..., pour l'ensemble de la procédure, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 23 juillet 2020 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.

Article 2 : La décision du 21 septembre 2018 de la rectrice de l'académie de Strasbourg est annulée en tant qu'elle a rejeté les conclusions de Mme E... tendant à l'annulation de la décision de la rectrice de l'Académie de Strasbourg du 21 septembre 2018.

Article 3 : Il est enjoint à la rectrice de l'académie de Strasbourg de procéder à la révision de la pension de Mme E... en intégrant la période du 25 septembre 1990 au 31 août 1993 dans le calcul de la durée des services dans un emploi classé dans la catégorie active prévue à l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

Article 4 : L'Etat versera à Mme E... une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme E... est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme D... B..., épouse E..., et à la rectrice de l'académie de Strasbourg.

Copie en sera adressée au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Délibéré à l'issue de la séance du 7 février 2022 où siégeaient : M. Gilles Pellissier, assesseur, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et M. François Lelièvre, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 23 février 2022.

Le président :

Signé : M. Gilles Pellissier

Le rapporteur :

Signé : M. François Lelièvre

La secrétaire :

Signé : Mme C... A...


Synthèse
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 445290
Date de la décision : 23/02/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 fév. 2022, n° 445290
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. François Lelièvre
Rapporteur public ?: Mme Mireille Le Corre
Avocat(s) : SCP BUK LAMENT - ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 01/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2022:445290.20220223
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